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ORT
1890

saire que nos enfants, à 15 ans, possèdent tous une solide instruction et que leur esprit soit suffisamment ouvert aux horizons de la science, des lettres et des arts, pour que le désir de s’instruire leur reste et les aiguillonne vers plus de culture intellectuelle encore lorsqu’ils auront quitté l’orphelinat.

Là est l’essentiel. Ce ne sont pas seulement des manœuvres ni de bons ouvriers simplement, que nous devrons former, mais encore des individus qui, capables de se servir de leurs mains, le seront tout autant pour se servir de leur cerveau.

Lorsque, entre 15 et 16 ans généralement, le pupille quittera l’orphelinat, le rôle de ce dernier ne sera pas tout à fait terminé. D’abord, c’est lui qui devra pourvoir au placement de ses pupilles.

Pour cela il me semble qu’il faudrait instituer, près de l’organisation même de l’orphelinat, une société sœur qui prendrait le titre de Société des anciens élèves. Pourraient y adhérer des familles ouvrières sérieuses, sur le compte desquelles, d’ailleurs, une enquête préalable aurait été faite. Ces familles recevraient chez elles, en pension, les jeunes gens qui quitteraient l’orphelinat.

Il va sans dire que lorsque, parmi nos pupilles, il se manifesterait quelques intelligences portées plus spécialement aux professions purement intellectuelles, ou bien encore une prédisposition marquée pour une carrière artistique, le nécessaire serait fait pour permettre à l’enfant de poursuivre ses études et d’aborder la profession pour laquelle ses aptitudes particulières paraîtront le désigner.

Les familles qui recevront nos pupilles, par ce fait même qu’elles seront venues vers l’œuvre, donneront ainsi, déjà, une garantie morale. D’autre part, même lorsqu’il sera dans sa famille adoptive, le pupille restera toujours sous la surveillance morale de la société des anciens élèves de l’orphelinat. Cette société, en le confiant à la famille d’adoption, déterminera, d’accord avec celle-ci, la pension qui devra être prélevée sur le gain de son pupille pour couvrir les frais de vie et d’entretien. Elle prévoiera également la petite part qui sera mise de côté pour constituer le pécule du pupille. De la sorte elle aura assuré les intérêts matériels des jeunes gens dont elle se sera constituée la tutrice. Ce ne sera pas suffisant. Elle devra s’occuper de leurs besoins intellectuels, de leur bonne moralité. Dans ce but, elle pourra instituer une bibliothèque roulante, le prêt de livres et de revues. Aussi souvent qu’elle le pourra, elle organisera des réunions d’anciens élèves, au cours desquelles des causeries amicales seront faites par des éducateurs sociétaires et amis de l’œuvre.

Nous tâcherons de centraliser le placement de nos enfants, de façon à rendre faciles les réunions dont je parlais tout-à-l’heure. Par exemple, dans une petite ville de province, nous grouperions un certain nombre de jeunes gens ayant des professions diverses : bois, fer, mécanique ; la couture, professions féminines diverses, etc… Et dans la campagne la plus proche nous en grouperions d’autres ayant des professions agricoles. Il serait ainsi possible d’établir un lien entre toute cette jeunesse, qui pourra se voir, se rencontrer les dimanches. Cela faciliterait encore, outre les réunions, le prêt des livres dont j’ai parlé. Et ce serait de plus une excellente garantie morale. Beaucoup de ces jeunes gens se seraient connus à l’orphelinat ; ils auraient des souvenirs communs. Leur vie passée serait un guide, le meilleur peut-être, parce qu’il n’émanerait pas d’une volonté supérieure, ni d’un règlement, mais d’eux-mêmes. Nos jeunes gens pourront toujours, d’ailleurs, correspondre avec leurs anciens éducateurs.

Et puis, quand les ailes seraient tout-à-fait poussées, l’oiseau s’envolerait. Devenu homme, l’enfant dé-

serte le vieux nid. Mais c’est la vie, la vie avec sa règle d’évolution, d’éternel recommencement.

