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PAI
1911

ceux qui cultivent du riz le conservent pour le vendre. C’est la famine déguisée, juste de quoi ne pas mourir. Quant à la plupart des autres, il est rare qu’ils mangent à leur faim. Cet immense peuple d’une intelligence particulièrement vive, au passé glorieux, à l’antique civilisation, ne vit guère mieux que les peuples les plus barbares du Centre de l’Afrique. Peut-être même vit-il moins bien, puisque sa religion lui interdit de tuer, il n’a pas la ressource de la chasse. » (L’Inde contre les Anglais, par Andrée Viollis.)

« La misère de l’Inde n’est pas une opinion mais un fait », écrivait, il y a quelques années, J. Ramsay Mac Donald. Si l’on n’y voit plus guère de ces terribles famines qui firent tant de victimes au dix-neuvième siècle — 2 millions en 1899 — il y a encore des disettes causées, non pas toujours par des récoltes insuffisantes, mais par la nécessité pour les paysans de vendre ces récoltes, sans garder le nécessaire, il y a toujours des privations.

Nous pouvons ajouter qu’il y en eut plus qu’il n’y en aura. Les peuples de l’Inde ont assez d’avoir faim et ce n’est pas la domination anglaise qui pourra longtemps encore maintenir la misère, étouffer la révolte dans le vaste Empire en marche vers son indépendance prochaine.

D’autres peuples d’Asie, sans doute, ne tarderont guère à vouloir aussi semer et récolter pour eux.

Et pourquoi pas ? Qui sait si la colonisation barbare par les civilisés n’ouvrira pas la voie à l’expansion grandiose des idées de Bien-Être, de Liberté et de Fraternité des Peuples.

Le Pain et l’Indépendance pour tous, d’abord ; la fusion des races, la fin des religions, l’abolition de l’esclavage (y compris celui du salariat), l’anéantissement de toutes les dictatures (y compris celle du Prolétariat), voilà ce que nous croyons voir poindre à l’horizon des temps nouveaux, où personne ne manquera de pain. — Georges Yvetot.

PAIN. On a vu, par l’étude qui précède, la place que tient le pain dans les préoccupations populaires. Les foules ne le réclament aux heures de crise ou d’émeute avec cette insistance, il n’est devenu l’appel symbolique de la détresse qui s’insurge, que parce qu’il est, en France notamment, l’aliment principal des masses travailleuses. Aussi, quand on considère pour quelle proportion le pain entre dans la nourriture de millions d’êtres humains, ne peut-on se désintéresser de sa substance et de sa préparation, des éléments qu’il apporte en définitive à ceux qui attendent de lui la croissance, la réparation de leurs forces, l’entretien de la vie.

Il y a quelques décades encore, le pain des campagnes, pain naturel, fait de froment normal, justifiait pour une large part les espérances fondées sur ses propriétés. Mais la civilisation est venue qui vise à tout perfectionner (et qui, mal dirigée, aboutit d’abord à dénaturer). Et l’industrie qui s’emploie, sans le contrôle de l’affairisme, à satisfaire les besoins les plus absurdes. Et la chimie, aux prétentieux ersatz… Le « progrès » s’est penché sur le pain de nos pères. Ce bon pain bis, auquel pommes de terre et fromage faisaient un frugal cortège, et qui nourrissait sainement des gens besognant dur, qu’a-t-il gagné à tant de sollicitude ? Tout simplement de devenir un coquet mais dangereux pain blanc qui trahit aujourd’hui la confiance de ceux qui persistent à juger le Pain sur les vertus du passé. Car il y a un abîme entre le pain rustique du tour familial, entre le « pain de ménage » et le magma perfide qu’est le pain blanc de nos élégantes boulangeries…

C’est au moulin qu’on fait généralement remonter les prémisses de l’œuvre d’altération (nous verrons plus loin qu’elle s’étend jusqu’à la terre elle-même). En même temps que le discrédit frappait les lourdes meules aux lentes moulures — qui laissaient à nos farines le

germe substantiel et une partie du son rafraîchissant — la science el la gourmandise vouaient le blé aux cylindres destructeurs, s’ingéniaient à des blutages raffinés. Broyeurs et trieurs perfectionnés livraient au boulanger une poudre appauvrie, d’une pâleur tout aristocratique… Mars nos tables s’agrémentaient de pain blanc !

