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MYS
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tard, née de leur mutuel amour : le Saint Esprit. Le dogme de la Trinité conciliait ainsi harmonieusement le monothéisme intransigeant des juifs et le polythéisme familier aux gentils ; il donnait, en outre, un semblant de réponse aux nombreuses difficultés soulevées par la croyance en la divinité du Christ. Réponse illusoire, puisque les théologiens durent bientôt ranger le nouveau dogme parmi les mystères inaccessibles à la raison. On raconta qu’un ange, apparu sous la forme d’un enfant, avait détourné Augustin de chercher à comprendre comment l’unité de substance s’allie, en dieu, à la triplicité des personnes ; on savait qu’il était impossible de légitimer une contradiction si manifeste ; d’office, on déclarait cette vérité supérieure à l’entendement humain. Formule aujourd’hui bien morte, la Trinité du symbole, faussement dit d’Athanase, n’éveille aucune idée précise dans l’esprit des croyants ; leur dévotion s’adresse à Jésus, Marie, Joseph, plutôt qu’au Père, Fils et Saint Esprit. Résumer les difficultés que soulèvent soit les textes des livres inspirés, soit la simple logique, soit d’autres spéculations théologiques, dans un dogme que l’on refuse par avance de discuter, voilà l’un des moyens habituels que l’Église utilise pour illusionner les naïfs qui cherchent la vérité.

Sans doute, le monde est plein de mystères, si ce terme désigne les lacunes du savoir humain. Mais soyons assez sincères pour reconnaître qu’il s’agit seulement d’ignorances, peut-être transitoires, en tout cas préférables aux mensongères clartés des fausses révélations. — L. Barbedette.


MYSTICISME, MYSTIQUE n. m. (latin mysticus mystique ; du grec mustikos, de mustès, initié). — Ce mot est un terme générique qui synthétise tout ce qui, dans le langage courant, dans les religions, dans les philosophies, est adéquat à l’idée d’Initiation.

Pourquoi initier, si ce n’est pour communiquer le sens de ce qui resterait caché, ignoré ou incompréhensible, disons tout de suite de mystérieux, quelle que soit l’origine de cette communication, quel qu’en soit l’agent ?

Mais le mot implique encore, historiquement, un autre sens : quiconque est initié jouit d’un privilège, et son initiation, (initium, commencement), n’est qu’un premier pas franchi vers de nouvelles découvertes, dont il possède désormais la clé.

L’initiation a enfin un but utilitaire et pratique : elle suppose un changement de vie. L’apprenti, initié à son métier, deviendra maître, parce qu’il a la clé des compétences et qu’il peut exécuter le « chef-d’œuvre » témoin de ses mérites. Le franc-maçon est d’abord apprenti, dès qu’il a reçu l’initiation, mais il peut dorénavant s’acheminer vers de nouveaux perfectionnements. Toutes les religions ont leurs apprentis initiés, parce qu’elles ont toutes des parties sinon secrètes du moins inaccessibles à quiconque n’a pas suivi la filière et ne connaît point le mot de l’énigme.

Dans son traité de la Théologie mystique, Denys, l’Aréopagiste, y enseigne à un initié, en l’avertissant de garder sur ces mystères un secret rigoureux — car leur connaissance serait dangereuse à des esprits non préparés – l’entrée dans ce qu’il appelle « la divine obscurité », « l’inaccessible lumière », (Rom. Rolland, Vie de Vivekananda, 2e vol., p. 255).

