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1878

une révolution paraît seule efficace, l’expérience des hommes en vue du bien-être matériel et moral, autrement dit vers la sécurité, commence à faire abandonner les organisations centralisées et autoritaires pour les organisations fédérales et libres. Il y a encore beaucoup à faire contre l’étatisme des gouvernants et des administrations. Mais il faut une organisation. La liberté est inapplicable là où il n’y a pas d’organisation.

Je conclus qu’il faut une organisation pour garantir la sécurité et la liberté individuelle contre l’égoïsme d’autrui et l’esprit de domination. Il y a des gens à l’esprit autoritaire et sans scrupules, contre lesquels il est nécessaire de se défendre.

Entendons-nous bien. La liberté n’est pas compatible avec n’importe quelle organisation. Elle n’est pas compatible avec l’absolutisme d’un tyran, pas plus qu’avec la suprématie d’une classe parasite. Elle n’est pas compatible non plus avec un Etatisme où le fonctionnarisme serait le maître et où les actes des individus seraient soumis à une règle uniforme. La conquête de la liberté ne peut se faire qu’en détruisant les organisations centralisées et autoritaires, où les individus sont asservis, pour instaurer des organisations fédérales et libres, où les individus puissent agir et réagir en égaux, où l’intelligence et les compétences puissent développer leur influence intellectuelle et technique (sans privilèges héréditaires), où la morale d’entr’aide et de confiance remplace celle de l’esbrouffe et du prestige, fondement ordinaire de l’Autorité dominatrice et qui ne lui sert, le plus souvent, qu’à masquer sa propre médiocrité. — M. Pierrot.

ORGANISATION (communale). Au point de vue anarchiste, l’organisation communale peut être considérée sous deux aspects : soit au lendemain d’une révolution où le prolétariat se serait affranchi, soit au sein même de la société capitaliste. Il est certainement commode de se transporter, par la pensée, au-delà du « grand soir » ; on peut alors faire table rase de tous les impédiments qui nous entourent et édifier son projet d’une manière consistante. Le besoin de l’action pour tout individu en bonne santé, se réclamant de nos idées, devrait mettre partout chacun à l’ouvrage pour travailler pourtant, dès maintenant, en dehors de l’État, à des solutions provisoires peut-être, mais qui indiqueraient la direction à suivre.

Mais occupons-nous d’abord d’une organisation future qui soit fidèle à nos principes. Prenons comme exemple une petite ville ou un village, entre 200 et 1.000 habitants ; on y trouvera les antithèses fondamentales : la culture et l’industrie, les producteurs et les consommateurs, les urbains et les ruraux.

Voici quelques-uns des points sur lesquels doit porter l’organisation : l’instruction à tous les degrés et avec toutes les questions connexes qui s’y greffent ; l’hygiène, depuis les premières nécessités : maternité, distribution d’eau et nettoyage des rues, question des abattoirs, jusqu’aux questions plus complexes, établissements de cure préventive, sanatoires, etc… Puis, l’assistance aux vieillards et aux infirmes, la question du logement confortable pour chaque famille, celle de la production agricole, celle de la distribution des produits, chaque étude étant accompagnée de celle des ressources possibles.

Ceux qui voient l’utilité d’une œuvre quelconque se réunissent, discutent, étudient les besoins et les moyens d’y faire face, autrement dit la question financière (il est commode de continuer à faire usage dans le langage courant du terme « argent », sans que cela veuille impliquer la conservation d’un système monétaire ; évidemment, il vaudrait mieux dire : sur le travail de qui on peut compter) ; souscription entre les

membres du groupe, appel à quelques personnalités de la communauté ou à tous les habitants. Il y a à cet égard deux observations sur lesquelles il semble que l’on doive se baser : que personne ne refuse jamais son concours à une œuvre dont il sent la nécessité ou simplement l’utilité ; et, d’autre part, que les secours aujourd’hui connus sous le nom de « subvention », « allocation » sont tout bonnement pris sur l’argent que l’État nous a soutiré et sur lequel il consent, par faveur spéciale, à nous faire une aumône après en avoir gardé les 4/5 pour ses fins particulières. Autrement dit il ne faut compter que sur soi-même. Ce n’est pas à dire que la solidarité générale ne puisse être invoquée ; mais, en principe, chaque groupement doit se suffire à lui-même, comme l’homme à lui-même. C’est à ce seul prix que les individus peuvent s’associer sans arrière-pensée, s’aider et travailler dans la mutualité des services.

Restons d'abord dans le domaine de l’instruction primaire ; l’entretien des instituteurs, délégués par leur syndicat, et celui des bâtiments d’école étant assurés, il y a à s’occuper de quantités d’œuvres : bibliothèque scolaire, cinéma documentaire, distribution des cahiers et des livres, amélioration du mobilier et des appareils d’enseignement, soupe chaude aux enfants de la campagne, organisation d’excursions, de jeux, de fêtes, de séjours à la mer ou à la montagne. Chacune de ces activités peut faire le thème d’un groupe spécial, ou comité, ou commission, comme on voudra.

Quand une décision aura été prise, on choisira un des membres pour en assurer l’exécution, car si l’on doit être aussi nombreux que possible lorsqu’il s’agit de suggérer des solutions, il faut être en petit nombre pour agir ; même un seul homme est préférable. Le meilleur anarchiste est celui qui sait obéir à l’occasion.

Une autre grosse question est celle du travail de la terre. Si nous nous plaçons, par l’idée, après la révolution, une des premières opérations libératrices sera la prise de possession de la grande propriété par le prolétariat agricole qu’elle a créé. Et peut-être, dans ce cas, l’évolution des syndicats de travailleurs sera-t-elle assez poussée pour que, directement, on puisse passer, avec l’aide des techniciens, à une culture en coopération, sans titulaire de propriété. Mais en de très grands districts, la grande propriété n’existe plus, et le paysan a pris la terre, suivant un espoir que nous chantions il y a cinquante ans. Le paysan a pris la terre et il la travaille lui-même. Il y a, certes, des lots trop petits pour que la famille puisse y trouver sa substance ; il y a des lots trop grands pour que le propriétaire puisse le cultiver seul. Des ajustements sont donc nécessaires, mais il ne semble pas qu’il y ait lieu d’apporter de grandes modifications à cet état de choses.

Le principe étant que la communauté devient propriétaire, l’amélioration doit plutôt porter sur l’association des efforts et sur l’emploi de la machine que sur la dépossession du titulaire actuel. Il ne s’agit plus de divisions périodiques des champs entre les chefs de famille, il s’agit de tirer le meilleur profit pour la communauté de l’ensemble du territoire ; il s’agit que chaque famille soit bien logée et que le confort pénètre peu à peu chez tous.

Les points principaux sur lesquels peut porter l’effort des novateurs avec l’espoir d’être compris seront, par exemple, les achats en commun, aujourd’hui bien pauvrement assurés par les syndicats agricoles, la liaison avec des syndicats ouvriers pour la fourniture de machines remboursables en produits du sol, la création de multiples champs d’expérience, et surtout l’assurance contre les intempéries. Chacune de ces acti-