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NATURALISME n. m. du latin natura. Le naturalisme est, défini par Littré : « La qualité de ce qui est produit par une cause naturelle. » Bescherelle dit : « le caractère de ce qui est naturel, c’est-à-dire qui appartient à la nature. » Au sens philosophique, le naturalisme est « le système de ceux qui attribuent tout à la nature comme premier principe » (Littré), et qui repoussent l’idée de l’existence d’un autre principe en dehors d’elle. La nature est l’univers tout entier ; elle est matière et esprit indissolublement unis malgré toutes les arguties de la métaphysique qui prétend les séparer en s’appuyant sur la théologie, pour faire de l’esprit un principe distinct au-dessus de la nature. La science la plus récente déclare même que matière et esprit sont une seule chose, la matière étant esprit et l’esprit étant matière. La métaphysique voulant mettre l’esprit en dehors et au-dessus de la nature a imaginé le divin et a créé les mythes. Leur principal caractère est d’être inexplicable à la raison humaine ; mais, en même temps, la théologie prétend faire admettre à la raison ces choses qu’elle ne peut comprendre. C’est un véritable combat de nègres sous un tunnel.

Le naturalisme ne rejette pas le divin, mais il affirme, quand il l’adopte, qu’il ne peut exister que sous la forme panthéiste. Il ne peut être que dans la nature et l’occuper tout entière, dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, dans le minéral et le végétal comme dans l’animal, dans la terre comme dans l’air et dans l’eau. Si le divin n’est pas ainsi et partout l’émanation de la nature, il n’existe nulle part. Le naturalisme n’est donc ni absolument athéiste, ni absolument panthéiste. Avec l’athéisme, il nie la divinité ; avec le panthéisme, il l’admet, mais ne la voit que dans la nature. Il est à la fois la philosophie et la religion de la nature, réunissant des systèmes d’apparences différentes et opposées, mais n’en acceptant aucun qui soit au-dessus du contrôle de la raison. Il est matérialiste ou spiritualiste suivant le point de vue qu’il adopte sur l’origine des êtres. Il est athéiste sans être matérialiste en niant Dieu sans nier l’esprit. Il est déiste sans être spiritualiste en reconnaissant Dieu dans la matière et, bien qu’il se confonde avec le réalisme, il peut être idéaliste s’il admet, ce qui est le cas dans la plupart des systèmes philosophiques, que l’esprit domine la matière. Lorsqu’il adjoint la Providence à la nature, il devient le surnaturalisme ou le supranaturalisme. Il passe alors dans le domaine des spéculations métaphysiques et théologiques qui échappent au contrôle expérimental. Enfin, il y a en théologie le naturalisme hérétique qui nie la nécessité de l’intervention divine dans les œuvres du salut et soutient que ce salut doit venir aux hommes de leur vertu et non de la grâce.

Depuis que, suivant le mot de Massillon, « la grâce supplée à la nature », la religion a rompu avec l’humain.

Toutes les variétés de formes du naturalisme se fondent dans l’immense creuset de la nature qui est son principe unique et exclusif, mais on comprend qu’elles lui donnent des aspects très divers qui multiplient son champ d’expérimentation. L’expérience naturaliste est la seule inattaquable en ce qu’elle s’appuie exclusivement sur des données positives. Tout ce qui porte l’étiquette du naturalisme est fondé sur le réalisme en qui est toute vie, toute vérité, toute beauté, pour qui a la sagesse de ne pas courir à la poursuite de béatitudes illusoires. « Il est rare que le rêve ait la beauté de la vie », a dit Élisée Reclus. Quand les hommes sauront le comprendre et ne plus chercher leur bonheur en dehors de la réalité, ils seront bien près de l’atteindre.

Naturalisme a pour synonyme Naturisme. Moins employé, ce second terme implique plus particulièrement l’idée de divinisation et de religion de la nature, C’est dans ce sens que nous considérerons le naturisme (voir ce mot) et verrons en lui le point de départ de tou-

tes les religions humaines, même des plus spiritualisées.

