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PAI
1920

par le passé, à confier au sort des armes le règlement des dits conflits et la menace horrible de la guerre continuera à assombrir l’horizon. Il ne sera sensé de penser que les hommes sont résolus à faire de la Paix Espérance une féconde Réalité, que lorsqu’ils auront brisé les instruments de massacre que nécessite la Guerre. Je répète que l’immense majorité des pacifistes est acquise à cette idée du désarmement, prélude indispensable de la Paix. Tous les partis politiques de gauche, même ceux dont le pacifisme est le moins catégorique, se rallient à la thèse du désarmement. Tous conviennent que M. Herriot a raison d’affirmer que « le surarmement ne peut aboutir qu’à la guerre » et M. Paul Boncour de déclarer que « la course aux armements c’est la guerre ». Traduite en langage clair et simple, cette double déclaration veut dire que « plus on arme, plus on marche vers la guerre et s’éloigne de la paix » et que « moins on arme, plus on se rapproche de la paix et s’éloigne de la guerre » ; et il est logique d’en conclure que lorsqu’on cessera la politique d’armement, on entrera de plein pied dans la politique de la paix, pas avant.

C’est un avantage immense que cet accord total sur le problème de l’armement et du désarmement ; car, pour le triomphe de la Paix, il est d’un prix inestimable que, sur ce point de capitale importance, tous les pacifistes se mettent d’accord. Et, pourtant, cet accord n’est pas suffisant ; il est nécessaire que l’entente s’établisse en outre sur les conditions mêmes de réalisation du désarmement. Et c’est ici que l’accord cesse et fait place à de graves divergences.

Deux thèses s’affrontent : l’une consiste à établir tout d’abord un régime de paix armée qui garantisse à chaque nation sa propre sécurité ; ce point acquis, on instaurerait un tribunal d’arbitrage qui, en cas de conflit, rendrait une sentence devant laquelle seraient tenus de s’incliner les parties en cause ; ce double régime de sécurité et d’arbitrage devant, au dire de ses partisans, avoir pour résultat de réduire au minimum les différends et de régler pacifiquement ceux qui se produiraient, l’éventualité de la guerre deviendrait peu à peu de plus en plus rare et le désarmement s’opérerait pour ainsi dire automatiquement, les armées et les armements devenant à la longue sans utilité.

L’autre thèse consiste à atteindre le même but : le désarmement, mais en faisant précéder la sécurité de l’arbitrage et, par conséquent, découler celle-là de celui-ci.

Sécurité, arbitrage, désarmement, tel est l’ordre chronologique déterminé par la première thèse. Arbitrage, sécurité désarmement, tel est l’ordre propose par la seconde. Mais on remarquera que, quel que soit l’ordre adopté, c’est au Désarmement que conduisent en fin de compte les deux formules. Sur ce point, pas de divergence ; ce qui démontre, sans qu’il y ait place pour le moindre doute, que le désarmement est considéré par les uns et par les autres comme la condition indispensable de la Paix. Les Hommes d’État, les diplomates et les techniciens selon les Gouvernements dont ils font partie donnent leur adhésion à l’une ou à l’autre de ces deux thèses. On peut en inférer qu’ils ne sont pas pressés d’aboutir. Car, soit qu’ils sachent d’avance que longues, très longues seront les négociations concernant la sécurité et l’arbitrage avant qu’elles aboutissent, soit qu’ils usent perfidement de tous les moyens dilatoires par lesquels il leur est aise de traîner en longueur ces préliminaires et pourparlers, ils n’ignorent pas que des années et des années s’écouleront avant l’adoption et la mise en service du mécanisme délicat et compliqué qu’exigent la sécurité et l’arbitrage. Il est infiniment plus simple de se demander s’il ne serait pas plus pratique et plus rationnel d’attendre du Désarmement la sécurité et l’arbitrage que d’attendre de l’arbitrage et de la sécurité le

