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reprendre, l’instant venu, son mouvement, soit à faire face, le cas échéant, à une attaque débouchant de Metz, qui n’est qu’à 41 kilomètres…

« Alors, dans la brume dense, où le jour point à peine — il est quatre heures du matin — la fusillade éclate. L’artillerie lourde tonne. Ce sont les Allemands, non l’armée Castelnau, qui attaquent. Ils marchent au signal attendu de leur prince. C’est leur heure !…

« Leur plan ? Arrêter notre droite sur le canal des Salines ; attirer notre gauche sur le bastion de Morhange, tandis que, de flanc, les menaceront les troupes de Metz. Il se réalise point par point. Au moment même où les 15e et 16e corps allaient prendre l’offensive sur Benestrof, la ligne du 16e est écrasée d’un bombardement continu. Les masses ennemies cheminent à travers bois. Nos charges à la baïonnette n’immobilisent qu’en de courts ressacs l’irrésistible avance du flux bavarois… Le 16e corps doit reculer ; il a, le soir, perdu 13 kilomètres… Influencé sur sa droite par l’échec devant Sarrebourg, du 8e corps (armée Dubail), au point d’avoir, dès le matin, fait acheminer vers le sud ses propres parcs et convois, il avait été en même temps ébranlé à sa gauche, par le sort non moins malheureux du 15e.

« Celui-ci, — après avoir, jusqu’à 10 heures, progressé avec l’une de ses divisions dans un sol marécageux et, avec l’autre, vaillamment résisté à Bidershoff et à Lindre-Haute — est assailli d’une telle averse de fer, est poussé d’une telle violence, qu’il faut, bon gré mal gré, plier. A Dieuze, puis au sud de la ville et au sud-ouest de Gelucourt, ces vaillants opposaient même retour de flamme, mais contre un feu si terrible qu’il faut définitivement rompre ; on ne se rallia que quinze kilomètres en arrière.

« Au 20e, même aventure, plus caractéristique encore. Des trois corps engagés, c’est celui-ci qui, ayant attaqué le premier, le premier est démoli, rejeté. C’est Foch qui entraînait, en lâchant pied, les voisins.

« Contrevenant aux ordres formels du commandant d’armée, qui lui avait prescrit l’expectative, le commandant du 20e a, lui-même, ordonné de se rendre indiscutablement maître des hauteurs de Baronville, Morhange et d’agir ensuite, par la droite, en liaison avec le 15e… C’est le mouton qui se lance dans la gueule du loup. Ou, si l’on préfère une autre comparaison animale, c’est, dit M. Engeraud, le chien de chasse impétueux qui bourre, au premier coup de feu de l’ouverture… Hélas ! le chien de chasse était, en l’espèce, maître d’équipage et découplait la meute…

« Mais passons la plume à M. Hanotaux. On ne saurait s’exprimer plus clairement : « Le 20e corps, fier de sa force et de sa renommée, emporté par cette joie de l’offensive qui fut la grande séduction de notre doctrine et le noble entraînement de notre armée au début de la guerre, ne sut pas résister à la tentation de frapper un coup décisif : interprétant plutôt qu’appliquant les ordres du général d’armée, il tira sur la bride et se trouva ainsi, de tous les corps, celui qui s’engagea le plus dangereusement dans le piège que l’ennemi nous avait tendu. »

« Résultat : A cinq heures du matin, les deux divisions de Foch viennent s’écraser contre le front de fer et de feu des positions ennemies ; l’artillerie lourde et puis la contre-attaque de deux corps d’armée les balaye. Contre-attaque ou plutôt, selon le terme de la relation allemande, véritable attaque de surprise, qui, en dépit de l’héroïsme de nos belles troupes, et, comme dit M. Hanotaux, de leur noble entraînement, fit de cet impulsif élan un carnage instantané ! Une heure et demie ne s’était pas écoulée, que le général de Castelnau donnait au général Foch l’ordre de suspendre son offensive… (6 h. 30). Aussi bien, après quelques heures de furieuse résistance, l’une des divisions, la 39e, devait, sous l’acharnement allemand, reculer jusqu’à Château-

Salins, ramenant avec elle jusqu’à Londrequin la 11e division, dans un repli de plus de 10 kilomètres.

