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vités nécessite des études sérieuses et introduit la grave question des rapports utiles entre la grande ville et la campagne.

Même, si l’anarchiste habitant la campagne ne trouve pas matière à agir immédiatement dans son milieu, il doit étudier très attentivement les conditions locales et savoir quelles solutions il proposerait quand le moment sera venu de passer à l’action, de façon à être capable de juguler les ordres issus de la Capitale. Si l’initiative jouait son rôle dans les villes de province et aux champs, les gens de la « Dictature du Prolétariat » s’agiteraient en vain dans leur fauteuil après avoir chaussé les pantoufles des gouvernants bourgeois. En particulier, il faudrait que l’on sût exactement dans chaque commune quels sont les cultivateurs réels du sol, propriétaires légaux ou non ; ce sont ceux-là auxquels la commune de demain confiera la production en écartant ceux qui vivent du travail des autres.

On peut critiquer la « délégation de pouvoir », penser qu’il y a gradation insensible du choix d’un délégué à la nomination de députés. Sans doute, mais l’anarchiste est justement là pour empêcher que l’on passe de l’un à l’autre. Puis il y a tout de même une différence capitale : d’une part un but précis et étroit, limité à l’exécution d’une tâche, de l’autre mandat général de longue durée. Charger quiconque d’organiser une fête, d’acheter et d’installer une machine, de surveiller l’alimentation à midi des enfants de la campagne qui viennent à l’école, ce sont là des opérations logiques et intelligentes. A nous d’agir pour que cela ne tourne pas en une fonction pernicieuse pour mandants et mandatés.

Tout ce que nous avons dit jusqu’ici n’est, après tout, que pour la satisfaction de l’étroit égoïsme local. Mais il y a bien d’autres problèmes qui se présentent et vers la solution desquels on doit alerter les initiatives. Il ne s’agit pas seulement que chacun chez soi, c’est-à-dire chaque village pour lui seul, fasse des améliorations, il faut encore que les plus favorisés dans un ordre quelconque aident les moins favorisés ; que la bourgade se rende compte des besoins des villages et hameaux des alentours. En d’autres termes chaque centre doit agir en arbitre autour de lui. Et de nouveau cela donnera lieu à des groupes recherchant par quel moyen on pourra répondre à telle demande : enfants qui habitent trop loin d’une école, territoire sans chemin d’exploitation, lutte contre un personnage autoritaire qui maintient une communauté sous sa coupe.

Mais ce n’est pas tout ; en dehors du territoire de notre petite ville et des villages voisins, de notre canton pour parler le langage actuel, il y a une immensité de questions à traiter. D’abord dans le domaine de l’instruction, les écoles d’apprentissage de tous les métiers par lesquelles doit être réalisée l’éducation intégrale dont nous parlons volontiers, les écoles spéciales où nos jeunes gens des deux sexes deviendront des hommes faits. Ensuite, il faut s’occuper des grands établissements : musées, bibliothèques, laboratoires, observatoires, et il y a à considérer les besoins des recherches dans le monde entier et non pas seulement de celles qui sont faites dans le territoire que nous appelons patrie.

Toutes ces activités demandent notre coopération, jusque dans les plus petits hameaux du globe, nous amènent à parler du « budget ». Pour le moment, ce mot couvre beaucoup de turpitudes, mais à aller au fond des choses, chaque communauté doit donner son obole à ce qui se passe d’utile en dehors de son sein. Oublions l’État actuel et ses impôts, mais contribuons aux dépenses utiles d’ordre général. Dans l’instruction, si notre petit groupement assure l’instruction primaire et que cela coûte à chaque habitant cent francs par tête (ou cinq cents par foyer), ajoutons-y moitié autant pour amener nos jeunes gens à l’âge d’un producteur.

Si le travail des routes locales nous coûte une somme analogue, ajoutons-y moitié autant ou plus, pour les voies de grande communication, pour les ports, pour les circuits de force motrice, pour les expériences sérieuses de captation de la force motrice des marées, etc. Contribution volontaire analogue pour les services de l’hygiène.

Ainsi, la force des choses nous amène à un « impôt » volontaire pour des œuvres dont nous reconnaissons l’utilité, même la nécessité. Sur quelles bases l’établir ? Il n’y en a que deux qui soient simples et sans ambiguïté : la superficie territoriale, le nombre d’individus majeurs et capables de travail. Il y a cinquante ans, on s’est beaucoup occupé de l’impôt unique qui n’était pas si bête que cela peut paraître aux yeux d’anarchistes ; il consiste, en somme, à faire payer l’impôt à la source même de notre subsistance ; 50 millions d’hectares à 500 francs, cela fait 25 milliards ; 25 millions d’individus entre 20 et 60 ans, à mille francs par tête, cela fait encore 25 milliards. Sans insister en aucune façon sur aucun des chiffres ci-dessus, ni sur quantité de détails qui auraient leur importance, ne nous laissons pas leurrer et imaginer que la dislocation de l’État entraînerait la suppression de toute dépense d’ordre général.

Pour en revenir à l’organisation communale, je dirai que certains rouages lui sont essentiels, rouages dont le personnel est aujourd’hui parfaitement syndiqué : instituteurs, médecins, cheminots, postiers, cantonniers. Il lui faut aussi un comptable, non pour établir le doit et avoir, mais pour se rendre un compte clair de la direction des activités. Les commerçants trouveront à s’occuper dans le rôle qu’ils connaissent bien, au service de la communauté dorénavant et non plus pour s’enrichir à son détriment. Les rentiers rentreront dans la masse des travailleurs s’ils le peuvent et, s’ils sont âgés, bénéficieront des conditions que la communauté fait à ses membres actifs, retraite de vieillesse, secours de maladie, etc.

Il y a une question plus grave que celle de l’utilisation des bourgeois de notre société actuelle. Il y a des fainéants même parmi les pauvres, donc des parasites. Mais notre conception d’une société meilleure n’est pas celle d’une caserne où la soupe sera distribuée à ceux-là seuls qui auront accompli leur journée de travail. Nous disons : l’homme normal a besoin d’exercer ses muscles et son intelligence ; la machine permet maintenant, en général, d’alléger un travail trop pénible. Nous n’avons donc aucune crainte que la production vienne à manquer d’ouvriers. Qu’il y ait des fatigués de la coercition actuelle et qu’ils veuillent se reposer le jour où ils en verront la possibilité, rien que de très naturel ; qu’il y ait des anormaux, fatigués avant d’avoir mis la main au boulot, ce n’est pas à nier. Il y a surtout autre chose ; des rêveurs, des artistes si l’on veut, poètes ou peintres, sculpteurs ou musiciens, artisans recherchant plutôt la beauté du travail que sa quantité, et c’est tant mieux. Appelez-les des parasites au point de vue platement utilitaire, mais réjouissons-nous de les avoir autour de nous. Sans doute, ils ne s’en trouveraient pas plus mal s’ils coopéraient quelques heures par jour à la satisfaction des besoins généraux, mais c’est là un détail. La communauté aura toujours avantage à adopter les pratiques de bienveillance et à n’accepter que les concours qui s’offrent de bon cœur.

Et voici notre tableau d’une organisation communale au lendemain de la révolution :

Des commissions ayant chacune un but précis à remplir et recueillant les ressources nécessaires. Membres élus, choisis, adoptés, à court terme ; l’un d’eux, agent exécuteur, responsable.

Des commissions pour les besoins égoïstes de la loca-