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PAM
1937

marquablement à la propagation clandestine des écrits de critique politique et sociale subversive de l’ordre établi et du conformisme du jour. Reproduit à l’infini par le moyen de l’imprimerie, pas encombrant, facile à cacher, peu coûteux et d’une lecture rapide, il devint ainsi le véhicule de la pensée indépendante et réformatrice. Son nom fut donné surtout à ces écrits subversifs parmi lesquels la satire des mœurs et des hommes occupait la plus grande place. Les pamphlets ont justifié ainsi cette définition que Paul-Louis Courier leur a donnée : « Petits écrits éphémères, d’une ou deux pages, qui vont de main en main et parlent aux gens d’à présent des faits, des choses d’aujourd’hui. » Par la suite, il arriva que le pamphlet fût composé de feuillets plus nombreux qui formèrent des brochures et même des livres.

De plus en plus le pamphlet fut spécialisé dans les écrits satiriques et il finit par se confondre avec la satire en prenant de plus grands développements. Il en fut la forme militante, combative, la transportant de la littérature plus ou moins spéculative dans la politique et dans la mêlée sociale. Il fut, et il est toujours, « le livre populaire par excellence ». (P. L. Courier). Aussi, les gouvernants, les privilégiés, les « pistons de la machine » comme Balzac appelait les bouddhas de l’ordre social, les « confréries des puissants » et des « ventrus » qui n’aiment guère la satire, redoutant d’y voir leur ombre, aiment encore moins le pamphlet. Ils le jugent diffamatoire, parce qu’il leur dit trop souvent la vérité et les dépouille, sans aucune espèce de considération, de leur dignité carnavalesque. Alors que la satire s’exerce sur des généralités qui sont de tous les temps, le pamphlet est particulier à une époque une société, des personnes. Il a une forme inférieure dans le libelle (voir ce mot) auquel on reproche plus justement d’être diffamatoire et qui s’attaque plus directement aux personnes, à leur vie privée, dans un but de scandale.

Le pamphlet est une des armes de la polémique. Quand l’argumentation de la raison est insuffisante contre la mauvaise foi qui ne veut pas se rendre, contre le préjugé qui demeure tenace, il est le coup de massue qui abat le forcené, la douche qui calme subitement l’excité. Il a le défaut de la polémique qui s’occupe plus de victoire que de vérité et avec laquelle, disait Renan, « on ne fait pas plus de bonne science que de grand art » ; mais Renan reconnaissait que la polémique est nécessaire contre l’intolérance qui fait obstacle à la science, et le pamphlet l’est aussi.

Le pamphlet ne s’embarrasse pas d’élégance académique, pas plus que d’impartialité. Il n’en sera que plus remarquable s’il possède une valeur littéraire et sert la cause d’une vérité qui n’est pas circonstancielle, relative au temps et à la mode ; il portera alors en lui la pérennité de la beauté et de la vérité éternelles. Mais il est avant tout une œuvre de passion et sa qualité essentielle est dans la netteté de sa pensée. Comme Boileau, il appelle « un chat un chat et Rolet un fripon ». À la révolution, le plus souvent lente et pacifique que la satire apporte dans les mœurs, le pamphlet donne la forme insurrectionnelle qui fait dresser des barricades et met un fusil en mains du révolté.

L’Académie Française, vieille dame qui redoute les fréquentations turbulentes, ne dit du pamphlet que ceci dans son Dictionnaire (7e édition 1878) : « Mot emprunté de l’anglais. Brochure. Il se prend souvent en mauvaise part. » De pamphlétaire, auteur de pamphlets, elle dit : « ne se prend guère qu’en mauvaise part. » L’Académie a traduit ainsi le sentiment des gens « comme il faut » et « bien pensants » pour qui l’expression, vil pamphlétaire, est devenue un cliché. Larousse, de qui l’article pamphlet est remarquable dans son Grand Dictionnaire, a écrit au mot pamphlétaire : « On dit un vil pamphlétaire, comme on dit un honorable dé-

puté, un vénérable ecclésiastique, un magistrat austère. Il est vrai que ce sont les magistrats austères, les vénérables ecclésiastiques et les honorables députés qui emploient le plus souvent le terme de vil pamphlétaire. Les deux mots sont accouplés comme deux forçats à la même chaîne. »

