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turpitudes : « Il faut croire en l’humanité tant qu’il y aura, ne fût-ce qu’un homme honnête et véridique. Car douter serait blasphémer l’idéal en cet unique dépositaire de sa lumière. » (Jean de Saint-Prix. Lettres.) — Edouard Rothen.

OPTIMISME. A l’opposé du pessimisme qui trouve l’univers mauvais, la vie indigne d’être vécue, l’optimisme estime l’existence bonne, le monde organisé de la meilleure façon possible. D’instinct, par tempérament, ou en raison de circonstances et de conditions de vie particulières, certains voient tout en rose, sont constamment satisfaits de leur sort, découvrent un bon côté même aux événements défavorables. Cet optimisme sentimental peut être un adjuvant utile pour l’action, lorsqu’il résulte soit d’une exubérance d’énergie physique, soit de la fermeté d’un vouloir que les obstacles ne découragent pas. Souvent, non toujours, il implique un profond égoïsme et une complète indifférence pour la douleur du reste des humains. Quant à l’optimisme béat, fruit de l’ignorance ou d’une incorrigible myopie mentale, il ne mérite pas d’être pris au sérieux. Aussi bien négligerons-nous systématiquement l’optimisme instinctif, pour traiter seulement de l’optimisme philosophique. Mais nous ne nions pas que, chez maints penseurs, les idées dérivent du tempérament, ni que les conditions sociales ou les événements de l’existence individuelle interviennent activement dans la production de bien des doctrines morales, religieuses et métaphysiques.

Intimement lié à celui de l’existence et de la nature de Dieu, le problème de l’optimisme fut, en général et d’une façon au moins indirecte, résolu par l’affirmative dans les principales métaphysiques anciennes. Avec le christianisme et la croyance en un dieu, tout ensemble souverainement puissant et souverainement bon, il devient particulièrement difficile d’expliquer l’existence du mal. Les Pères de l’Église s’y employèrent de leur mieux, sans accoucher d’autre chose que de niaiseries théologiques sur la désobéissance de nos premiers parents et le péché originel. Du point de vue philosophique, c’est chez saint Augustin que nous trouvons l’effort le plus sérieux pour donner une base rationnelle à l’optimisme chrétien. Afin de légitimer les crimes patents et quotidiens, dont se rend coupable la Providence, il ose déclarer que la souffrance et le mal ajoutent des charmes merveilleux à la beauté de l’univers. Tant pis pour les malheureux que dieu tourmente sur terre ou dans la rôtissoire infernale ! Jésus, que l’on ose appeler la bonté infinie, avait besoin, paraît-il, de larmes et de sanglots pour manifester sa gloire avec plus d’éclat. Et cette monstrueuse argumentation sera reprise par tous les penseurs chrétiens ! Dans la misère humaine, et dans les imperfections de l’univers, dieu trouve son compte, voilà ce que déclare catégoriquement saint Augustin : « S’il n’était pas bon que le mal lui-même se produisit, le Dieu bon, qui est tout-puissant, ne permettrait pas ce mal : il lui est, certes, facile de faire ce qu’il veut ; mais il lui est également facile de ne pas permettre ce dont il ne veut pas l’existence. » Notre misère étant utile au créateur, comme les ombres sont utiles dans un tableau, nous aurions tort, paraît-il, de nous plaindre : « Rapportez toutes choses à la perfection de l’univers, et vous verrez que, si chacune d’elles est plus ou moins lumineuse que les autres, le total y gagne un plus parfait éclat. » Suivent des couplets sur l’impossibilité, pour notre faible intelligence, de comprendre comment dieu reste juste et bon tout en étant si cruel : « Parce qu’elle est plus haute que la justice humaine, la justice de Dieu est aussi plus inscrutable. Pensez à cela et ne comparez pas Dieu exerçant la justice, aux hommes exerçant la justice ; Dieu est certainement juste, même lorsqu’il fait ce qui paraît injuste aux hommes, et ce que l’homme ne pourrait faire sans

injustice » Pour se dispenser de fournir des explications impossibles, saint Augustin se borne, selon une habitude chère aux théologiens catholiques, à invoquer l’impénétrable opacité des divins mystères. Et sans vergogne, il ose conclure : « A quelque supposition que notre pensée s’arrête, elle trouve qu’il faut toujours louer Dieu, le créateur très bon et l’organisateur très juste de tout ce qui existe. »

