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PAI
1909

qu’il avait plus fait pour le triomphe du christianisme que la main de fer des successeurs de Constantin, De nombreux temples furent transformés en églises ; on conserva souvent les anciens pèlerinages, en édifiant des chapelles ou des monastères là où se trouvaient les idoles ; la hiérarchie des dieux fut remplacée par celle non moins compliquée des saints. Nous n’en finirions pas de signaler les emprunts de toutes sortes que le christianisme fit au culte païen. Instruments liturgiques, ornements sacerdotaux, usage des cierges, de l’encens, etc., sont des legs des anciennes religions. Au moins par son aspect extérieur, le catholicisme actuel se rapproche plus du paganisme que du culte célébré par les chrétiens des temps apostoliques. Le parti pris des historiens bien-pensants est incapable, aujourd’hui, d’étouffer la vérité. Il existe à Luxeuil une collection remarquable de tombeaux gallo-romains du second et troisième siècles. Les personnages en relief qui les décorent, tiennent à la main des objets symboliques, en particulier des vases qui rappellent les emblèmes du culte eucharistique. Des prêtres avaient naturellement écrit de gros volumes pour démontrer qu’il s’agissait de tombes chrétiennes. En quelques pages, publiées par la Revue Archéologique, j’ai prouvé que les sarcophages gallo-romains de Luxeuil étaient ceux de très authentiques païens, qui n’avaient pu adopter les symboles eucharistiques, ne les connaissant pas. Tous les chercheurs sérieux m’approuvèrent, à commencer par Houtin ; pas un prêtre n’entreprit de réfuter mes arguments. Dès qu’un savant impartial s’avise de contrôler les dires du clergé, il aboutit à des conclusions désastreuses pour l’orthodoxie. C’est d’ailleurs ouvertement que le pape Grégoire le Grand conseillera aux missionnaires anglo-saxons de s’inspirer des coutumes païennes. — L. Barbedette.


PAIN n. m. (du latin panis, même signification). Convenons de suite qu’il y aurait trop à dire sur ce simple mot d’une syllabe en quatre lettres s’il nous fallait interpréter ici toute la signification qu’on attache à ce mot, pain. On la trouve, d’ailleurs, dans les dictionnaires, car le mot pain revient sans cesse dans la conversation de ceux qui s’en nourrissent et sous la plume des écrivains. On vit par le Pain ; on lutte pour le Pain.

Au début de la vie, ne se pose-t-elle pas déjà pour nous la question du pain ? C’est encore, à peu près partout, le premier souci des hommes pour lesquels la fameuse sentence :

« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front… » n’est pas une vaine formule.

Si « l’espérance est le pain du malheureux », il ne suffit pas à le sustenter. Ce n’est pas avec ce pain là qu’il lui faut envisager l’avenir lorsque, par son travail, il doit gagner son pain et celui de la famille. Il nous paraît plus sage, pour l’homme et pour la femme, tout nouvellement unis par l’amour, d’examiner en face en pleine raison sainement, leur situation et de n’infliger la vie qu’à bon escient, c’est-à-dire de ne pas faire un malheureux à qui le pain fera peut-être manque. Nécessairement, il faut bravement affronter le problème du pain et le résoudre. Quand il y a de la misère pour deux, n’est-il pas criminel de l’augmenter pour qu’il y en ait pour trois ? Si la faim est la triste perspective des exploités, ceux-ci n’ont-ils point le devoir de s’assurer, en ne comptant que sur eux-mêmes, le pain quotidien, plutôt que de le demander en vain chaque jour, à genoux, en disant : « Notre Père qui êtes aux cieux, donnez-nous notre pain quotidien. »

