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abandonné à lui-même. Une bourgade d’hommes presque sauvages voit périr les fruits qui la nourrissent ; une inondation détruit quelques cabanes ; le tonnerre leur en brûle quelques autres. Qui leur a fait ce mal ? Ce ne peut être un de leurs concitoyens, car tous ont également. souffert ; c’est donc quelque puissance secrète, elle les a maltraités, il faut donc l’apaiser. Comment en venir à bout ? En la servant comme on sert ceux à qui on veut plaire, en lui faisant de petits présents. Il y a un serpent dans le voisinage, ce pourrait bien être ce serpent ; on lui offrira du lait près de la caverne où il se retire. Il devient sacré dès lors, on l’invoque quand on a. la guerre contre la bourgade voisine qui, de son côté, a choisi un autre protecteur. D’autres petites peuplades se trouvent dans le même cas. Mais n’ayant chez elles aucun objet qui fixe leur crainte et leur adoration, elles appelleront en général l’être qu’elles soupçonnent leur avoir fait du mal, le Maître, le Seigneur, le Chef, le Dominant. » (Voltaire, Essai sur les mœurs.)

Espérances chimériques et terreurs superstitieuses, voilà les sources de toutes les religions et ce qui en est demeuré le fond. De la puissance mystérieuse attribuée à des dieux est née la domination de leurs prétendus délégués, les sorciers devenus les hommes d’église et de gouvernement (voir Sorcellerie).

Ces causes sont si profondes dans la nature que les animaux eux-mêmes possèdent le sentiment religieux pour les mêmes motifs d’ignorance, de curiosité, de crainte, et aussi pour le même besoin de bonheur, ou tout au moins de repos, qui fait rechercher ce bonheur et ce repos jusque dans des paradis artificiels. Le sommeil extatique du félin digérant au soleil, l’ivresse mystique de la vie monastique, celle excitante ou stupéfiante que procure l’usage de l’alcool, de l’opium, de la morphine, sont les mêmes produits, plus ou moins naturels, de ce besoin. Quatrefages a appelé l’homme un « animal religieux », voulant ainsi le distinguer, après Lactance, des animaux chez qui la religiosité n’existerait pas. Mais plusieurs philosophes, Tito Vignoli en particulier, reconnaissent « l’origine du mythe chez l’animal aussi bien que chez l’homme ». (É. Reclus.) On n’a pas encore su vérifier si l’animal ne se livre pas à des spéculations métaphysiques aussi transcendantes ou puériles que celles de l’homme, mais s’ « il paraît évident que l’animal est moins porté que l’homme à la superstition, point de départ et signal de dégénérescence de toutes nos religions humaines, il n’est rien moins que prouvé qu’il n’ait pas les sentiments religieux qui forment, pour les spiritualistes, sinon la base, du moins la sanction de toute moralité et de toute sociologie ». (Dr  Ph. Maréchal.) Cet auteur a cité des exemples démontrant que toutes les idées qui sont à la base de la philosophie et de la métaphysique se retrouvent chez les animaux : « idées de causalité, d’existence et de non existence, de temps, de lieu, d’espèce, etc… » É. Reclus a écrit : « Sans recourir aux fables, il suffit d’étudier les bêtes avec lesquelles nous vivons, pour voir fonctionner en elles le sentiment religieux presque aussi nettement que chez l’homme. »

Il n’est pas douteux que l’homme primitif, qui apprit tant de choses des animaux, reconnut chez eux une supériorité et une perfection qu’il ne possédait pas, avant d’en arriver à se forger cette idée orgueilleuse et stupide qu’un Dieu l’avait fait à son image et l’avait placé au-dessus de la nature pour la dominer. Aussi, n’est-il pas de religion primitive qui n’ait fait une place plus ou moins grande aux animaux et n’ait vu en eux des personnifications de puissances supérieurs, des dépositaires de leur pensée subtile. Il n’est pas jusqu’au christianisme qui n’ait fait exprimer par des animaux la pensée divine et ne leur en ait attribué « la plus sûre connaissance ». La symbolique catholique, qui s’est efforcée de donner une explication reli-

gieuse à tous les fait naturels, est sortie su symbolisme primitif. Entre des centaines d’exemples, citons celui du Serpent. Symbole de l’Éternité pour des peuplades africaines, il est chez les Hébreux et chez les chrétiens celui de l’intelligence et de la science du Bien et du Mal (voir Symbolisme).

