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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/528

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1871

rieur, le transmet à des organes, à des muscles en nombre quelconque ; il accomplit une action intégrative, il fait de l’organisme un tout. Il est si peu dans son rôle d’exercer une action propre, que l’on pourrait qualifier d’autoritaire, que l’on a pu énoncer la loi suivante : « Tout instinct tend à se détruire en devenant conscient. Toutes les fois que la réflexion se porte constamment sur un instinct, sur un penchant spontané, elle tend à l’altérer… Si un pianiste, par exemple, joue par cœur un morceau appris mécaniquement, il faut qu’il joue avec confiance et rondeur, sans s’observer de trop près, sans vouloir se rendre compte du mouvement instinctif de ses doigts : raisonner un système d’actions réflexes ou d’habitudes, c’est toujours le troubler. » (Guyau). L’acte qui a été suivi de succès, qui a été intégré à la personnalité, peut et doit, dans les mêmes circonstances, se reproduire sans intervention autoritaire du cerveau.

Ce que nous constatons c’est donc l’autonomie d’un certain nombre de fonctions associées et harmonisées les unes avec les autres, se compliquant progressivement. Nulle manifestation « d’hégémonie d’appareils centraux et dans la centralisation l’on ne peut voir que l’activité synergique et solidaire de segments autonomes, due à la compénétration évolutive de leurs éléments. » (Brugia, Université de Bologne, 1929.)



Pourquoi cette autonomie qui règne dans un groupement de cellules vivantes dont la solidarité est particulièrement étroite puisqu’elle résulte à la fois de la contiguité, de la communauté du milieu, des connexions nerveuses et humorales, pourquoi serait-elle refusée aux fonctions parcellaires dans le corps social, aux individus dans la fonction ?

Chose curieuse, ces possibilités ont été bien mises en évidence par des juristes conservateurs et, il faut le dire, souvent reniées par eux lorsqu’ils ont vu où la logique les conduisait. Professant, sans doute, le principe de Veuillot : réclamer la liberté quand les adversaires sont au pouvoir ; la leur refuser quand on est maître ; ils ont énergiquement contesté la souveraineté de l’État. Ils lui ont opposé la théorie de l’Institution.

Une institution est une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social : elle résulte de la communion des hommes dans une idée. C’est le corps, la réalité, l’être issu de cette communion, c’est une idée dotée des voies et moyens qui lui permettent de s’établir, de se réaliser, de se perpétuer, en prenant corps et existence objective. Les éléments de l’institution sont donc : l’idée directrice ; l’autorité, c’est-à-dire un pouvoir organisé qui n’a pas sa fin en soi, qui est au service de l’idée directrice pour sa réalisation et trouve ses limites dans les exigences de cette réalisation ; la communion de tous les membres du groupe autour de l’idée directrice et de sa réalisation. (Hauriou, Renard, Delos.)

De par cette dernière condition, l’individu, plus encore que ne le pensent les protagonistes de la doctrine, échappe au risque d’être sacrifié à des forces collectives. Entre collaborateurs unis volontairement pour la poursuite d’un but commun, il peut y avoir reconnaissance d’une supériorité de savoir ou de pratique, il n’y a pas, à proprement parler, d’assujettissement à une autorité. D’ailleurs : « l’emprise de chaque institution sur ses membres n’est pas totale, mais a pour mesure l’idée directrice, l’objet spécialisé de l’institution qui trace ainsi les limites du pouvoir de l’autorité institutionnelle. » (G. Morin, 1931) Au contraire : « Toute organisation achevée est un vase clos, c’est-à-dire une prison pour l’individu. La vie sociale a trouvé un procédé fort simple de libération, qui est la multiplication des organisations appelées à se disputer un

même individu. Celui-ci peut les opposer l’une à l’autre, se faire protéger par l’une contre l’autre. » (Hauriou, Premières Œuvres.)

L’organisation d’ensemble n’implique pas davantage autorité. « Le génie propre de la nation est de faire corps d’une façon décentralisée et pour ainsi dire ganglionnaire, grâce à un chapelet d’institutions autonomes en connexion les unes avec les autres. » (Hauriou.) « Les institutions autonomes réunies, et qui, à certains égards, peuvent réfracter la souveraineté de la nation, doivent collaborer avec les services publics de l’État en restant indépendants d’eux et en leur formant contrepoids. » (Gurvitch, 1931.)

Mais si les services publics sont eux-mêmes constitués en institutions autonomes, ayant pour fonction d’harmoniser le jeu des institutions parcellaires englobant l’immense variété des activités civiques et économiques, tout vestige d’État autoritaire, de souveraineté ne peut-il pas disparaître ? Et n’est-ce pas vers cette structure sociale que nous nous acheminons peu à peu ? — G. Goujon.

ORGANISATION. Au sens propre, ce mot sert à désigner le mode selon lequel sont disposées les diverses parties d’un corps, pour l’accomplissement des fonctions auxquelles il est destiné. Exemple : l’organisation du corps humain. Au sens figuré, il sert à désigner le plan et la division du travail à effectuer en vue d’une réalisation quelconque, ou en vertu duquel cette réalisation est opérée. Exemple : l’organisation d’un congrès ; l’organisation politique d’une société. Le mot organisation est employé aussi pour désigner tout groupement formé en conformité d’un plan, et qui s’occupe d’en atteindre les objectifs. C’est ainsi que l’on dit : les organisations syndicales, pour désigner les groupements formés dans cette intention.

Une organisation qui se forme suppose un but poursuivi par elle et, nécessairement, des règles précises en conformité de ce dernier.’Une organisation rationnelle est celle dans laquelle le but étant bien nettement défini, et les moyens de réalisation reconnus, après mûr examen, conformes aux données de l’expérience, chacun est appelé à remplir le rôle le plus en rapport avec ses aptitudes, dans la parfaite harmonie d’action de l’ensemble. Une organisation défectueuse est celle dans laquelle, le but étant mal précisé, et le choix des moyens d’action laissé au hasard, il y a confusion, désordre et, finalement, gaspillage de temps et d’énergie en luttes intestines. Une organisation est disciplinée lorsque chacun de ses membres, se rendant compte, tant de l’intérêt du résultat recherché, que de l’importance de sa fonction propre, place au-dessus de toute autre considération le succès de l’œuvre entreprise et se conduit en conséquence, quitte à faire bon marché de certains désirs personnels.

Il n’est pas nécessaire qu’une organisation, pour fonctionner correctement, ait à sa tête un despote, mais l’observation des faits démontre qu’elle ne prend naissance et ne se développe qu’à la condition que des individus actifs, des animateurs doués d’initiative, et possédant des aptitudes particulières d’administration, lui donnent vie et lui assurent la prospérité. S’ils disparaissent et ne sont point remplacés, l’organisation périclite, des dissensions éclatent, et les éléments du groupe se dispersent.

Pour mener à bien un plan d’organisation, il est d’une importance capitale de ne pas tenir compte seulement des conclusions d’une logique abstraite, ou des appels du sentiment, mais encore et surtout des ressources comme des périls, offerts par le milieu particulier dans lequel on se propose d’agir, à une époque donnée. La psychologie des peuples latins n’est pas celle des germains ou des slaves. La mentalité du paysan n’est pas celle de l’ouvrier des villes. Les possi-