Il faut du pain ! … Qu’il soit de seigle ou de froment ; qu’il soit blanc on noir ; qu’il soit frais ou rassis, il est pour le plus grand nombre des humains de nos contrées le plus indispensable des aliments… Or, ce n’est pas la Terre qui le refuse à l’homme ; c’est l’Homme qui ne sait

pas se le procurer… Ce n’est pas le terrain qui manque pour ensemencer où il faut le blé, le seigle, le sarrazin. Pas plus que ne manque, sous divers climats appropriés, le terrain humide tout prêt à recevoir le riz, ce pain des Asiatiques qui devient aussi celui des Africains. Enfin, le pain et nous comprimons avec lui tout ce qui est un produit de la Terre et aliment primordial à l’entretien de la vie des êtres qui l’habitent — doit et peut être en suffisance pour tous. Il appartient donc à ceux qui ne s’en peuvent passer d’exiger qu’il en soit ainsi et de s’organiser pour qu’il n’en soit pas autrement.

La terre est vaste, elle est féconde, mais il faut qu’on l’ensemence, qu’on la cultive et, suivant les climats, suivant les lieux, il faut plus ou moins de travail, plus ou moins d’efforts. Nous pouvons dire maintenant qu’il faudra toujours moins d’efforts à mesure que les hommes sauront s’entendre, s’organiser, se comprendre, s’entraider, s’adapter aux méthodes nouvelles de culture intensive : merveilleux concours apportés à leur bonne volonté, à leur coopération, par les progrès de la science, pour l’engrais nécessaire et adéquat et du machinisme, pour l’outillage centuplant le rendement en diminuant la fatigue du travailleur.

Il ne s’agira pas toujours de se conformer avec résignation aux préceptes religieux « de gagner son pain à la sueur de son front ». Tout est à transformer pour le bien de tous. Aujourd’hui, nous savons parfaitement que ce ne sont pas ceux qui ont cultivé, récolté les biens de la terre qui en ont profité. On sait aussi que le pain noir fut toujours pour le serf attaché à la glèbe, trimant dur, du lever au coucher du soleil et que le pain blanc fut pour celui qui ne travaillait pas et ne manquait de rien pour manger et boire avec son bon pain de froment.

On sait également que le citadin qui ne cultive pas la terre, mais qui produit pour satisfaire à d’autres besoins, utiles à tous, se voit mesurer sa portion de pain et n’a pas droit à la bonne qualité de ce pain parce qu’il est un salarié et que ce système d’esclavage, le salariat, consiste à lui laisser la liberté de travailler ou non pour un salaire de famine, parfois et, en tout cas, toujours insuffisant : Cela a trop duré. Cela doit avoir une fin.

Ce n’est pourtant pas qu’on ait manqué de promettre à Jacques Bonhomme d’être un jour le libre producteur jouissant de son travail. Il s’aperçoit assez que ceux-là : les prometteurs, l’ont trompé en lui faisant entrevoir qu’il aurait « plus de beurre que de pain ». Le dégoût lui vient enfin de tous les politiciens présents et futurs et l’heure viendra où il comprendra finalement que l’association libre pour la production des biens de la terre et l’entente libre avec les producteurs des villes pour le libre échange de leurs produits mutuels, succèderont au système stupide des antagonismes, au régime odieux, de l’Autorité et de la Propriété !

Nous croyons préférable de laisser de côté les innombrables dictons et proverbes se rapportant au pain.

Pourtant, quelques-uns sont à noter :

« L’homme ne vit pas seulement de pain. » C’est juste. Il faut à l’homme de quoi apaiser sa faim qui se manifeste douloureusement et que le pain peut satisfaire, mais il faut encore qu’il puisse apaiser la faim du cœur, du cerveau, de l’esprit, des sens. La faim du cœur s’apaise par le pain de l’affection, de l’amitié, de la sympathie, de l’amour. La faim du cerveau, par le pain des connaissances, des recherches, de la réflexion, du raisonnement. La faim de l’esprit et de la pensée par le pain de l’éducation, des arts, des agréments spirituels. La faim des sens par le pain de l’exercice, des sports, le culte de la beauté, le goût des voyages, la prédilection, pour toutes les manifestations de joie, de courage, d’émotion, qui charment, réjouissent,