Larousse a dit aussi : « Quel homme animé du saint amour de la vérité, n’a pas été plus ou moins pamphlétaire ? » Il y a eu des pamphlétaires même chez les magistrats austères qui condamnent les vils pamphlétaires ; depuis Montaigne jusqu’à Cormenin ils n’ont pas manqué. Il y en a encore davantage chez les vénérables ecclésiastiques qui envoient les vils pamphlétaires en enfer ; la liste en serait longue depuis l’apôtre Barnabé jusqu’a l’abbé Turmel, car c’est dans son personnel lui-même que l’Église a trouvé ses plus farouches et ses plus impitoyables adversaires. Nous le verrons au mot Satire. C’est une preuve de plus que les disciplines sociales, même les plus étroites, sont impuissantes à réfréner les manifestations des esprits véritablement indépendants. Elles n’enlèvent leur virilité qu’aux eunuques volontaires. Il y a même des pamphlétaires parmi les honorables députés qui projettent de faire une nouvelle « loi scélérate » contre la « diffamation » des vils pamphlétaires.

Paul-Louis Courier a raillé avec une verve étincelante, dans son Pamphlet des pamphlets, les bons apôtres de ce bloc enfariné qui condamne les vils pamphlétaires. Il avait été poursuivi en cour d’assises — les « lois scélérates » démocratiques n’existaient pas encore pour l’envoyer en correctionnelle — pour son Simple discours à l’occasion d’une souscription pour l’acquisition de Chambord, et l’épithète de « vil pamphlétaire » que le Procureur du Roi lui avait décochée avait suffi pour le faire condamner. Les jurés ne s’étaient même pas donne. la peine de lire son pamphlet ; la vérité qu’il pouvait renfermer ne pouvait qu’être criminelle, n’étant pas enveloppée de cette rhétorique qui confond le mensonge et la vérité et fait passer les coquins pour d’honnêtes gens. Ils avaient été fixés d’avance sur l’écrit comme sur son auteur par les étiquettes du pharisaïsme offensé : « pamphlet, vil pamphlétaire », car « un pamphlet ne saurait être bon, et qui dit pamphlet dit un écrit tout plein de poison ». On ne saurait, en « bonne police », laisser circuler du poison. Mais, le scandale, c’est que le monde aime bien ce poison, parce qu’avec lui « il y a aussi des sottises, des calembours, de méchantes plaisanteries », et les bons apôtres gémissent : « Honte du siècle et de la nation, qu’il se puisse trouver des auteurs, des imprimeurs et des lecteurs de semblables impertinences ! » Ce que ne disent pas ces bons apôtres, c’est que le pamphlet n’est pas moins goûté par eux ; ils le lisent avec délices, ils s’en gargarisent voluptueusement lorsque, au lieu de servir la vérité, il sert le mensonge et sort de l’officine de ces « Pitres dévêts, marchands d’infâmes balivernes », que V. Hugo a flétris dans ses Châtiments. La Bruyère a constaté qu’ « on n’approuve la satire que lorsqu’elle va mordre les autres ». Le pamphlet mord toujours quelqu’un et il y a toujours quelqu’un pour en rire parmi ceux qui ne sont pas mordus. De là cet amour du monde pour le poison appelé pamphlet.

Mais il y a pamphlet et pamphlet comme il y a poison et poison ; de même, il y a pamphlétaire et pamphlétaire. Que la vérité soit ou ne soit pas toujours dans le pamphlet, et de quelque parti qu’il vienne — chacun prétend détenir la vérité et la dénie à l’adversaire, — il y a plus sûrement de « vils pamphlétaires ». Ce sont ceux qui ne possèdent pas, à défaut d’une conviction absolue, un désintéressement complet au service de ce qu’ils prétendent être la vérité et tirent profit de leurs pamphlets. Le pamphlet, en raison des attaques personnelles qu’il