L’initiation mystique est un legs des traditions religieuses les plus anciennes. Dans toute religion, quelle qu’elle soit, il y a une initiation, qu’il s’agisse des épreuves physiques et morales qui sont à la base de la sorcellerie, encore en usage chez les primitifs (Afrique, Peaux-Rouges) ; qu’il s’agisse des épreuves purificatrices que Pythagore imposait à ses disciples pour les rendre dignes de recevoir sa doctrine ; qu’il s’agisse de l’entrée en religion au sein d’une Congrégation quelconque ; qu’il s’agisse même de la simple admission de-

venue rituelle et symbolique, d’un sujet dans une Eglise où l’initiation est dénommée baptême, partout, dès qu’il y a changement d’état dans l’ordre spirituel, il y a cérémonie de réception, succédant à une phase de préparation, de stage, où, pour acquérir plus de dignité, il y a des Purifications. En Égypte, dans les Indes, les pratiques religieuses nécessitaient l’admission à des degrés successifs où, progressivement, le sens du mystérieux devenait plus clair. Pour accéder à la Connaissance Supérieure de plus en plus compliquée, il convient parfois de s’adresser à l’initié en un langage conventionnel, parlant à ses sens. Le mysticisme ainsi envisagé est inséparable du symbolisme si expressif dont toutes les Religions ont usé. C’est une sorte de langue de passe dont les seuls initiés saisissent la signification et qui, par la voie de l’Image, aisément perceptible, concrète, donne accès plus facile à l’Idée abstraite.

Ce n’est que par extension, abusive et même tendancieuse, que le mysticisme a pris, dans le langage courant, le sens de mystère avec la valeur un peu péjorative attachée à ce terme.

Au mysticisme se rattachent encore les sens divers du mot Mystique. Il convient de les délimiter. Mystique se dit de tout ce qui se rattache au mysticisme. Mais de cet adjectif est dérivé un substantif, tantôt masculin, tantôt féminin.

Le Mystique (masc.) désigne tout sujet enclin au mystérieux (occultisme) par nature, par formation d’esprit.

L’inconnu a ses attraits, même il a ses séductions. Mais cette attirance qui est génératrice de la recherche et de la découverte quand elle est le fait d’esprits inductifs voués à la science, pétris du désir ardent de savoir, de projeter la lumière sur ce qui est caché, cette attirance offre des caractères individuels tout différents quand elle est le fait d’imaginatifs, d’émotifs, subissant comme l’envoûtement de l’inconnu, construits en esprits déductifs, par conséquent prêts à recevoir la manne facile de la Révélation, réceptifs du Préjugé et de la Superstition. Enclins à la passivité et à l’hétéro-suggestion, ils ont la terreur et le respect automatique de cet Inconnu qui, pour le savant, est un stimulant. Ces sujets, antiscientifiques sont les vrais mystiques, au sens habituel du mot ; les autres sont de simples curieux. Les premiers sont destinés à être les victimes des exploitations religieuses, qu’il ne faut point confondre avec la connaissance, la pratique sincère des Religions dont l’attrait philosophique leur échappe et qui est l’objet même de cette étude.

Le mystique est un fervent, un ardent passionné de tout ce qui revêt des allures anormales, énigmatiques, disons occultes. L’occultisme est toute une thèse dont les adeptes sont de purs mystiques. Il s’est constitué une catégorie de gens qui ne vivent que par le merveilleux : fétichistes, télépathes, sorciers, mages, astrologues, miraculés, tourneurs de tables, liseurs de pensées, voyants, mediums, friands de l’au-delà, spirites de tous acabits, chiromaniaques, graphologues divinateurs, hypnotiseurs fluidiques, fakirs, contemplateurs de nombril, extatiques, avaleurs de sabres, possédés, démoniaques, incubes et succubes, lycanthropes et tutti quanti, toute cette collection d’extravagants, agresseurs du bon sens et de l’humaine raison, jouit d’une mentalité commune (je ne parle que des sincères), faite de crédulité, d’adhésion aprioriste.

Tels sont les mystiques dignes d’intérêt et dont la contrefaçon s’appelle charlatans de toutes catégories, fabricants de poudre aux yeux.

Les uns et les autres sont rencontrés sur les terrains les plus divers où ils trouvent moyen d’appliquer leurs dispositions naturelles. Oserait-on faire, par exemple, la moindre différence entre un flagorneur, un batteur d’estrade, un bateleur de la politique électorale, traînant à sa remorque tout le troupeau compact des gobeurs, et les voyants qui hantent les champs de foire ?