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contre, le produit d’un état de maladie physique ou morale, neurasthénie ou hypocondrie. L’affaiblissement des forces nerveuses produit la première ; les douleurs, les ambitions déçues entretiennent la seconde. Que de « grands hommes » méconnus pour qui le monde n’est mal fait que parce qu’il n’a pas les yeux sur eux et ne fait pas leur fortune !… Quand ils se bornent à extravaser leur bile et qu’ils ne font pas des cabotins du crime, cela n’a pas d’importance. Mais trop souvent, des Victor Hugo ratés font des Lacenaire. Constipés, dyspeptiques ou ratés qui ne sont pas toujours « tombés d’un trop haut idéal », tels sont généralement les pessimistes. Tels sont les faux savants qui interprètent Darwin à l’envers, tel ce Quinton qui a écrit les insanités suivantes : « Le monde est aux impudents. La guerre est l’âge d’or. L’action pour l’honnête homme n’est possible qu’à la guerre. La joie de tuer est profonde. Les jours qui terminent les guerres sont des jours de deuil pour les braves. Tu n’as pas à comprendre les peuples, tu n’as qu’à les haïr. En dehors de la maternité chez la femme et de la guerre chez l’homme, l’être humain n’est que petitesse et ordure. Le pacifisme est un attentat à l’honneur. C’est la grandeur de la guerre de déchirer les contrats. » Propos bien dignes de cet hypertrophié du « moi » qui disait aussi : « En dehors de moi, tout n’est que vices, sottise, folie. »

Or, si Darwin a constaté, dans son système de l’évolution organique, la « lutte pour l’existence », il a placé au-dessus de cette lutte « l’accord pour l’existence », sans lequel les plus féroces « lutteurs », parasites malfaisants, auraient disparu depuis longtemps avec le vieux monde tourneboulé par eux. « La preuve nous en est donnée par ce fait que les espèces les plus heureuses dans leur destinée ne sont pas les mieux outillées pour la rapine et le meurtre, mais, au contraire, celles qui, munies d’armes peu perfectionnées, s’entr’aident avec le plus d’empressement : ce sont non les plus féroces, mais les plus aimantes. » (E. Reclus.) Et ne prenons pas comme exemple contraire celui de la prétendue prospérité de cette Europe actuelle, où sévissent tant de Quintons et qui est la mieux outillée pour la rapine. D’abord, elle n’est pas heureuse, cette Europe. Ensuite, elle ne tardera pas à s’engloutir dans sa propre ordure si elle continue à suivre les « surhommes », mégalomanes assoiffés de domination, qui exploitent la lâcheté du troupeau en se donnant des airs « nietzschéens », mais ne sont que de vulgaires aventuriers.

Quand Renan disait : « Il est des temps où l’optimisme fait involontairement soupçonner chez celui qui le professe quelque petitesse d’esprit ou quelque bassesse de cœur », il jugeait comme il convenait l’optimisme des égoïstes, satisfaits même aux temps des Soulouques grotesques et sanglants qui règnent trop souvent sur la sottise des peuples.

L’optimisme dans l’actuel est l’adhésion à cet actuel ou à ce qu’il peut produire. Celui qui porte en soi un rêve quelconque de justice sociale, de perfectionnement humain, ne peut posséder cet optimisme en face de l’état social ; mais il peut croire à des possibilités de transformation de cet état et il y travaille. L’optimisme du révolutionnaire, de celui qui revendique et ne se résigne pas à la servitude, ne peut commencer que là, dans la possibilité qu’il voit d’aboutir au résultat qu’il recherche et qui stimule son effort.