« La façon dont l’être humain conquiert sa nourriture constitue l’axe de son ravissement religieux, aussi bien que de toutes ses pensées, de son genre de vie, de ses coutumes, de sa science et de son art. C’est principalement autour du gagne-pain que se meut le cercle de son activité mentale. Le chasseur et le pêcheur introduiront toujours dans leurs contes et poésies l’animal qu’ils poursuivent et le rangeront parmi leurs dieux. Le nomade cheminant sans cesse avec ses troupeaux se verra toujours, sur cette terre ou dans le monde lointain qu’il rêve, accompagné de ses chameaux, bœufs ou brebis, et maintiendra parmi eux l’ordre de préséance accoutumé. Enfin la parabole de l’immortalité de l’âme qui, depuis des milliers d’années, eut constamment pour élément primordial le grain nourricier jeté dans la terre, aurait-elle pu prendre naissance autre part que chez une nation d’agriculteurs ? Qu’un peuple change de patrie par refoulement de guerre ou par migration spontanée, aussitôt ses légendes, ses traditions s’accommodent au milieu nouveau, et même dans nos grandes religions modernes, bouddhisme ou catholicisme, le code des croyances officielles le plus strictement réglé par les prêtres finit par se modifier, tout en gardant son cadre antique de cérémonies. » (É. Reclus). Sans tirer de ces observations des conclusions rigoureuses, comme celles du matérialisme historique par exemple, on peut affirmer que la question de subsistance, primordiale pour l’individu, homme, animal ou plante, est la grande loi de toutes ses activités, même les plus spirituelles. En même temps que la nature le faisait vivre, il trouvait en elle ses affinités, même les plus secrètes, Il fallut le parasitisme social pour que des classes d’hommes allégés du souci de leur subsistance, pussent montrer pour ce souci un souverain mépris et ériger les systèmes qui n’ont pas cessé de se dresser contre la nature dans une société de plus en plus artificielle et arbitraire. Ces « lys qui ne travaillent ni ne filent » seraient bien en peine si le travail des autres ne leur permettait pas de se mettre sous la dent autre chose que la viande creuse de leurs cogitations.

Autour de l’homme, tout était vivant, livré à la même préoccupation et, dans l’activité voisine, il ne tarda pas à voir l’esprit de concurrence mêlé à des intentions bonnes ou mauvaises, dont il fut d’autant plus frappé qu’il n’en démêla pas les causes. C’est ainsi qu’il jugea bonne à son égard l’intention de l’herbe qui fut douce à ses pieds, de l’oiseau qui le charma de son chant, de la fleur qui l’enivra de son parfum ; il jugea mauvaise celle de la pierre qui vint l’atteindre, de la ronce qui le piqua, du fruit qui fut amer à sa bouche. En tout animal ou plante, en toute chose, il vit un esprit qui lui serait favorable ou défavorable, qui tiendrait son sort sous sa puissance et qu’il s’agirait de bien disposer son égard. Ainsi s’est formé le culte de tous les êtres jugés supérieurs et enclins à la sympathie qui a constitué le totémisme, religion de l’ancêtre et de la tribu engendrée par lui, qui porte son nom, à qui elle est attachée par les liens de la vie, renouvelés et rendus plus étroits encore par la transfusion du sang de l’animal totem dans les veines des jeunes gens à l’âge de la puberté, et par les échanges d’âmes avec ce totem au cours de cérémonies, comme celle de la danse qui met en état d’hypnose. Car en tout être, en toute chose il y a une âme comme il y a de la vie : il y a un esprit bienveillant ou malveillant pour l’homme. La plupart des animaux et des plantes ont été, quelque part, des totems et, si les cultes en sont disparus pour le plus