Le pain blanc : pain mort qui a perdu les vitamines et les diastases de l’embryon, pain privé des matières grasses naturelles et des albuminoïdes, des sels minéraux contenus dans le germe et l’assise protéique, des éléments cellulosiques de l’écorce, bref, dépouillé de tout ce qui vivifie le corps et reconstitue les tissus, tonifie les organes et en facilite le jeu, pain réduit à n’être plus – ou presque — qu’ « une masse d’amidon de valeur alimentaire inférieure et provoquant des fermentations acides », source de dyspepsie et de décalcification. Le pain est passé à l’état d’aliment meurtrier, au point qu’on a pu obtenir (Dr  Leven, etc.) des cures de dyspepsies rebelles, de dermatoses même, par la suppression radicale du pain blanc. Certaines contrées (Angleterre, par exemple) en consomment relativement peu (100 à 150 grammes par personne et par jour). Mais les Français de toutes les classes sont restés de gros mangeurs de pain (400 à 500 grammes en moyenne), au point que cette habitude est regardée du dehors comme un trait national.

Toute une pléiade de docteurs et de savants, cependant, a lancé le cri d’alarme. Les Galippe et Barré, les Monteuis, les Lenglet, les Lumière, les Labbé, les Carton, les Durville, les Dumesnil (à qui j’emprunte ces documents et quelques citations) ont dénoncé « l’hérésie » et les méfaits du pain blanc. En France (Petit Journal, 1895), en Angleterre (pour le « standard bread » : Daily Mail, 1911), des campagnes de presse, malheureusement suivies de tentatives maladroites (farines diverses mêlées de son et d’éléments hétéroclites : pain de guerre avant la lettre) ont sombré dans le fiasco. A part quelques exceptions, et souvent par démagogie (Ami du Peuple), et des études dispersées (Quotidien, Œuvre, etc.), la grande presse d’aujourd’hui a trop de raisons pour refuser d’accueillir les arguments que les hygiénistes lui apportent. Des groupements naturistes, en France, en Suisse, etc., des publications (comme, chez nous, Naturisme, Régénération, La Revue Naturiste) ont, d’aucuns avec persévérance, poursuivi le procès nécessaire et travaillent encore à nous rendre un pain bis naturel, pain de farines de meules, débarrassées du gros son, mais conservant, avec le germe, l’énergie du grain vivant, l’assise protéique et les parties internes de l’enveloppe, un pain à la fois complet, nutritif et digeste…

Nous n’avons pu, dans ce bref aperçu, que signaler les déficiences résultant des procédés mécaniques de la minoterie moderne. Nous ne pouvons davantage exposer, dans toute leur ampleur, les maux causés dans l’organisme par l’ingestion de substances qu’une habile fabrication emprunte à la chimie (emploi de composés colorés pour le blanchiment, de bromates, de persulfates, etc., produits « améliorants » destinés à faciliter la panification, tous gaz ou sels toxiques). Nous ne ferons aussi que mentionner quelques-unes des altérations que la soif du gain, la passion des gros bénéfices, parfois aussi le désir de flatter la clientèle, n’a pas manqué d’introduire ici, comme en tant d’autres domaines (adjonction de talc pour « économiser » la poudre de blé, de sulfate de cuivre pour « régénérer » les farines vieillies ou avariées, de savon pour rendre onctueux les croissants, etc.). Ces fraudes se rattachent à la sophistication générale (voir ce mot) qui envahit toute La production, surtout industrielle, sans respect pour tout ce qui touche à l’alimentation… Nous ne ferons qu’effleurer quelques tactiques boulangères destinées à