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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/595

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PAM
1938

contient et de sa vivacité, devient alors la forme la plus basse du brigandage et de la prostitution littéraires, et celui qui s’y livre est le plus bas coquin de la confrérie des lettres. Le genre fleurit particulièrement aux époques de décomposition sociale, lorsque les mœurs sont tombées à de telles turpitudes que les prétendues « élites » ont perdu tout prestige et peuvent être fouaillées, sans pouvoir trouver dans la conscience publique l’appui d’une réaction possible. L’Arétin fut, au xvie siècle, le type romantique, brillant et redouté, du « vil pamphlétaire », condottière de plume, sorte de Don Juan du chantage, qui savait à l’occasion tenir la vie de ses victimes à la pointe de son épée. L’espèce s’est encore singulièrement avilie depuis pour arriver aux « faisans » actuels, sortis des ténébreux charniers de la guerre avec les Thénardier montés au pouvoir et dont, vampires sans dégoût, ils sucent le pus qui leur tient lieu de sang. Ces « faisans » sont de ceux à qui V. Hugo disait :

« Et quand on va chez vous pour chercher vos oreilles,
Vos oreilles n’y sont jamais ! »

Le pamphlet n’est honorable que s’il n’est pas le produit d’une plume vénale, s’il sort d’une conscience pure qui n’est à la solde de personne et sert la vérité, ou ce qu’elle croit telle, avec un complet désintéressement. S’il n’y a pas un critérium infaillible de la vérité, il y en a un du pamphlétaire dans les conséquences que son pamphlet a pour lui:les persécutions, la prison et parfois l’assassinat plus ou moins légal pour les P.-L. Courier; les hautes protections, sinon la fortune et les honneurs, pour les L. Veuillot. Le plus souvent, les pamphlétaires qui servent la vérité doivent rester anonymes pour échapper aux persécutions. « Ils arrosent la terre de leur sueur et de leur sang, la moisson croît, le peuple la recueille et ne songe même pas à connaître les noms de ceux qui l’ont ensemencée pour lui. » (Pierre Larousse).

Nous n’écrirons pas ici l’histoire du pamphlet. On la trouvera avec celle de la satire, à ce mot. Nous indiquerons seulement ses époques les plus brillantes et ses différents aspects.

Le pamphlet véritable, c’est-à-dire écrit et répandu à des milliers d’exemplaires, ne date que de l’invention de l’imprimerie. Il fut la raison principale de l’opposition et des interdictions faites par les différents pouvoirs à cette invention. Il fit des débuts éclatants en Allemagne, avec les Epistolœ obscurorum virorum d’Ulrich de Hutten, inspirées par la querelle de Reuchlin et des théologiens de Cologne. Ces lettres étaient d’une telle puissance et d’une telle vie, qu’elles sont demeurées inoubliées en Allemagne où des éditions successives n’ont pas cessé d’entretenir leur popularité. Elles sont moins connues en France. Laurent Tailhade, qui voyait en Ulrich de Hutten « le Lucien de la Renaissance germanique », en a publié une traduction, il y a quelques années, sous le titre : Épîtres des hommes obscurs du chevalier Ulrich von Hutten (1924). Les pamphlets de Hutten ouvrirent la voie à ceux de Luther, non moins vigoureux, qu’il appela : Propos de table, parce qu’il n’y occupa que « le temps de ses réfections corporelles ».

Le pamphlet se multiplia à cette époque si troublée du XVI e siècle, allant des hauteurs satiriques de la Satire Ménippée jusqu’à la multitude des libelles qu’on afficha sous forme de placards et n’eurent plus aucune espèce de retenue. Il fut d’une violence extrême, passant du ton de la raillerie, quand il attaqua les mœurs d’Henri III et de sa cour dans l’Isle des hermaphrodites, nouvellement découverte, avec les mœurs, loix, coustumes et ordonnances des habitants d’icelle, à la provocation à l’assassinat et au régicide. Il exprima ainsi la forme aiguë et réaliste de la satire qui atta-

quait la légitimité des rois et présentait la résistance à leur pouvoir comme un devoir. L’apologie d’Harmodius, d’Aristogiton, de Brutus, de Cassius, d’Aratus de Sieyone qui avaient délivré leur pays des tyrans, était répandue par des milliers de feuillets et de placards.

