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PAN
1940

phlets ne m’attire que peu d’injures, je ne suis pas content de moi et je me dis : « C’est ma faute ! J’aurai mal attaqué cet abus là ! J’aurai mal défendu cette liberté-là ! »

Claude Tillier donna au pamphlet un accent plus populaire et défendit les idées généreusement révolutionnaires contre le libéralisme bourgeoisement opportuniste. Il fut en même temps un remarquable écrivain, profondément pénétré des sentiments du peuple et en possédant la sensibilité si incomprise, raillée et meurtrie. Il possédait aussi, comme Félix Pyat l’a dit, l’esprit de Voltaire et de Diderot. On était à la veille de 1848. Le peuple avait encore des illusions sur les dispositions de la bourgeoisie, malgré les répressions anti-ouvrières. Les journées de juin 1848 et celles de décembre 1851 ne lui avaient pas encore ouvert les yeux.

Alphonse Karr fit de ses Guêpes de véritables pamphlets ; il ramena ainsi le genre au pamphlet-journal de la Révolution. Il s’attaqua aux mœurs avec un esprit satirique souvent profond, dépassant le pamphlet mais respectueux, malgré ce, de « l’ordre ». Il disait : « Que les assassins commencent », ne voyant pas que les assassins sont faits par la société et qu’elle devrait « commencer » avant eux. Il définissait ainsi sa satire : « Consultant à la fois la nature de mon esprit et la nature des choses et des gens que j’attaque ; considérant que beaucoup de choses humaines sont des outres gonflées de vent, — j’ai divisé et changé mon glaive en une multitude d’épingles ; quelquefois une seule piqûre suffit pour crever et aplatir l’ennemi ; alors je l’abandonne et n’en parle plus ; mais d’autres ont la peau plus épaisse et, d’épingle en épingle, il faut que le glaive y passe tout entier. »

La Révolution de 1848 fut l’occasion de nombreux pamphlets, puis le Coup d’État inspira à V. Hugo son Napoléon le Petit en attendant les Châtiments. Le IIe Empire ne vit guère de pamphlets, jusqu’à Rochefort et sa Lanterne qui reprit le genre des Guêpes avec plus de virulence. Sous la III e République, le pamphlet s’est de plus en plus confondu avec l’article de journal. Vallès fut un ardent pamphlétaire, puis Tailhade. Tous deux connurent la prison et la misère. En Allemagne, Maximilien Harden fut un pamphlétaire de premier ordre. Nous retrouverons le pamphlet dans l’étude de la satire, manifestation plus générale, et de tous les temps, de l’esprit de liberté contre toutes les formes de l’oppression. — Edouard Rothen.


PANÉGYRIQUE n. m. Le proverbe dit : « Menteur comme un panégyrique. » Le panégyrique est un discours consacré à la louange d’un personnage plus ou moins illustre. Il ne comporte ni critique, ni blâme, ni même la moindre réserve. C’est donc la forme la plus bassement servile dans l’art oratoire.

Ironiquement : Propos qui a l’air de louanger quelqu’un et qui le décrie par des restrictions. (Lachâtre).

Les Grecs, si avides d’éloquence, prononçaient des panégyriques en l’honneur d’hommes, vivants ou morts ; de cités glorieuses (Athènes) ou d’entités métaphysiques (la Parie). Les Romains consacraient le panégyrique exclusivement aux vivants. Ce furent des élucubrations fatigantes dans lesquelles on prodigua aux puissants de l’heure les mensonges les plus éhontés, (panégyriques de Constantin, de Julien l’Apostat, de Théodose, etc…).

Les Pères de l’Église, grecs et latins, cultivèrent avec succès ce qu’on nomma « le panégyrique chrétien ». L’oraison était consacrée à un personnage destiné à être canonisé. L’Église grecque appelle encore Panégyriques des livres disposés, selon l’ordre des mois et contenant pour chacun de ces mois des discours à la louange de Jésus et des Saints.