Et c’est à la science de la vie qu’il nous faut surtout initier nos enfants. Une fois grands, ils finiront seuls et sans nous cette étude. — Madeleine Vernet.


ORTHODOXIE n. f. (orthos, droit ; doxa, opinion). Dans un domaine quelconque, une doctrine est orthodoxe lorsqu’elle reçoit l’approbation des autorités qui, en la matière, s’arrogent un droit de surveillance et de contrôle. Chaque église, chaque secte religieuse a son orthodoxie ; on peut en dire autant des partis politiques, des écoles philosophiques, de tout mouvement qui impose à ses adhérents un credo, si réduit soit-il. Elle découle, dans tous les cas, de la prétention, ouvertement affichée par certains, d’imposer à autrui des manières de voir dont il ne doit s’écarter sous aucun prétexte. Et parce que les chefs entendent commander souverainement, ce sont leurs idées qui tendent, en règle générale, à devenir la norme des différentes orthodoxies qui se disputent l’empire des cerveaux. Dans l’ordre intellectuel, comme en politique ou en religion, les meneurs, d’ordinaire, manœuvrent la masse à leur profit ; pour être mieux voilée, la concurrence ne s’avère pas moins âpre. Rivalités personnelles, ambitions de gloire ou d’argent, qui s’affublent alors d’épithètes ronflantes et de noms respectables, ne diffèrent pas, en définitive, des compétitions industrielles ou commerciales. Sans avoir besoin d’une loi écrite, les chefs forment une caste fermée ; ils prétendent être, de façon exclusive, les demi-dieux que la masse adore. Et malheur au naïf qui, en invoquant son seul mérite, veut prendre rang parmi eux ; c’est un intrus contre qui toutes les armes sont bonnes. Le médiocre, qui montre patte blanche, voilà celui que l’on accueille volontiers, car il est peu à craindre. A ce syndicat de personnages arrivés, de dignitaires officiels ou non, la sottise populaire permet de décréter ce qu’il faut croire ou ne pas croire, ce qu’il convient d’admettre ou de rejeter. De chacune de ces prétendues sommités, la clientèle, une clientèle que l’on se dispute âprement, varie bien entendu : le pape de Rome s’adresse aux catholiques, celui de Moscou aux partisans de la faucille et du marteau, celui de Lhassa aux montagnards du Thibet : les socialistes ont leurs docteurs en marxisme, un marxisme bien affadi assurent les communistes, et les bonzes qui trônent dans les Instituts prétendent régenter savants, écrivains et artistes. D’innombrables sectes, chapelles, groupements possèdent aussi des pontifes qui dogmatisent avec autorité. Ainsi naissent de multiples conformismes dont le succès s’avère plus ou moins étendu, plus ou moins durable. C’est en matière de religion et de morale que les autorités exigèrent, autrefois, la plus stricte orthodoxie. L’Eglise Romaine, en particulier, s’est distinguée par son intolérance cruelle. Elle se chargeait officiellement de sauver les âmes, leur enseignait dans quelles dispositions d’esprit il fallait vivre pour éviter l’enfer et gagner le ciel, exigeait de tous une adhésion aveugle et sans réserve aux croyances qu’elle déclarait obligatoires. Malheur à l’audacieux dont les recherches pouvaient mettre ses dogmes en difficulté ; philosophes et savants furent surveillés par elle avec une sourcilleuse vigilance et une hostilité ouverte. Beaucoup, tant qu’elle disposa des juges et des bourreaux, payèrent de leur vie des audaces doctrinales qui nous semblent anodines ; elle a fait plus de victimes que les pires despotes. En 1859, elle accueillait encore avec un ouragan de sarcasmes et de clameurs guerrières la publication du livre de Darwin, l’Origine des Espèces. Aujourd’hui elle continue de s’acharner contre toute découverte ou toute proposition qui contredit les affirmations du pape ou des conciles. La Bible elle-même doit être lue avec pru-