C’est surtout dans la littérature et dans l’art, c’est-à-dire dans l’interprétation et la représentation des choses sensibles, que le naturalisme se confond avec le réalisme, par opposition à l’idéalisme qui perd la notion du réel ou ne le considère qu’à travers l’abstraction. Mais, même en littérature et en art, il ne faut pas voir, comme on le fait trop souvent, le naturalisme et le réalisme selon certaines formules ou certains procédés, étroits, limités, qui appartiennent à des écoles. Il en est du naturalisme comme de l’humanisme, du romantisme, du symbolisme, qui lui sont apparentés par tous les rapports qu’ils ont avec le réalisme. Chaque fois que des hommes s’emparent d’une idée pour en faire un système dans lequel certains s’installent pour en vivre comme un rat dans un fromage, ils l’émasculent, la pétrissent, jusqu’à ce qu’ils l’aient réduite à la mesure de leur médiocrité.

Le naturalisme est le foyer de toutes les connaissances positives ; il est le champ illimité de l’observation et de l’expérience. Le fameux mur devant lequel la science s’arrête et derrière lequel il y a Dieu, n’existe pas pour lui. Seul, il permet le contrôle qui fait de l’hypothèse une vérité démontrée. C’est ainsi que depuis des milliers d’années les théologiens, juchés sur leur mur hypothétique, cherchent vainement à vérifier l’hypothèse Dieu. Le naturalisme ne leur fournissant aucun moyen de vérification, ils demeurent dans l’hypothèse avec l’imposture de leurs affirmations métaphysiques. Le naturalisme est le seul terrain d’une science durable. Hors de lui, tout n’est que rhétorique, vanité, illusion, certitudes orgueilleuses et tyranniques qui sont sans base et s’écroulent un jour ou l’autre, ne laissant aux hommes que le souvenir d’erreurs trop souvent sanglantes et douloureuses. Le réalisme historique, dressé en face du plutarquisme, abonde en preuves de ce genre.

Le contact intime et profond des premiers hommes avec la nature fit inévitablement de leur premier art et de leur première littérature des manifestations naturalistes. On vit et on pense avec son milieu. Les premiers hommes vivaient dans la nature, leurs sentiments ne pouvaient qu’en être inspirés. C’est elle qui leur donna leur morale et leur esthétique. Lorsqu’après des siècles de spéculations de toutes sortes, la pensée humaine atteignit, dans le monde asiatique d’abord, dans le monde grec ensuite, ses plus magnifiques hauteurs, ce fut dans l’épanouissement le plus radieux d’un naturalisme qui proclamait la sagesse et la beauté en divinisant l’univers tout entier. La plus pure pensée, celle du stoïcisme, n’eut d’autre inspiration que celle de la nature. Ce fut la merveilleuse époque d’un humanisme qui, ne voulant que connaître l’homme, ne le cherchait qu’en lui-même, avec Socrate, et dans la nature, avec Lucrèce. L’humanisme avait alors tout son sens dans l’effort de l’homme pour « réaliser son idéal en force, en élégance, en charme personnel, ainsi qu’à se développer en valeur intellectuelle et en savoir… à se révéler dans toute la splendeur de sa personne. débarrassé des multiples entraves des coutumes et des lois. » (Élisée Reclus). L’humanisme n’était pas alors troublé par l’idée d’un Dieu « ombre de l’homme projetée dans l’infini » (R. de Gourmont), ni compliqué d’une casuistique rendant Platon et Aristote solidaires de tous les charlatans du surnaturel. Il était encore moins la doctrine vaseuse et sauvage par laquelle les Maurras, les Daudet et leurs disciples prétendent justifier leur nationalisme faussaire et décerveleur.

Il fallut le christianisme pour jeter une ombre maléfique sur le lumineux panthéisme antique, pour séparer le divin de l’humain, l’esprit de la matière, l’âme du corps, pour magnifier les creuses abstractions du surnaturel et légaliser leurs impostures, pour couvrir d’op-