Devenu immédiatement l’arme des partis, le pamphlet ne cessa de se multiplier en prenant des caractères divers ; mais il fut par-dessus tout l’expression de la pensée populaire, Il gagna en esprit ce qu’il perdit en violence quand les fureurs religieuses furent calmées, et il abandonna le ton de la diatribe pour prendre celui du burlesque, de l’épigramme et de la chanson. Les Mazarinades furent aussi nombreuses au temps de la Fronde que les libelles des temps de la Ligue. On en a compté plus de cinq mille. Elles firent vivre une nuée de pamphlétaires miteux dont Mazarin lui-même payait les insolences. Il allait même jusqu’à provoquer des émeutes qu’il exploitait à son profit, selon les procédés policiers de tous les temps. Les Henri III, Henri IV et Mazarin étaient les premiers à rire des attaques des libellistes. Les deux premiers en moururent assassinés, le troisième en fit sa fortune. Il disait : « Qu’ils crient, pourvu qu’ils paient ! » Lui encaissait. Venu à Paris sans un rouge-liard dans la domesticité d’une reine de France, il mourut dans le lit de cette reine, laissant à ses neveux une fortune de plus de cinquante millions. Cela n’empêcha pas pourtant que certains auteurs et éditeurs de mazarinades furent pendus ou envoyés aux galères.

Sous Louis XIV, sauf à la fin du règne où les turpitudes royales soulevèrent les consciences même les plus domestiquées, le pamphlet perdit complètement son âpreté, comme si la courtisanerie en eût eu raison. Les auteurs de libelles étaient d’ailleurs de plus en plus menacés. Tartufe, s’il plaisantait avec les vices des autres, n’aimait pas qu’on raillât les siens et tenait d’autant plus à ne pas voir attaquer sa vertu qu’il n’en avait guère à revendre. De plus en plus réduit aux dimensions du libelle, le pamphlet dut dissimuler ses auteurs. Il en fut ainsi jusqu’à la Révolution et il s’en vengera par son agressivité. Chavigny paya de trente ans de cage de fer, dans la forteresse du mont Saint-Michel, son pamphlet intitulé : le Cochon mitré, contre Le Tellier, frère de Louvois (1689). Cent ans plus tard la Révolution mettait fin à la captivité de Latude emprisonné depuis trente ans pour crime de lèse-majesté, parce qu’il avait adressé à Mme de Pompadour certains « hommages » déplaisants ! Latude ne fut pas le seul qui subit les cruelles vengeances de la catin royale. Dumouriez a raconté dans ses Mémoires comment il vit un jour, à la Bastille, « un homme d’environ cinquante ans, nu comme la main, avec une barbe grise très longue, des cheveux hérissés, hurlant comme un enragé ». Cet homme, qui était devenu fou, était un nommé Eustache Farcy, gentilhomme picard, capitaine au régiment de Piémont, enfermé depuis vingt-deux ans pour avoir fait ou colporté une chanson contre la Pompadour. D’autres, nombreux, connurent un sort semblable. Les libraires, éditeurs de libelles, étaient durement frappés, aussi la plupart de leurs productions avaient elles leurs presses à l’étranger, particulièrement en Hollande. Les colporteurs les apportaient ; le monde frivole les répandait, heureux de ces attaques sournoises contre des puissances que d’autre part il flagornait bassement.

Voltaire, bien qu’il fut le polémiste le plus ardent de son époque, était ennemi des libelles. Il a vivement attaqué les auteurs de ces « petits livres d’injures » auxquels ceux qui les faisaient mettaient rarement leurs noms, « parce que les assassins craignent d être saisis avec des armes défendues ». Il voyait en eux des « compilateurs insolents qui, se faisant un mérite de