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1872

bilités offertes par un milieu éduqué et sensible ne sont pas celles offertes par un milieu illettré, superstitieux et brutal. Il a été dit : « Etre c’est lutter, vivre c’est vaincre. » Il n’en est pas moins vrai que pour être avec persistance, et pour lutter avec succès, il faut se placer dans certaines conditions requises par la nature de ce dont nous sommes environnés. Il n’est pas d’être vivant qui puisse, sans se condamner lui-même à mort, échapper à la règle d’un minimum d’adaptation au milieu naturel dans lequel il évolue.

Il en est de même pour les organisations les plus diverses, à l’égard de l’ambiance sociale, et des conditions économiques, dans lesquelles elles sont appelées à se développer. Une des principales causes du malaise dont souffrent, en 1931, les grandes nations civilisées provient, de ce que, au siècle du machinisme à outrance, on s’obstine à conserver une organisation de la production, et de la consommation, plus en rapport avec les époques d’artisanat qu’avec le siècle des grandes usines perfectionnées. — Jean Marestan.

ORGANISATION. Manière dont les parties qui composent un être vivant sont disposées pour remplir certaines fonctions, nous dit laconiquement le Larousse. De toute évidence et depuis toujours, ce mot a eu une signification plus vaste. Et, de nos jours, cette signification s’élargit au fur et à mesure que la tendance à l’organisation, qui est l’une des caractéristiques essentielles de notre époque, se développe, se précise davantage, donne lieu à des essais, des conquêtes et des réalisations, plus considérables et sans cesse plus étendues.

Il est donc tout à fait normal que le mot « organisation », qui a pris une place si importante dans le vocabulaire social moderne, figure dans cette Encyclopédie.

En effet, s’il désignait, à l’origine, la manière dont les cellules d’un être vivant étaient disposées pour remplir leurs fonctions et assurer ainsi la vie et la reproduction de cet être, il n’est pas douteux qu’il exprimait déjà la façon dont ces fonctions s’accomplissaient, suivant certains principes, tels que la régularité, la spécialisation, la coordination, la solidarité, l’association et l’interdépendance, c’est-à-dire tout un système de vie aussi bien individuelle que collective.

Tous ces principes, qui sont l’expression d’autant de lois biologiques, et président à l’activité conjuguée, synchronique des cellules d’un être vivant, conservent, en effet, toute leur valeur si on les applique aux collectivités formées par ces êtres vivants et, plus particulièrement, aux collectivités humaines.

Et c’est ainsi que, depuis leur origine, ces collectivités ont toujours cherché, sous la pression des nécessités, des besoins, des aspirations de leurs membres, à se rapprocher de l’ordre naturel, en utilisant l’organisation.

Les efforts des hommes ont toujours tendu — et tendent plus que jamais — à solidariser l’activité de leurs semblables ; à spécialiser les efforts de chacun, selon ses aptitudes ; à coordonner et à associer ces efforts ; à s’allier avec d’autres collectivités de même nature, pour mieux assurer la vie de tous et de chacun.

Cependant, moins disciplinés que les cellules de l’être vivant, dont l’activité est ordonnée par la fonction naturelle, les hommes méconnaissent souvent, parce qu’ils les ignorent ou croient pouvoir les enfreindre sans danger, les lois biologiques les plus fondamentales.

Le résultat ne se fait, d’ailleurs, jamais attendre. Chaque fois qu’une cellule ou un groupe de cellules de collectivité humaine entrent en conflit avec d’autres cellules, chaque fois qu’une ou plusieurs d’entre elles empiètent sur la tâche, la fonction et la liberté des autres, la collectivité tout entière, désaxée dans son activité, subit une crise.

L’intensité et les conséquences de cette crise sont en

rapport direct avec l’importance et la force des collectivités restreintes et hostiles qui s’affrontent dans le sein du groupement humain. Ainsi s’expliquent les causes, les caractères et les conséquences des luttes sociales, jusques et y comprise la révolution.

Pour donner une idée exacte de ces luttes, il faudrait retracer ici toute l’histoire de l’Humanité. C’est absolument impossible. (Pour connaître les luttes soutenues par les organisations ouvrières, se reporter à l’étude que j’ai consacrée à la Confédération Générale du Travail, E.A., 1er volume, pages 388 à 416).

Je me bornerai donc à constater que, de tout temps, les hommes ont tendu, même à travers leurs luttes fratricides, à s’organiser. Les progrès qu’ils ont réalisés, dans tous les domaines, sont le fruit de l’organisation et, plus que jamais, les individus essaient de se grouper, de s’associer, de se fédérer, sur le plan de leurs intérêts de toutes sortes ; ils recherchent ce qui peut constituer, par voie de synthèse, leur intérêt collectif. Pour atteindre ce but, il ont créé des organisations (voir le livre Les Syndicats ouvriers et la Révolution Sociale, pages 109 à 192, dans lequel j’expose les principes du fédéralisme et le fonctionnement des organisations ouvrières, du Syndicat à l’Internationale, à l’image de celle de l’être vivant et qui s’efforcent de fonctionner suivant les mêmes principes).

Et il n’est pas douteux que, s’ils étaient parvenus à éliminer tout ce qui s’oppose à leurs rapports : les privilèges, la propriété, l’autorité et tout leur cortège d’appareils compressifs, coercitifs et oppressifs, et à substituer à cela l’égalité, la solidarité et l’entr’aide, la véritable collectivité humaine serait une réalité.

Malheureusement, ce stade n’est pas encore atteint. Les hommes sont divisés en deux grandes classes sociales, dont l’une, la moins nombreuse, mais la plus puissante, par les instruments qu’elle a créés, impose sa volonté à l’autre.

En ce moment, chaque classe, nettement séparée de l’autre, cherche à rassembler toutes ses forces sur le plan de ses intérêts particuliers et les fait mouvoir dans une direction déterminée, pour atteindre ses buts, qui sont diamétralement opposés à ceux de l’autre classe.

Deux grandes forces de sens contraire s’affrontent ainsi de façon permanente : l’une tend à laisser subsister et à renforcer l’ordre social actuel ; l’autre à le détruire, pour donner naissance à un ordre nouveau, aussi naturel que possible.

La première est organisée suivant le principe centraliste et étatique, commun au capitalisme et à tous les partis politiques ; la seconde est organisée suivant le principe fédéraliste, conforme à l’ordre qu’elle veut instaurer.

Le choc décisif, après des luttes secondaires, est inévitable. Et c’est de ce choc, dont l’issue ne fait aucun doute, que surgira la collectivité fraternelle basée, comme l’organisation humaine, sur la solidarité, l’entr’aide et l’interdépendance de tous les composants sociaux.

Ce sont les bases mêmes du syndicalisme révolutionnaire, fédéraliste et anti-étatiste : de ce groupement libre de travailleurs qui détruira le capitalisme et ouvrira la route à l’Anarchie, stade suprême de l’Humanité. — Pierre Besnard.

ORGANISATION. (Point de vue de l’Anarchisme). L’organisation n’est que la pratique de la coopération et de la solidarité, elle est la condition naturelle, nécessaire de la vie sociale, elle est un fait inéluctable qui s’impose à tous, tant dans la société humaine en général que dans tout groupe de gens ayant un but commun à atteindre.

L’homme ne veut ni ne peut vivre isolé, il ne peut même pas devenir véritablement homme et satisfaire ses besoins matériels et moraux autrement qu’en société