Mêmes sophismes chez saint Thomas-d’Aquin, le chef incontesté des scolastiques. Il estime que la Providence a tout disposé de si harmonieuse façon que le monde peut être considéré comme parfait, non au sens absolu, mais en ce sens qu’il est la très fidèle expression des desseins du créateur, desseins admirables autant par la magnificence de l’exécution que par la sagesse de la conception. Pour l’Aquinate, comme pour l’évêque d’Hippone, dieu fait bon marché des individus et ne s’intéresse qu’à l’ensemble. Ce qui suffit, pense-t-il, à justifier l’existence du mal : « Dieu fait ce qu’il y a de mieux pour l’ensemble, mais non ce qu’il y a de mieux pour chaque partie, à moins que les parties ne soient considérées dans leur rapport avec le tout. Or, le tout, c’est-à-dire l’universalité des créatures, est meilleur et plus parfait s’il renferme des êtres qui puissent s’écarter du bien, et qui en effet s’en écartent avec la permission de Dieu, qui leur a laissé la liberté. » Il ajoute ailleurs : « La perfection de l’univers demande qu’il y ait de l’inégalité parmi les êtres, afin que tous les degrés de la perfection soient reproduits. Or, c’est un degré de la perfection qu’il y ait des êtres si excellents qu’ils ne puissent jamais défaillir. Et c’est un autre degré de la perfection qu’il y en ait qui puissent s’écarter du bien. La nature nous offre elle-même ce spectacle dans le domaine de l’être ; car il y a des êtres qui ne peuvent perdre l’existence, étant incorruptibles de leur nature ; et il y en a qui peuvent la perdre, étant sujets à la corruption. Si donc la perfection de l’univers demandait qu’il y eût non seulement des êtres incorruptibles, mais encore des êtres corruptibles, elle demandait pareillement qu’il y en eût de capables de s’écarter du bien. » Avec cynisme, l’Ange de l’École déclare même : « Il y aurait une foule de biens anéantis si Dieu ne permettait pas au mal d’exister. La mort des animaux dévorés par le lion est ce qui le fait vivre ; de même, sans la persécution des tyrans, nous ne serions pas témoins de la patience des martyrs. » Ce qui n’empêche point le même Thomas de proclamer dieu infiniment bon ! On ne saurait pousser plus loin l’inconscience ou la mauvaise foi.

Au xviie siècle, Malebranche, un autre optimiste fameux, reconnaîtra que dieu est égoïste au suprême degré, et que son univers, excellent pour lui-même, ne l’est pas toujours pour ses créatures. L’être infiniment parfait, déclare-t-il, s’aime invinciblement lui-même plus que tout le reste ; il n’aime rien que par rapport à lui et n’a jamais, lorsqu’il agit, d’autres fins que lui-même. En dieu « tout autre amour que l’amour-propre serait déréglé ». Ne devant songer qu’à sa gloire, le créateur produit le monde le plus parfait possible : « La sagesse de Dieu lui défend de prendre de tous les desseins possibles celui qui n’est pas le plus sage. L’amour qu’il se porte à lui-même ne lui permet pas de choisir celui qui ne l’honore pas le plus. » Mais c’est moins la perfection de l’univers, en elle-même, que la manière dont cette perfection est obtenue qu’il faut considérer. « Non content que l’univers l’honore par son excellence et sa beauté, Dieu veut que ses voies le glorifient par leur simplicité, leur fécondité, leur universalité, par tous les caractères qui expriment des qualités qu’il se glorifie de posséder. » Malebranche écrit ailleurs : « Un monde plus parfait, mais produit par des voies moins fécondes et moins simples, ne porterait pas tant que le nôtre le caractère des attributs divins. Voilà pourquoi le monde est rempli d’impies,