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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/578

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PAI
1921

des armements. Il me paraît probable que les grandes Puissances, celles qui possèdent les armements les plus considérables et les plus modernes, après avoir affirmé que cet outillage de guerre (effectifs militaires, munitions, machines à tuer, gaz, etc.) est absolument indispensable à leur propre sécurité, se refuseront à en retrancher quoi que ce soit et que les Puissances en retard sur l’équipement militaire des précédentes formuleront et défendront avec acharnement des motions leur accordant la faculté de la mise au point qu’elles déclareront, elles aussi, absolument nécessaires à leur propre sécurité. Sans compter que tous les gouvernements, les forts comme les faibles, ne consentant pas à renoncer aux budgets votés et aux dépenses engagées en vue d’une guerre prochaine, obtiendront l’autorisation de continuer jusqu’à l’épuisement complet des budgets votés la réalisation totale des travaux prévus ou en cours d’exécution. Résultat : il faudra nous estimer très heureux si, en application des décisions prises — peut-être n’auront-elles que la valeur de simples indications — les armements restent ce qu’ils sont et ne s’en trouvent pas accrus au total. Ces brèves explications touchant le problème de la sécurité démontrent clairement que le souci de ce que les États appellent la sécurité de leur pays, bien loin de nous rapprocher graduellement de la Paix, nous en éloigne indéfiniment.

Quant à l’arbitrage et aux conditions dans lesquelles il est question d’en assurer pratiquement le fonctionnement et l’autorité effective, il est raisonnable de penser qu’il sera incontestablement faussé par la disproportion née de la différence d’armement entre Puissances illégales et que l’arbitrage ne remplira sa mission que dans deux cas : le premier, lorsque les Nations en conflit ne seront, ni l’une ni l’autre, décidées à faire la guerre et seront, par conséquent, disposées, l’une et l’autre, à régler à l’amiable leur litige ; le second, lorsque le différend mettant aux prises deux pays : l’un fortement et l’autre faiblement armé, l’écrasement de celui-ci par celui-là sera chose tellement certaine, que le plus faible se verra dans la nécessité de subir la sentence rendue, celle-ci fût-elle en opposition manifeste avec son droit et ses intérêts et que le plus fort se refusera à tout arbitrage, quelle que soit la netteté des engagements précis qu’il aura contractés antérieurement et en temps de paix. Écoutez l’opinion que suggère au chef reconnu du Parti socialiste (S.F.I.O.) de France, le conflit actuel entre la Chine et le Japon : « Pourquoi le Japon se dérobe-t-il à l’intervention de la Société des Nations, à la décision éventuelle des arbitres ? Parce qu’il est armé, parce qu’il se sent le plus fort, parce que la force crée la tentation d’user de la force. Nous sommes donc fondés à affirmer que le Désarmement est la vraie garantie, la vraie caution, la vraie sanction des procédures arbitrales. Le cas japonais illustre avec éclat notre formule : sécurité par l’arbitrage et le désarmement. » (Léon Blum, journal Le Populaire, du 16 novembre 1931.) Je me rallie à cette formule après y avoir glissé cette légère, mais nécessaire modification : sécurité et arbitrage par le Désarmement. Cette modeste retouche donne à ma pensée la précision. que je désire : avant tout, désarmement ; ensuite sécurité reposant sur le désarmement ; enfin arbitrage, quand le désarmement et la sécurité seront, comme le dit Blum, la vraie garantie, la vraie caution, la vraie sanction.

Nous voilà donc parvenus à la certitude que, en attendant la transformation sociale qui frappera de mort la cause permanente, essentielle, fondamentale de la guerre : le principe d’Autorité d’où procèdent toutes les institutions sociales actuelles, nous ne disposons que d’un seul moyen d’empêcher la guerre qui vient et que ce moyen unique, c’est le Désarmement.

Seulement, il y a désarmement et désarmement et, ici

encore, nous nous trouvons en présence de deux courants très distincts, voire opposés. Il nous reste à les examiner successivement, afin de décider lequel est à écarter et lequel est à adopter.

Le désarmement général, simultané, contrôlé. — Il faut entendre par le désarmement général, le désarmement qui serait accompli par l’universalité des Nations, sans que, parmi celles qui comptent du point de vue de l’équipement et de la préparation militaire, il en soit excepté une seule. Il faut bien se mettre dans la tête que pour que le désarmement soit général, il n’est pas suffisant qu’il soit le fait de la majorité des peuples, mais qu’il soit celui de la totalité des pays qui pratiquent, actuellement, le régime de la Paix armée. Le désarmement simultané, c’est celui qui se ferait le même jour, au même moment et dans les mêmes conditions, sur un mot d’ordre convenu et en application d’un accord intervenu entre les représentants officiellement accrédités de tous les gouvernements.

Enfin, pour qu’il soit considéré comme sincère, loyal, effectif, il faut que ce désarmement général et simultané soit, au moment où il s’opère et par la suite, soumis constamment et pour une période d’assez longue durée à la surveillance d’un Comité de Contrôle, dont les membres dûment mandatés, auront pour fonction de s’associer à des intervalles rapprochés, mais sans date fixe et connue d’avance, que les conditions du désarmement sont strictement respectées et, le cas échéant, d’en signaler les violations.

À la lueur de ces précisions, apparaissent immédiatement les multiples et graves difficultés, lenteurs et résistances faisant obstacle à la réalisation d’un accord unanime dont les stipulations les plus minutieuses devront être arrêtées et consenties par tous les États. Il convient d’ajouter que, rien que pour entamer utilement et avec de réelles chances de succès les négociations indispensables à la conclusion d’un tel accord, il sied de supposer que l’atmosphère de défiance que les Gouvernements capitalistes et autoritaires ont intérêt à entretenir dans le but de diviser les peuples, afin de mieux régner, aura été, au préalable, dissipée et remplacée par une atmosphère de rapprochement et de confiance. Je ne pense pas qu’il soit utile que j’entre dans le détail et j’aime à croire que ceux qui se disent des pacifistes et sèment de tels obstacles sur la route du désarmement sont de faux amis de la Paix. On reconnaîtra que, s’ils étaient des adversaires avérés du désarmement et, par conséquent, de la Paix, ils ne prendraient pas une autre attitude, ils n’exigeraient pas l’adoption préalable de conditions plus difficiles à réunir. Pour s’en convaincre, il n’est que d’observer la conduite des Gouvernements et des castes qui font à l’idée de Paix l’accueil le moins empressé. Ces castes et ces gouvernements se gardent bien de se déclarer franchement hostiles au courant qui emporte les hommes d’aujourd’hui, loin des champs de carnage. Sur le plateau, ils se résignent à vilipender la guerre et à exalter la Paix ; mais, sournoisement, tortueusement, dans les coulisses, ils s’ingénient à gagner du temps en prolongeant le plus longtemps possible le statu quo dans l’espoir inavoué que le désarmement, que les pacifistes intégraux assignent comme but à leurs efforts immédiats, se fera attendre si longtemps encore, que la guerre s’abattra sur le monde avant que les partisans déterminés et sincères de la Paix aient pu réaliser leur volonté de désarmement. Je mets ceux qui lisent ces lignes au défi de découvrir un gouvernant, un seul, un diplomate, un seul, un militaire, un seul qui ait l’impudence de confesser qu’il désire, qu’il appelle, qu’il veut la guerre. « Nous voulons la Paix ; nous sommes résolus à tout faire — tout dans la limite de la dignité et des intérêts sacrés du pays auquel nous appartenons — pour éviter la guerre. Nous envisageons