Aller au contenu

Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/589

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PAI
1932

Nous leur recommandons le livre intitulé : « La Guerre des gaz », de Carl Endres, et « Autour de la Paix chimique », de Henri Le Wita, à la documentation desquels nous avons eu nous-mêmes recours. La liste des toxiques que nous donnons sera évidemment incomplète, car leur nombre s’accroît chaque jour. Au surplus, il n’est pas facile de les connaître tous, chaque détenteur en gardant jalousement le secret. Les suivants sont donc, en quelque sorte, officiels. Certains portent des noms évocateurs, et d’une éloquence appropriée. Écoutez cette symphonie.

Les gaz de combat connus se divisent en : asphyxiants, lacrymogènes, cyanhydriques, moutardes, arsines, explosifs et incendiaires. Leurs subdivisions donnent : le brombenzylcyanide, le chloracétophénône, le phosgène ou oxychlorure de carbone, le palite, le nitro-chloroforme, le dichloréthysulfide, ou ypérite, la diphénylchlorarsine, la diphénylcyanarsine, la diphénylaminchlorarsine, ou adamsit, l’ethyldichlorarsine, la lewisite M. ou chlorvinyldichlorarsine.

Les moins dangereux, les gaz lacrymogènes, limitent leur action aux muqueuses humides ; ils attaquent les yeux, les bronches, les poumons, et même l’estomac. Le chlore provoque la mort en 30 minutes dans la proportion de 3 milligrammes par litre d’air. Mais le phosgène (oxychlorure de carbone) est autrement dangereux, et la quantité nécessaire pour donner la mort est encore plus minime ; il suffit d’en avoir respiré quelques traces, pour que, même beaucoup plus tard, ses effets se fassent sentir. Le cas de ce chimiste italien, le professeur Fénaroli, est typique. « Ayant subi un commencement d’empoisonnement au cours d’une expérience, le professeur rentra chez lui. Ce n’est que dans la nuit qu’il se sentit indisposé. Le lendemain, il était mort. » Les effets du phosgène sont atroces ; le gazé souffre d’un étouffement progressif, la respiration est saccadée ; il meurt enfin, le regard désorbité, la bave ou l’écume aux lèvres. La puissance du phosgène est telle que deux tonnes de ce gaz suffiraient à anéantir une ville comme Paris.

Le nitrochloroforme, ou vomiting-gaz des Anglais, provoque d’épouvantables nausées ; il est déjà mortel dans la proportion de 1 milligramme par litre d’air. Le gaz moutarde ou ypérite (dichloréthysulfide) est plus terrible encore. Ce gaz, emporté par le vent à plus d’un kilomètre, est encore fort dangereux. Mélangé à l’air dans la proportion de 0, 07 milligrammes par litre d’air, il est mortel dans tous les cas. C’est un poison cellulaire qui tue sans résistance possible toutes les cellules qu’il touche. Quand il ne tue pas tout de suite, son contact amène des nécroses et des plaies purulentes fort profondes, ouvrant les portes à toutes les infections microbiennes. Les yeux, les poumons, le sang sont atteints, et chez les adultes, se sont les organes sexuels qui sont les premiers touchés. La diphénylaminchlorarsine a été découverte par un Américain ; c’est un poison particulièrement concentré, puisqu’une partie de ce gaz contre 30 millions de parties d’air, suffit à donner la mort. Ce gaz traverse immédiatement les masques à gaz ordinaires. La lewisite, outre son action terrible sur les yeux et sur les organes de la respiration, présente encore cette particularité d’attaquer tous les points du corps qu’elle touche. Son influence, au début, se traduit par d’irrésistibles démangeaisons. D’autre part, le major Nye parle d’un nouveau gaz (connu, paraît-il, des Russes), dont l’action serait telle que dans la proportion d’un dix-millionième, il suffit à mettre un homme hors de combat dans l’espace d’une minute.

