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1837

« Tout le monde se représente, sans doute, en quoi consiste l’offensive dans les conditions de la guerre actuelle, où les deux fronts ennemis allant de la mer à la Suisse neutre, ne peuvent être tournés, et où il faut aborder l’obstacle en face.

« On accumule de l’artillerie sur un point. On arrose les tranchées voisines ; puis, quand on les croit suffisamment foudroyées, quand on a fait cisailler les fils de fer qui les protègent par des équipes du génie, quand on a pris ses dispositions pour balayer les routes par lesquelles les renforts pourraient venir à l’ennemi, l’infanterie sort de ses abris.

« Minute tragique. On était dans des trous, plus ou moins abrité, protégé soi-même par des fils de fer. On n’avait à redouter que les marmites ennemies. Voici qu’il faut sortir à découvert dans un espace le plus souvent nu, où les balles sifflent, où les mitrailleuses ennemies, si elles sont bien maniées, peuvent en quelques minutes, foudroyer des centaines, des milliers d’hommes.

« Malgré l’instinct de conservation qui vous pousse à vous cacher, on prend son courage à deux mains. On pense aux siens une dernière fois : à sa mère, à sa femme, à ses enfants, à ses amis, à qui, de sa poitrine on fait, ce jour-là, un rempart. On se souvient des abominations commises par les Allemands. On pense qu’on n’est pas un lâche, que l’honneur vous oblige d’avancer. Et on sort de l’abri, au pas de course, grisé, électrisé, enragé. (Et j’ajoute : rendu fou furieux par la gnote).

« Si on atteint la tranchée ennemie, c’est le corps-à-corps sauvage, féroce, à la baïonnette, à coups de crosse, à coups de couteau !

« Gain : On a avancé de 50 mètres, de 100 ou de 200 mètres.

« On est à peine installé dans la tranchée conquise que les marmites ennemies commencent à vous pleuvoir dessus ; il faut parer aux contre-attaques de l’infanterie ennemie qui est dans les tranchées voisines, à quelques mètres en arrière ; la nuit venue, il faut dormir d’un œil sur la terre nue, humide, glacée, sans rien de chaud dans l’estomac.

« Et le lendemain il faut recommencer contre la tranchée suivante, où l’ennemi averti, est en force.

« Quand un corps d’armée a fait ce métier-là deux ou trois jours, il est sur le flanc ; il faut, si on en a un sous la main, en appeler un autre. Mais comme l’ennemi, dès la première attaque, est sur le qui-vive, il garnit solidement ses tranchées, fait venir des renforts, de l’infanterie et de l’artillerie, consolide son mur : et on a beau lancer des troupes fraîches, on ne passe pas.

« L’affaire de Champagne est la dixième preuve que nous avons, depuis le début de cette guerre, de l’impuissance de l’offensive contre un ennemi retranché qu’on ne peut tourner.

« Méditez cette série :

« 7 et 21 août : échec des deux offensives françaises en Alsace.

« 21 août : échec de l’offensive française en Lorraine annexée.

« 23 août : échec de l’offensive française en Belgique.

« 5 septembre : échec de l’offensive allemande à la bataille de la Marne.

« 14-18 septembre : échec de l’offensive française sur l’Aisne.

« 15-28 octobre : échec de l’offensive allemande sur l’Yser.

« 30 octobre-15 novembre : échec de l’offensive allemande à Ypres.

« 15 décembre-10 janvier : échec de l’offensive française, se terminant par l’échec de Crouy.

« 15 février-15 mars : échec de l’offensive française en Champagne.

« Ajoutez-y les échecs de l’offensive russe en Prusse orientale ; de l’offensive allemande en Pologne ; de l’offensive autrichienne en Galicie et en Serbie.

« Avec les armes modernes, quand il attaque un ennemi retranché, l’assaillant est donc sûr de son affaire, et si par hasard l’offensive réussissait, ce serait au prix d’épouvantables sacrifices.

« Je ne dis pas qu’il ne faudrait pas s’y résigner, s’il n’y avait pas d’autre moyen de terminer la guerre.

« Mais il y a un autre moyen. » (12 mars 1915, Gustave Hervé, Guerre Sociale.)

Ce moyen c’est, on l’a lu plus haut, de laisser faire une offensive formidable de l’ennemi et de faire aussitôt une contre-offensive plus formidable encore. Et le stratège de la Guerre sociale, termine ainsi :

« Pour apercevoir des vérités aussi aveuglantes, il n’y a vraiment pas besoin de sortir de l’École de guerre. »

Enfin pour terminer nos extraits qui viennent à point pour nous fournir des arguments sur le mot Offensive et aussi pour contredire avec raison l’orthodoxie de l’état-major dans sa méthode d’offensive, citons :

« Par leur attaque foudroyante et axphyxiante ils ont crevé nos premières lignes au nord d’Ypres, mais des renforts sont accourus en toute hâte et un barrage solide, infranchissable, semble établi aujourd’hui.

« Avec les armes terribles dont on dispose, l’offensive contre un adversaire qu’on ne peut tourner et qu’on est obligé d’aborder de front a toujours échoué depuis le début de la guerre. Un homme abrité dans sa tranchée en vaut dix s’il ne perd pas la tête. »

C’est donc, par la logique du raisonnement qu’on arrive à conclure que l’offensive est une méthode n’ayant d’attrait que pour des chefs pour lesquels le sang, la vie des hommes ne compte pas.

Ni Turenne, ni Vauban, ni Catinat et combien d’autres illustres capitaines, n’eussent, à leur époque été aussi prodigues du sang des autres, eussent-ils risqué de ne pas être victorieux au nom de la France et de son roi. Louis XIV, d’ailleurs, à son lit de mort, donnait à son successeur ce sage conseil : « Mon fils, ne m’imitez pas, j’ai trop aimé la guerre ! »

Pourtant, ce sont les hommes qui se prétendent partisans de la Monarchie absolue qui chantent le plus haut la gloire des armes et proclament les bienfaits de la guerre. Ils affichent des convictions religieuses, en oubliant ou en ignorant les immortelles pensées d’horreur et de répulsion exprimées contre la guerre par les grands esprits qui honorent la chaire et la littérature chrétiennes. Ce sont ces éléments, jeunes ou vieux, de la réaction monarchiste et cléricale qui ont le plus exalté la méthode qui nous valut désastres et hécatombes irréparables. C’est leur presse infâme ou monstrueusement inconsciente qui créa ou entretint dans l’opinion publique l’horrible mentalité guerrière approuvant, aimant la méthode sauvage de l’offensive, qui fit tant de morts. Écoutez-les, osant parler pour eux, s’écrier :

Sur nos tombeaux
Les blés pousseront plus beaux !

J.-L. Durandeau a publié dans le numéro spécial du Crapouillot d’août 1930, un article intitulé : « La Guerre à l’Arrière », où il écrit ceci :

« C’est en 1917 que la guerre, sur le front français, prit son visage le plus affreux : ce fut l’époque des mutineries (voir ce mot). Les uns attribuent ces révoltes à la propagande défaitiste, les autres au terrible découragement des soldats auxquels on avait promis la « percée » après l’échec sanglant de l’offensive du Chemin des Dames. Les mutineries durèrent de fin mai au 15 juin et touchèrent 115 unités dont 75 régiments d’infanterie, 23 bataillons de chasseurs, 12 régiments d’artillerie. »

C’est à Cœuvres qu’eut lieu la rébellion la plus tragi-