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NAI
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puis les temps les plus reculés, l’homme avait pratiqué à son avantage une sorte d’eugénisme parmi les animaux et les plantes qui lui étaient utiles, et c’est par la sélection des parents que l’homme a pu créer toutes les races d’animaux domestiques, possédant les qualités recherchées et dont il avait découvert l’ébauche chez un animal sauvage. De même il a agi en sélectionnant comme parents les plantes qui, individuellement, possédaient des caractères qui lui étaient utiles. Mais, comme je viens de le dire, cette sélection fut naturellement toujours faite par l’homme à son avantage exclusif, jamais il l’avantage de l’animal ou de la plante.

Mais, ceci dit, on conçoit que le fait que l’homme a pu créer par la sélection des animaux domestiques et des plantes de culture si différentes des types sauvages, fournit une preuve indiscutable qu’il peut faire la même chose pour sa propre espèce, donc pour l’avantage de l’espèce humaine, c’est-à-dire pratiquer l’Eugénisme. Ce raisonnement était si simple que de tout temps l’homme, non entravé par les influences néfastes de sociétés mal organisées, a pratiqué plus ou moins l’eugénisme et cela souvent inconsciemment ; car, lorsque rien ne s’y oppose et quand des intérêts matériels n’entrent pas en jeu, l’être humain est attiré sexuellement vers l’individu de sexe opposé qui, par ses bonnes qualités, de n’importe quel ordre, lui plaît. Une telle sélection s’est donc faite tant que l’homme vivait dans l’état où il ne pouvait se faire valoir que par son mérite personnel. Mais du jour où la possibilité de devenir riche constitua l’idéal et où cette richesse influença le choix dans les rapports sexuels, tout a changé. Il y a de longues années, que j’ai publié ce que je crois être la réponse logique à cette question si importante : pourquoi, depuis les temps les plus reculés, on ne trouve pas que l’homme ait gagné en qualités mentales. Je pense que c’est depuis que la sélection, basée sur le mérite personnel, a été remplacée par la sélection basée sur la richesse ou le pouvoir, que l évolution mentale de l’homme s’est arrêtée. Qu’on arrive à fonder une société où la vie matérielle sera garantie à tous, et la sélection sexuelle reprendra de nouveau sa voie naturelle et amènera une évolution progressive des qualités mentales de l’homme. On pourrait se contenter de l’Eugénisme ainsi compris et comme il semble devoir se pratiquer de nouveau, comme sans doute il s’est réalisé à une époque très reculée. Mais quand on parle de l’eugénisme, on comprend généralement, par là, ce qu’il est possible de faire actuellement pour améliorer l’humanité et toutes les propositions peuvent être ramenées aux deux catégories suivantes : l’eugénisme par mesures qui restreignent la procréation d’êtres humains de qualité indésirable et l’eugénisme qui cherche des mesures pour augmenter la procréation d’êtres humains désirables. Jusqu’à présent, ce n’est que la première catégorie, qu’on appelle l’Eugénisme restrictif ou éliminatoire, qui a été réalisée et seulement en Californie, où un mouvement important existe pour la mise en pratique de l’Eugénisme. Ce mouvement est dirigé par le docteur Paul Popenoe, qui est à l’heure actuelle, la plus haute autorité sur ces questions et qui, en association avec M. E. Gosney, lequel a donné beaucoup de sa fortune pour cette cause, dirige la Fondation pour l’Amélioration Humaine, et l’Institut pour l’étude des Hérédités de Famille.

M. le Docteur Popenoe, que je connais personnellement, m’envoie ses nombreuses publications, j’ai donc pu me tenir au courant de ce que l’Eugénisme en pratique a réalisé et ce qu’on cherche encore à réaliser.

