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MYS
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Le sauteur de corde est un charlatan. Le gobeur est un mystique. Il est fasciné au même titre que le simple d’esprit écarquillant ses pauvres yeux devant une guérison à Lourdes, ou versant son obole au denier de Saint-Pierre, ou achetant pour quelques francs, une messe ou des indulgences.

Le troupeau humain se subdivise ainsi en deux clans : les Mystiques et les Curieux, les hommes de Foi et les hommes de Raison, les amateurs du Credo quia absurdum et les Saint Thomistes avides de croire, mais après avoir vu, cherché et compris.

Est-ce à dire pourtant qu’en ce vaste domaine de l’occulte il n’y ait qu’illogisme et absurdité, naïveté ou exploitation ? N’y a-t-il point dans l’occultisme, pris dans sa masse, des éléments qui stimulent la recherche sérieuse, et faut-il de plano rejeter en bloc tout ce qui n’est point du ressort des sens et du compréhensible ? Une telle affirmation n’aurait rien de scientifique et, à son tour, elle serait entachée de système. La négation brutale n’honore point l’homme de science. Mais entre l’homme qui doute et interroge et celui qui croit aveuglément, il y a tout un monde. Entre celui qui éprouve une sensation de bien-être à croire sans aller voir, à se donner au Dieu inconnu corps et âme, à trouver dans cet abandon une sorte de jouissance, et celui qui se contente d’opposer une simple froideur sereine à ce qu’il ne saisit point et se borne à attendre, il y a encore un monde. Le merveilleux n’a qu’un attrait, celui de grossir les difficultés auxquelles sourit le chercheur. Celui qui s’aplatirait en adorateur devant ces ondes sonores, capables en traversant la pierre d’apporter aux oreilles du Parisien des mélodies débitées à Berlin, s’assimilerait au nègre adorant le soleil ou au crétin qui éclate en hosannas d’allégresse en apprenant un miracle de la petite Thérèse de l’Enfant-Jésus. L’étonnement n’a rien du stupéfiant ; il n’est, chez l’homme exerçant une maîtrise sur la folle du logis, que le premier stade vers la découverte.

Le monde formidable de l’Inconnu flétrit le croyant aveugle et sourit à la Science dont chacune des découvertes est un gage offert à la Foi lucide et la juste récompense du Travail.



Et j’en viens au mot Mystique, au féminin. La mystique désigne le dogme conventionnel et provisoire de l’occulte, revêtant, en la complétant, la partie technique d’une thèse. C’est la métaphysique superposée à la physique ; c’est la prolongation, dans le champ de la connaissance des territoires connus vers les régions inconnues on mal explorées, où provisoirement, l’inconnu est schématisé, symboliquement exprimé, un peu comme l’est pour le mathématicien l’hypothèse du problème résolu. Il y a une mystique dans toutes les branches de la spéculation où l’inconnu est arrangé en système.

On le voit : cette mystique n’est point une sorte de vrac, un « caput mortuum » où s’enfouissent pêle-mêle les témoins de notre ignorance. Le symbolisme, réactif d’attente, permet d’y pénétrer et de s’y diriger jusqu’au jour où le chercheur s’y incorporera, y constituera une demeure habitable pour son esprit, parce que les arcanes auront disparu, percés à jour par les progrès mêmes de la technique scientifique. L’hindouisme, dont la connaissance est devenue si impressionnante depuis la vulgarisation de ses prophètes en Occident, est un bel exemple de cette mystique en voie de solution.

Les voies d’accès vers la mystique, telles que les philosophes de l’Inde nous les ont dégagées en liaison avec la science de l’Occident, sont tout aussi séduisantes que ces mêmes voies d’accès tracées par la science

du réel seul, fouillant pas à pas avec ses méthodes positives la nuit de l’inconnu, en se dégageant de toute hypothèse mystique. Par l’un ou l’autre procédé, le champ de la mystique s’étrécit de plus en plus au profit de l’accessible. Les curieux du mysticisme feraient bien de se familiariser avec les œuvres formidables que l’hindouisme a répandues dans notre sphère depuis tantôt 50 ans. Elles ont projeté une forte lumière sur le magnifique problème que je ne puis qu’esquisser ici. (Voir Romain Rolland : Vie des Ramakrisna ; Vie de Vivekananda, Vie de Gandhi). Seuls les esprits superficiels ont laissé passer le Gandhisme sans l’approfondir, pour n’en faire qu’une réaction d’ordre nationaliste et politique.

Ainsi comprise, la mystique est une philosophie supérieure, de haute portée. Elle s’applique en de nombreux domaines : il y aura une mystique d’Orient, une mystique d’Europe, une mystique helléno-chrétienne, une autre Judéo-chrétienne, une Alexandrine, comme il y a une mystique de toutes les philosophies : pythagoricienne, socratique, platonicienne, etc., comme il y a une mystique de l’Art. Et, ce qui ne manquera pas de passionner les esprits curieux sera de découvrir qu’il y a au fond de toutes ces mystiques des éléments communs, qu’elles se confondent en somme dans un postulat universel qui n’est autre que l’Unité de la pensée humaine, l’Unité de l’esprit. Quelles que soient les voies d’accès, toutes se rejoignent, partant du connu, vers un carrefour où elles se fusionnent parmi l’Inconnu, s’amalgamant entre elles et avec lui.

C’est ainsi que le problème philosophique religieux du mysticisme s’agrandit démesurément en acquérant surtout le mérite de supprimer toute lumière entre la connaissance du Réel et l’Inconnaissable de l’Irréel (voir Ribot), entre le domaine du relatif et celui de l’Absolu.



Pour en finir avec l’importante mise au point des définitions, achevons de grouper autour des noyaux Myste et Mysticisme d’autres intéressants dérivés.

Tout de suite le mot Mystère vient sous la plume pour désigner tout ce qui, dans l’inconnu, échappant à notre perspicacité, comporte un élément que nous estimons inaccessible parce que surnaturel, extrahumain, ressortissant à des puissances diaboliques, divines ou autres, autrement dit à une zone d’influence à laquelle l’homme est soumis et ne saurait échapper par ses propres forces. Nous sommes en plein sur le terrain de la Foi, celui où l’on demande au fidèle un acte de pure adhésion ou de soumission. Car il lui est à jamais interdit de sonder cet inconnu, sans avoir reçu l’initiation qui lui permettra de comprendre. Les mystères antiques, ceux d’Orphée, d’Apollon, d’Eleusis, de Delphes ; les mystères chrétiens, toute la mystique religieuse de tous les temps et de tous les pays forment un conglomérat de curiosités dont le monopole fut détenu par un collège de prêtres ou de desservants et fut matière à exploitation facile, à raison de la crédulité indispensable du troupeau récepteur du mystère.

C’est à cette mystique, qui est cependant d’un caractère élevé parfois, que l’on doit d’avoir connu le Prêtre vivant de l’autel. La phase sacerdotale de l’histoire des religions est curieuse à étudier, car elle eut des conséquences exceptionnelles en ravalant au plan humain ce qui, par définition, devait planer dans des régions idéalistes et symbolistes. C’est à savoir qu’un divorce s’est établi par le fait entre deux mondes supposés d’essence différente : celui du connu et celui de l’esprit humain, divorce fort regrettable pour les progrès de l’esprit humain, comme on le verra plus loin, car le mystère devint presque toujours générateur de mystification (initiation à rebours : mensonge, hypocrisie, duperie, action d’arrêt par l’usage de la terreur, etc.).