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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/422

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NAT
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de la section, affirma, en termes excellents l’immense désir de paix qui anime les anciens combattants. Il ajouta que cette paix tant désirée ne pouvait être réalisée que par un seul moyen : le rapprochement franco-allemand et il opposa au principe de César : « Si vis pacem, para bellum », une autre formule, dont il n’est certes pas l’inventeur, mais qu’il y a toujours du mérite à répéter : « Si vis pacem, para pacem ». M. Misserey se rassit après avoir courtoisement porté la santé des invités de marque assis à la table d’honneur, et parmi lesquels se fit remarquer le général Rampont, commandant le 5e Corps. Le général Rampont se leva llorsque M. Misserey f u t assis. Il commença par affirmer qu’il n’était pas venu « pour « jeter de l’eau bénite de cour », puis prononça les paroles suivantes : « Je suis le premier à m’écrier : La paix soit avec nous ! Mais, en homme qui a vu et qui connaît, je dois le proclamer : Le peuple français possède une civilisation supérieure à toutes les autres ! L’Allemand est en retard d’un siècle sur nous, et le Russe de deux siècles ! N’oublions pas que nous avons des Barbares en face de nous : les Allemands et les Russes, sans oublier Mussolini, qui n’est pas notre plus grand ami ! Il faut prendre une assurance, comme les gendarmes contre les brigands : c’est notre année ! Soyez les collaborateurs de cette tâche difficile : le dressage du soldat ! Valeur et discipline ! Vive la France et vivent les morts qui sont morts pour nous ! » Après quoi, le brave général Rampont, pour achever l’infortuné M. Misserey, lui remit, au nom de la section, la croix du Nicham Iftikar (je vous jure que je n’invente rien : lisez la France du Centre du 13 novembre). Le général Rampont, commandant du 5e Corps, qui est un militaire selon mon cœur, un général tout d’une pièce comme Napoléon les faisait en série… Le général Rampont, en un langage bien français, a exposé une conception très romaine qui aboutit tout au moins à une simplification de la géographie. Rome, jadis, était le flambeau ou (pour reprendre l’expression du général Rampont) le gendarme de la civilisation… Autour de Rome, il y avait les brigands, les sauvages, les barbares, en un mot les autres… Rome s’occupa activement à dresser ses soldats pour civiliser les Barbares, qui furent amis, plus tard, à participer à l’apothéose de la civilisation, aux grands galas de la culture romaine, qui eurent lieu avec un éclatant succès dans les Cirques de la Rome impériale. Quand le général Rampont porte ses regards autour de lui, par-dessus les frontières, que voit-il ? Les Allemands, les Russes, les Italiens, c’est-à-dire les Barbares… Et encore, le général Rampont, respectueux d’une vieille consigne, est resté tourné vers l’Est, portant ses regards par-dessus les montagnes… Si, ayant fait demi-tour par principe, il s’était tourné vers l’Ouest, et avait porté ses regards par-dessus les mers, il eut découvert les Anglais, qui ne sont pas plus civilisés que les Allemands, et les Américains qui sont assurément moins cultivés que les Russes…

» Notre gendarmerie nationale aura-t-elle jamais assez de gendarmes pour mettre à la raison tant de brigands ? Et puis les paroles du général Rampont auront sans doute un écho au-delà des montagnes et des mers… Il se trouvera des généraux de la Grande Muette allemande, de la Grande Muette italienne, de la Grande Muette soviétique qui, pris d’émulation, se feront les porte-paroles de la civilisation et parleront de coloniser les Barbares de l’Ouest. Eh quoi ! direz-vous, tant d’émotion pour un discours prononcé chez un bistro d’Orléans ?