En Californie, on a légalement le droit de stériliser les personnes, hommes et femmes, qui souffrent de maladies mentales héréditaires et qui sont à la charge de l’État ; mais on cherche aussi à stériliser les personnes qui, sans souffrir de telles maladies, sont, par leur manque d’intelligence, incapables de gagner leur vie ou

de se conduire seuls dans la vie et qui sont à la charge de l’État. On cherche, en outre, à stériliser, par persuasion, les personnes qui, sans être à la charge de l’État, se trouvent dans les mêmes conditions mentales. On a stérilisé, depuis une vingtaine d’années, en Californie, 6255 personnes. Cette stérilisation qui n’altère pas la puissance sexuelle ni diminue le désir de rapports sexuels, mais rends inféconds les individus opérés, se fait sans aucun danger et très facilement chez l’homme par la vasectomie et se fait par salpingectomie chez la femme, opération plus délicate, mais qui, faite par un opérateur expérimenté, n’est pas dangereuse. Que faut-il penser de cela ?

A mon avis, il faut suspendre un jugement, qui serait déplacé et prématuré, ne serait-ce qu’à cause de la mentalité américaine, si différente de celle de la plupart des autres nations, même des Anglais, qui s’en approchent le plus.

Pour avoir habité les États-Unis et y avoir pratiqué la médecine, je parle d’expérience personnelle.

Je veux croire que l’immense majorité des stérilisations effectuées fut à l’avantage de l’humanité ; mais quand on pense à ce qui se passe aux États-Unis, qui est le pays de la terre où règne de la façon la plus absolue la ploutocratie et où se trouve répandu au plus haut degré l’idéal de pouvoir vivre en parasite une fois gagné la richesse, on hésite à donner son approbation sans restriction. Il est toujours question, dans cette littérature sur l’Eugénisme restrictif, des personnes qui mènent une vie non-civilisée (uncivilised life) et qui ne veulent pas s’adapter à la civilisation américaine. Sans doute bien des personnes qui seraient jugées aux États-Unis comme menant des vies non-civilisées, ne sont pas jugées ainsi dans la plupart des autres pays et cela surtout quand il s’agit de la vie sexuelle. Qu’on pense seulement à l’énormité que, aux États-Unis, le simple fait d’avoir des rapports sexuels en dehors du mariage est punissable par la loi ! Qu’on pense à la persécution féroce qui s’exerce aux États-Unis contre les personnes qui luttent pour le renversement de l’abominable société capitaliste qui, justement, dans ce pays trouve son expression la plus nette et où tout est vénal peut-être plus que dans aucun, autre pays, même les plus arriérés, seulement dans une forme plus hypocrite et retenant jusqu’à un certain point l’esprit. de la légalité, à moins que, comme dans lynchages, on passe outre cyniquement ! Qu’on pense encore à la mentalité d’un pays, où l’enseignement de la doctrine de l’évolution, acceptée par tous les hommes de science, est défendu du moins dans quelques États ! Où est la garantie que des personnes, même d’une haute intelligence — et peut-être justement en raison de cela, — réfractaires à la civilisation américaine, ne seraient pas peu à peu assimilées à la catégorie de celles dont la stérilisation serait obligatoire ?

La ploutocratie, qui gouverne absolument les États-Unis et qui, sans doute, redoute et traque beaucoup plus les réformateurs sociaux que les fous ou les malfaiteurs de droit commun, ne pourrait que regarder d’un œil satisfait l’élimination de ces personnes à mentalité opposée à la leur ! Donc, pour en finir, rien de plus raisonnable que de restreindre la procréation des individus qui, dans n’importe quelles conditions sociales, ne seraient qu’un obstacle au bonheur des autres et souvent peu heureux eux-mêmes, tout en se trouvant eu état de dépendre, pour leur existence, du travail d’autrui. Mais seule une société où règne l’équité et où la vie matérielle est garantie par la collectivité est en mesure de juger les cas où la stérilisation obligatoire s’imposerait.

Quant à l’eugénisme qui cherche à augmenter les naissances d’individus de valeur au-dessus de la moyenne, l’Eugénisme positif (ou éclectif), on a beaucoup écrit sur ce sujet ; mais, ici encore, faut-il qu’on sache