« C’est à ce tragique coup d’arrêt qu’aboutissait avec trente-cinq ans d’aveuglement la « grande séduction » de la doctrine de l’École de guerre, revue et augmentée par le Cercle des hautes études militaires. Et, par un autre enseignement, dont il semble que personne n’ait jusqu’ici songé à tirer les conséquences, c’est grâce à la désobéissance personnelle de l’un des professeurs les plus séduisants de la doctrine, que la tragique leçon de Morhange fut, en un des tournermains les plus saisissants de l’histoire, infligée à la France.

« Il fallait, à cette leçon, un exemple. Il eut lieu. Fut-ce sur le plus visiblement responsable, c’est-à-dire sur le général Foch, qui, commandant du 20e corps, le précipita à l’avant, contrairement aux ordres du général d’armée, et compromit ainsi, irrémédiablement, le sort de la journée ? Car, malgré la solidité avec laquelle la brigade mixte coloniale, à la gauche du 20e corps, protégea sa retraite, malgré la courageuse endurance dont, attaquées par les troupes de Metz, firent preuve les divisions de réserve du général Léon Durand, découvertes par le repli de Foch, c’est à l’échec foudroyant de celui-ci, dès le matin, qu’est dû, bien plus encore qu’au recul des petits 15e et 16e corps, l’ordre général de retraite édicté, à 16 heures, par le commandant d’armée…

« Ce fut cependant sur le malheureux 15e corps et ses contingents méridionaux que le haro s’abattit… On se souvient de l’incident, encore mal éclairci… Journaux et parlementaires — inspirés par qui ? de fulminer ; et le sénateur, M. Gervais, d’écrire même (Matin, 24 août) : « Le ministre de la Guerre, avec sa décision coutumière, prescrit les mesures de répression immédiates et impitoyables qui s’imposent ». On frémit, en relisant ces lignes, et en songeant à ce que purent être ces « mesures de répression » qui, « immédiates et impitoyables » firent expier aux soldats le crime des chefs.

Voilà donc, en détails, l’histoire d’une illustre offensive, voulue, dirigée par l’illustre Foch qui ne s’en tint pas à cet exploit… Car ce ne fut pas lui qui fut frappé, bien qu’absolument responsable de l’hécatombe de Morhange, ce furent les soldats du 15e corps, coupables d’être des « rescapés » du merveilleux fait d’arme du professeur de l’Ecole de guerre, apôtre remarquable de la fameuse doctrine dont on sait les résultats.

Mais Foch avait fait école et, de plus, il avait pour lui tout ce qui, plus ou moins gradé, alliait facilement le sabre au Goupillon. Salles de rédaction des journaux ennemis de la Gueuse, salons de réception des maisons bien pensantes et des sacristies donnaient le ton, pour juger le soldat chrétien ayant désobéi à son chef. Castelnau avait eu raison d’ordonner, mais Foch n’avait pas eu tort de désobéir, puisque ni l’un ni l’autre n’étaient des généraux républicains, au contraire. On comprend alors que les pauvres soldats du 15e corps méritaient d’être châtiés du crime de Foch.

A l’arrière, l’on discuta fort de cela au moment même où la crainte de nouvelles mauvaises paralysait toutes les raisons logiques pour oser juger sainement des faits que l’on savait dénaturés par ceux-là mêmes qui les connaissaient le mieux. Ce qu’il ne fallait pas surtout, c’était critiquer les professeurs de l’Offensive en action.



Je retrouve encore un article de Gustave Hervé, intitulé : « La Leçon de Champagne », qui, tout entier, avait été supprimé comme subversif parce qu’il était trop vrai pour la censure. J’en extrais ces lignes :

« Ce que je veux dire, c’est que la bataille qui durait depuis un mois en Champagne, marque une nouvelle faillite de l’offensive contre des troupes retranchées qu’on est obligé d’aborder de front.