» Réfléchissez un peu… C’est toujours d’un coin paisible de province : d’Angers, de Sarajevo, de Bethléem, que sont parties toutes les grandes catastrophes du monde. »

En France, un quotidien porte en sous-titre « Organe du nationalisme intégral », et se dénomme L’Action Française. Rien ne rebute son nationalisme grassement payé par les partisans de l’ancien régime, en mal d’autorité à exercer, et les parvenus de la « Marianne » en mal de titres de noblesse. Ni le faux, ni le mensonge ne leur sont un obstacle. Aussi comme elle s’applique bien à eux cette page de « La Belle France », de G. Darien : « Vous avez assisté il leur comédie et écouté leurs boniments. Vous avez lu leurs journaux dans lesquels ils trouvent moyen d’entasser, chaque semaine plus de faux et de mensonges que n’en pourraient perpétrer les pontifes de l’État-Major dans une année bissextile… Mais, derrière ces histrions et ces pitres qui crient « vive la Patrie ! » derrière ces infâme ces fuyards, ces exemptés et ces pantouflards qui hurlent : « vive l’Armée » derrière ces Cottins frénétiques et ces Perrin-Dandin en ébullition, c’est toute la hideuse cohue de la réaction qui se dissimule, qui rampe. Derrière Coppée, c’est Esterhazy qui s’embusque, et le chaste Flamidien se cache derrière Lemaître. Toutes les bêtes féroces du Capitalisme, du Militarisme du Cléricalisme sont là, narines froncées sur leurs crocs, prêtes à sauter, griffes en avant, par-dessus les têtes des aigrefins dont les gesticulations les masquent. Ces bêtes fauves sont trop connues, trop haïes et trop méprisées pour oser se montre en personne, même sous une peau d’emprunt. Elles renonceraient même à se faire voir à chercher à ressaisir directement le pouvoir tyrannique, et se contenteraient de la puissance occulte que leur laisse la lâcheté publique, si elle ne trouvaient point une bande de coquins disposés à leur préparer les voies, s’offrant à leur frayer la route par des cabotinages de turlupins patriotiques. C’est simplement parce que ces coquins existent, parce qu’ils ont créé le nationalisme et s’en sont institués les chefs, que la réaction s’est résolue à rassembler ses forces et se tient prête à entrer en lutte ouverte avec les hommes qui veulent rester libres. Quand on aura endoctriné un nombre suffisant d’imbéciles, quand on sera parvenu à ramasser, par-delà la frontière, la carte blanche indispensable, les Boisdeffre, les Mercier et. les Esterhazv tireront leurs sabres, les Assomptionnistes empoigneront leurs crucifix plombés, et la Savoyarde du Sacré-Cœur commencera à sonner le tocsin de la nouvelle Saint-Barthélémy ; aussi, les Coppée et les Lemaître travaillent ferme à l’enrôlement des goitreux ; afin de se tenir en haleine, Coppée se fait donner de l’eau bénite par le père Du Lac, et Lemaître s’en fait jeter par Flamadien. Ce ne sont donc pas seulement des saltimbanques, complices plus ou moins conscients de criminels qu’ils ont pris à leurs gages ; ce ne sont pas seulement des paillasses qui jouent de l’orgue pour étouffer le grincement du surin qu’on aiguise ou les cris de la victime dont on scie le cou. Ce sont les racoleurs des assassins, ce sont ceux qui vont chercher les coupe-jarrets dans leurs repaires placés sous l’invocation de grands saints, comme saint Dominique, et leur mettent le couteau à la main. Ce ne sont pas les complices des meurtres qu’on prémédite ; ce sont ceux qui ont conçu le projet du crime, qui en ont préparé les éléments, qui en assurent le succès. Ce sont les vrais coupables, les plus vils, et ceux qu’il faut frapper d’abord. Ils savent ce qu’ils font ; sachons nous aussi, ce que nous avons à faire. Question de vie ou de mort. Ils rêvent de nous envoyer à Satory ou au Père-Lachaise. Envoyons-les à Clamart. »

Le Nationalisme, c’est cette stupidité, cette abjection et ce crime. Il a les porte-plumes, les porte-paroles et les porte-drapeaux qu’il mérite. Tout individu doué de bon sens et de dignité doit le dénoncer sans répit et sans trêve le combattre. La lutte est engagée entre le Nationalisme et l’Internationalisme. Ceci tuera cela. — A. Lapeyre.