Des expériences ont été faites, dès lors, sur des animaux, à l’aide du gaz en question ; sur un troupeau de chèvres qui avait été exposé dans un endroit clos aux effets d’un nuage extrêmement dilué, toutes les bêtes furent tuées, à l’exception de quatre qui, prenant la fuite, et devenues folles, se brisèrent le crâne contre un

mur. Mille bombes de ce gaz suffiraient, dans des conditions favorables, à gazer une capitale de grande étendue. Une bombe à gaz courante pèse environ 5 livres ; un avion moderne de transport peut en transporter 600. On voit que deux avions seulement suffiraient à gazer un espace aussi grand que Londres, Paris ou Berlin.

Enfin, au sujet des bombes incendiaires, le lieutenant-colonel Wauthier écrit :

« Les avions de guerre seront chargés de bombes « Elektron », du poids de 1 kilo seulement, mais dont la température de combustion atteindra 3.000 degrés. Cent avions porteurs de ces gaz pourront allumer dix-sept mille incendies. Supposons que Paris reçoive la visite de cinq seulement de ces avions ; c’est encore, pour le moins, huit cent cinquante incendies qui éclateront dans la capitale. »

Nous arrêterons là ces quelques exemples qui suffisent, croyons-nous, à donner une idée de l’efficacité des nouveaux moyens de combat. Il est à remarquer que l’arme chimique ne peut servir utilement qu’avec le concours des avions. On conçoit que sur le sol, l’assaillant risquerait, soit par suite d’un vent défavorable ou pour toute autre raison, d’être la victime de ses propres armes. Or, l’aviation a fait en tous pays des progrès énormes, et comme il n’est pas besoin d’avions spéciaux, d’avions militaires pour transporter les bombes légères, qui contiennent les gaz, n’importe quel avion de tourisme sera donc à même de fournir à la chimie une utile collaboration.



En présence des moyens de guerre si puissants et si meurtriers, chacun va se demander si on osera s’en servir. De l’avis des militaires, cela ne fait pas le moindre doute. Tous les spécialistes sont d’accord à ce sujet, et l’on rencontre partout des opinions dans le genre de celle du général Fries qui dit : « La guerre de l’avenir sera gagnée par les généraux qui feront le plus grand usage de l’arme chimique. » Cela se conçoit fort bien ; quand on fait la guerre, il faut la gagner ; dès lors, tous les moyens sont bons. On s’est, d’ailleurs, aperçu que les guerres modernes ne se gagnaient pas uniquement sur les champs de bataille, car la nation tout entière concourt à entretenir et à alimenter la résistance. Dès lors, les premiers objectifs à atteindre sont surtout les centres industriels et économiques, les entrepôts, les usines, les ateliers de munitions pour lesquels, jadis, « le front » constituait un rempart, mais qui sont devenus aujourd’hui parfaitement vulnérables, grâce à l’arme aéro-chimique.

Les populations civiles, travailleurs, hommes, femmes, enfants, seront donc particulièrement visées, et voici, d’après Carl Endres, quelles seraient, sous ce rapport, les conséquences d’une nouvelle guerre : « La situation de la défense sera tellement désespérée du fait de la rapidité et des autres avantages dont disposera l’assaillant, qu’il paraît probable que l’on renoncera très vite à entretenir des forces de défense aérienne, et que tous les efforts tendront à diriger des contre-attaques sur l’intérieur du pays ennemi. Ainsi, c’est une effroyable course au massacre qui se déclenchera. Le résultat c’est que les populations civiles, des deux côtés, subiront des pertes considérables et qu’une immense quantité de biens et de trésors, représentant l’héritage de la civilisation, seront anéantis. Les usines du pays le plus faible cesseront très vite de tourner. Il n’y aura plus de direction politique centrale. Les villes qui ne seront pas encore brûlées ou gazées seront abandonnées par leur population poussée au désespoir, et qui se réfugiera en masse dans les forêts, dans les montagnes, dans les parties les plus pauvres du pays, ou même, quand ce sera possible, à l’étranger ; des famines et des épidémies terribles redoubleront les horreurs de cette guerre