Longtemps, panégyrique, éloge et oraison funèbre ont pu être confondus. « L’oraison funèbre était, à vrai

dire, le panégyrique des morts, et le panégyrique donnait aux vivants un avant-goût de leur oraison funèbre. » (A. Gazier. Ency.).

Ce genre, en raison même du but poursuivi, ne fut presque toujours que l’étalage d’une phraséologie pompeuse et froide, un abus de lieux communs, pleins de banalités et d’enflure. Il fallait certainement n’avoir pas le souci du pain quotidien pour consacrer son temps à écouter « ces chefs-d’œuvre de pédantisme et de mauvais goût ». Au surplus c’était bien le passetemps d’ « honnêtes gens » avides de flatter les maîtres ou d’apprendre comment on les courtise.

Le panégyriste le plus éminent, Bossuet, se spécialisa dans « le panégyrique des morts ». Il s’éleva, certes, jusqu’aux plus hauts sommets de l’éloquence, mais davantage avec le souci d’instruire, de donner des leçons (pour la plus grande gloire de Dieu) que de dire la vérité, dont il n’avait cure. « L’auteur d’une oraison funèbre dira seulement ce qui est à l’honneur de son héros ; il louera des actions qu’on puisse louer sans crainte dans la chaire de vérité, et résolument, en vertu d’un accord tacite entre lui et ceux qui l’écoutent, il passera les autres sous silence. » (Encycl.) Bossuet ne manqua pas à la règle. Panégyriste de Saint-Pierre, il se garda de parler de son reniement ; de Saint-Paul il omit de signaler que le prince des apôtres fut d’abord un persécuteur acharné des chrétiens.

« De 1.500 à 1.800 oraisons funèbres imprimées de 1621 à 1789, dix ou douze tout au plus supportent la lecture. » Que de temps, et parfois de talents, mal employés ! Que d’oisifs se sont appliqués, dans ce genre boursouflé, insipide, à mentir avec art ! (le panégyrique d’Athènes coûta 15 ans de travail à Isocrats ; Bossuet eut 140 jours pour écrire l’oraison funèbre du prince de Condé et un an pour élaborer celle de la princesse palatine !) Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Les gens d’Église et de robe, les personnages officiels, les bonzes de toutes les académies éprouvent certainement davantage que les prolétaires le besoin de prononcer des panégyriques. Cultivant avec amour leur petite vanité, combien se complaisent à s’encenser mutuellement ! Pour un Voltaire dérogeant une fois « à l’usage fastidieux de ne remplir un discours de réception que de louanges rebattues du Cardinal de Richelieu », que de plats valets ! Panégyrique d’hommes de lettres, d’hommes politiques, d’hommes d’État ; panégyriques de Jeanne d’Arc, de la Patrie, de la Révolution, de la République, des morts de la guerre (ô Poincaré !) qui encombrent trop souvent les colonnes des journaux ou que vomissent les postes de T. S. F., qui donc a le triste courage de vous lire ou de vous écouter jusqu’au bout ? Fléchier, qui s’y connaissait, disait : « L’imagination a plus de part aux panégyriques que la raison ; ce sont des hyperboles perpétuelles. » « Hyperboles » est poli ; nous employons à l’occasion des termes un peu plus forts pour flétrir les discours trompeurs. — Ch. B.


PANIQUE n. f. et adj. Selon les Grecs, le dieu Pan, au cours de ses randonnées nocturnes, jetait fréquemment l’effroi par de brusques apparitions. De là vient le mot panique, que l’on applique à une terreur subite et souvent collective. Quand un mouton se met à fuir, le troupeau entier prend peur. Les foules humaines aussi sont prises de paniques, car les émotions se propagent avec une incroyable rapidité. On en peut citer des exemples fameux. Préludant aux paniques qui secouent les banques modernes, la banqueroute du système de Law, en 1720 fut le signal d’une indescriptible émotion. Les spéculateurs malheureux, dont les actions et les billets ne valaient plus guère que le prix du papier, s’entassaient aux portes de la banque ; des cris et des menaces montaient à l’adresse de Law. Trois personnes furent étouffées par la foule, tant la presse était gran-