Un déiste est, d’après l’arbitraire définition philosophique, un optimiste. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes que pouvait créer son Dieu parfait. Pourquoi, et d’ailleurs comment, sinon par des entreprises chimériques et condamnables, demander et obtenir mieux ? Le déiste bénit la main qui le frappe. Il appelle la « bonne souffrance » qui sanctifiera son effort vers le divin. Il est même si heureux de vivre dans une « vallée de larmes », qu’il a la terreur de la mort. Aucun homme n’a cette terreur à un plus haut

degré que le prêtre. Est-ce l’incertitude du jugement d’un Dieu à qui il prétend s’être « consacré » qui lui apporte cette terreur ou, simplement, comme pour le plus vulgaire des jouisseurs, parce que la vie lui est généralement bonne, qu’il sait ce qu’il va perdre et ne sait pas ce qu’il trouvera ? Contradictions dans tout cela et dont la raison n’est autre que la fallacieuse interprétation philosophique de l’optimisme. Toute la nature, l’humaine en particulier, est en révolte contre cet optimisme de déchéance et de mort. C’est pourquoi tant de gens qui devraient être heureux de mourir puisqu’ils vont enfin connaître les « félicités du ciel », sont dans la terreur à l’heure de la mort.

Le véritable optimisme qui est sain, normal, naturel, est établi, non sur les sortilèges de l’au-delà, mais sur les bases solides de la conscience, aussi loin de l’égoïsme béat du porc humain à l’engrais que des séraphiques extases. C’est celui du Taciturne : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » C’est celui de l’esprit libertaire toujours vigilant chez l’homme conscience de la nature, et qui n’a jamais cessé de le faire progresser dans son individualité et dans le groupe humain. Que cette conscience, chez la majorité des hommes, n’en soit encore qu’au stade de la sauvagerie perfectionnée qu’on appelle le nationalisme, qu’elle n’ait pas encore atteint la sphère de sagesse où la raison dominera la force, elle ne s’est pas moins dégagée de la conception du clan primitif pour monter vers l’humanité. « Vous verrez venir encore une grande réaction. Tout paraîtra détruit de ce que nous défendons. Mais il ne faut pas s’inquiéter. Le chemin de l’humanité est une route de montagne ; elle monte en lacets, et il semble par moments qu’on revienne en arrière. Mais on monte toujours. » (Renan). Voilà le véritable optimisme qui est sain, normal, naturel.

S’il existait une philosophie pessimiste, elle dirait sans doute : « La nature n’a pas de but et tout finit par la mort. » (H. Astié. Plus loin. Mars 1931). Mais le pessimisme n’a produit aucun système philosophique, pas plus sur ces bases que sur d’autres, parce qu’elles n’ont aucune solidité non seulement expérimentale mais aussi dialectique. D’abord, n’est-il pas inexact de dire que tout finit par la mort puisque la vie est en incessant renouvellement ? Ensuite, quelle certitude a-t-on que la nature n’a pas de but ? Et, en aurait-on la certitude, en quoi cela justifierait-il le pessimisme plutôt que l’optimisme ? C’est comme si l’on disait qu’on doit être pessimiste parce qu’on ne sait pas si Dieu existe ou s’il y a des habitants dans la lune. En quoi ces questions peuvent-elles empêcher de goûter la vie, de la vouloir et de la faire meilleure pour nous et pour ceux qui nous suivront, d’espérer que le progrès scientifique dont les résultats ont été jusqu’ici uniquement matériels, permettra un jour le progrès moral auquel aspirent tous ceux qui rêvent des temps nouveaux ? « Utopie ! » ricanent d’égoïstes esprits pour qui le monde finira avec eux. Mais les utopies sont les réalités de demain. — « Il y aura toujours des guerres ! » gémissent les avachis résignés d’avance aux prochaines « dernières ». — « Les hommes ne sont jamais que des sots ou des fripons », disent des moralistes qui prétendent posséder toutes les vertus mais n’admettent pas que d’autres puissent les avoir ou les acquérir, la mère des gens vertueux étant morte avec la leur.

Ce qui est encore plus inadmissible, c’est ce qu’ajoute ce pessimisme : « Pratiquement, il faut accepter la vie. » — Il faut !… Pourquoi faut-il ? A la suite de quelle loi, de quel credo, de quel catéchisme, par quelle sorte de mystique faut-il accepter la vie si on la trouve mauvaise, décevante et sans but ? Est-ce par devoir envers Dieu, envers les autres hommes, envers soi-même ? Mais alors la vie a un but, il y a une raison de poursuivre ce but et on a encore le goût de vivre ; on n’est plus pessimiste que pour en dégoûter les autres.