désarmement. C’est l’idée qui s’est présentée à l’esprit de ceux qui, impatients d’aboutir et comprenant la nécessité d’agir vite, voient avec terreur les années se succéder sans que, par la voie de la sécurité et de l’arbitrage, progresse effectivement la volonté de désarmement. A la réflexion, étude faite des ententes mondiales que comportent la sécurité et l’arbitrage, cette idée a tendance à prévaloir dans l’esprit public. Adoptée depuis quelque temps déjà par quelques-uns de ceux qui estiment qu’il importe avant tout d’éviter les horreurs d’une prochaine guerre, cette opinion gagne de jour en jour du terrain et je pense qu’elle est appelée à faire des progrès très sensibles. La rapidité avec laquelle elle se propage porte en elle les plus précieux encouragements et le gage de son prochain succès. Beaucoup de pacifistes, des plus ardents et des plus actifs, envisagent aujourd’hui le désarmement, non plus comme une chose vague et lointaine dont il faudra parler longtemps, bien longtemps avant d’en saluer la réalisation, mais comme un événement qui peut, qui doit se produire sans trop tarder, à la condition qu’une propagande sérieuse et continue soit faite en sa faveur.

« Désarmement, d’abord. Sécurité et arbitrage par le Désarmement », sont des mots d’ordre que font leurs, dès à présent, nombre de ligues pacifistes, de groupements ouvriers et d’organisations d’avant-garde. Dans ces milieux, on commence à comprendre que la sécurité et l’arbitrage ne peuvent être obtenus que par le désarmement. On se rend enfin compte que chercher à s’orienter vers le désarmement par la sécurité et l’arbitrage, ce n’est pas seulement prendre le chemin le plus long, mais encore faire fausse route. Les dirigeants et toute la caste que les industries de guerre enrichissent se raccrochent obstinément à la thèse de la sécurité et des garanties sur lesquelles ils la font reposer. Ils prétendent, et on comprend pourquoi, que la sécurité résulte de l’étalage de la force et de la crainte qu’un peuple puissamment armé inspire aux autres peuples ; ils disent que, quels que soient les pactes et accords destinés à maintenir la Paix internationale, la sécurité de chaque pays nécessite une force militaire de nature à décourager tout agresseur. On aperçoit tout de suite les conséquences d’une telle conception du problème de la sécurité. Au nom de la sécurité, qu’elle dit lui être indispensable, chaque Puissance sera conduite à s’armer de plus en plus. Il suffira qu’une nation augmente, transforme ou perfectionne son outillage de guerre, pour que les autres nations s’autorisent et même se proclament astreintes, malgré elles, à augmenter, transformer ou perfectionner le leur. Et ce sera, plus que jamais, la course aux armements, c’est-à-dire la guerre certaine sous le prétexte de l’éviter.

C’est cette préoccupation stupide de la sécurité qui dominera, j’en ai la certitude, l’assemblée qui va se réunir à Genève, en février 1932, sous le beau nom — beau, mais mensonger — de Conférence du désarmement. Je n’entends pas soutenir qu’on n’y parlera pas du désarmement ; on en parlera copieusement et le mot de désarmement est celui qui sera prononcé le plus fréquemment. Il y sera répété avec d’autant plus d’insistance qu’on s’éloignera davantage du fait qu’il exprime. J’ai la certitude que l’orateur, quel qu’il soit, qui, au nom de son pays, saisirait sérieusement les délégués réunis à cette conférence, d’une proposition ferme de désarmement véritable et immédiat, serait accueilli par des huées ou des protestations indignées. De deux choses l’une : ou bien on ne prendrait pas au sérieux cette proposition et on refuserait de la discuter ; ou bien la prenant au sérieux, on se hâterait de lui faire un enterrement de première classe, sous un amoncellement de fleurs et couronnes. Cela n’est pas douteux.

La seule chose dont s’occupera cette conférence, dite improprement du désarmement, c’est de la limitation