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PAN
1941

de ; et leurs cadavres furent promenés à travers Paris par les ennemis du financier qui réclamaient vengeance. Effrayé, Law, qu’on encensait sans mesure peu auparavant, décampa secrètement et de nuit. Quand Poincaré, en 1914, s’enfuit à Bordeaux avec sa séquelle de ministres, de journalistes, de financiers et de parlementaires, ce fut sous le coup d’une panique, que l’on a vainement essayé de couvrir du manteau de prudence. Ces gens, qui épargnaient si peu le sang de l’humble soldat, craignaient pour leur propre vie, et c’est loin du danger qu’ils transportaient leurs précieuses personnes. Des armées russes, pendant la dernière guerre, furent prises d’une terreur indicible, car elles voyaient la Vierge Marie étendant la main du haut du ciel pour protéger l’adversaire. On a su depuis que des aviateurs, munis d’appareils cinématographiques, projetaient ces divines images sur les nuages qui servaient d’écran. Avec raison, ils avaient tablé sur la superstition populaire. De nombreuses paniques sont volontairement déchaînées par les financiers et les politiciens ; elles permettent de louches combinaisons, d’infâmes marchandages, impossibles à un autre moment. L’affolement provoqué en France par la chute du franc, celui qui vient de secouer l’Angleterre par suite de la baisse de la livre sterling, ont profité à certaines gens. Les gémissements officiels ne purent dissimuler complètement la joie secrète et les ambitieuses visées de ceux à qui cet affolement profitait. Réfléchir, observer, voilà ce que doit faire le sage, quand il voit ceux qui l’entourent pris d’une panique dont le motif n’est pas clair. Il ne peut oublier qu’aux yeux des chefs le peuple est un enfant qu’il est utile d’effrayer en certains cas.


PANTHÉISME n. m. (du grec pan, tout, theos, Dieu). C’est en 1705 seulement que le terme panthéiste fut employé, pour la première fois, par l’Anglais Toland ; mais, en fait, le panthéisme est aussi ancien que la philosophie. Tous les systèmes métaphysiques ou religieux qui réunissent Dieu et le monde, pour n’en former qu’un être unique, se rattachent à cette doctrine. Extrêmement nombreux et de formes très différentes, ces systèmes ne sauraient être ramenés à un seul type ; ils ont toutefois ceci de commun qu’ils considèrent Dieu comme identique à l’ensemble des réalités et n’admettent pas la distinction, chère au théisme traditionnel, entre Dieu et l’univers.

Déjà le panthéisme apparaît dans les antiques spéculations hindoues. Il est clairement exprimé dans certains livres : « La cause suprême, lit-on dans le Vedanta, désira être plusieurs et féconde, et elle devint plusieurs. Cet univers est Brahma, car il en sort, il s’y plonge, il s’en nourrit ; il faut donc l’adorer. Comme l’araignée tire d’elle et retire en elle son fil, comme les plantes sortent de la terre et y retournent, comme les cheveux de la tête et les poils du corps croissent sur un homme vivant, ainsi sort l’univers de l’Inaltérable. » Le monde n’est donc qu’apparence imaginaire, seul Brahma possède une existence vraie ; aussi, quand se termine la vie présente, l’âme, émanation de Dieu, est-elle de nouveau absorbée en lui. Dans le Bhagavad-Gita, où l’inaction complète est recommandée, Dieu est confondu avec ce qu’il y a de meilleur dans l’univers : « Je suis la vapeur dans l’eau, la lumière dans le soleil et dans la lune, l’invocation dans les Védas, le son dans l’air, l’énergie masculine dans l’homme, le doux parfum dans la terre, l’éclat dans la flamme, la vie dans les animaux, le zèle dans le zélé, la semence éternelle de toute nature. Dans le corps, je suis l’âme et dans l’âme, l’intelligence. Quelle que soit la nature d’une chose, je la suis. Enfin, qu’est-il besoin d’accumuler tant de preuves de ma puissance ? Un seul atome émané de moi a produit l’univers, et je suis encore moi tout entier. » Le célèbre philosophe chinois Lao-Tseu sem-

ble avoir été, lui aussi, panthéiste ; mais l’obscurité de son style permet difficilement de pénétrer sa pensée. Il admet un principe éternel, immuable, qu’on ne peut ni définir, ni comprendre ; le monde et les âmes sont des émanations de la substance divine ; après la mort, ces dernières retourneront au premier principe, si elles en sont dignes.

En Grèce, le panthéisme n’aura qu’un nombre assez limité de partisans. On a cru le trouver en germe chez Héraclite d’Ephèse, dont les idées sur l’universel changement et l’universel devenir influenceront Hegel. S’il est vrai qu’Anaximène de Milet identifiait l’air, dont il faisait le principe de toutes choses, avec la divinité, nous sommes, ici, en présence d’un panthéisme matérialiste. Quelques-uns voient un précurseur de Fichte et de Schelling dans Parménide d’Elée et même dans Xénophane. Les Stoïciens furent nettement panthéistes. Le monde est semblable à un être vivant, déclaraient-ils ; Dieu est la force qui imprime le mouvement et l’ordre ; il est inséparable de la matière, principe passif qui ne devient fécond que grâce à l’action divine. Ce que notre âme est pour notre corps, la force l’est pour le monde ; elle en pénètre les diverses parties comme un souffle ou mieux comme un feu qui porte en lui les germes et les raisons d’être de tout ce qui existe. De cette âme du monde, la partie supérieure et directrice réside à part. Force et matière ne se distinguent, d’ailleurs, que temporairement ; à des périodes déterminées, elles se résorbent dans le feu solitaire, d’où le monde sort de nouveau suivant des lois inflexibles. Indéfiniment et d’après un ordre rigoureusement déterminé, des univers pareils au nôtre apparaissent donc, puis font retour à la substance unique qui les a produits. F. Ravaison résume ainsi le panthéisme stoïcien : « Au commencement tout est force, souffle enflammé, tout est Dieu. En vertu de la loi du rythme, qui fait succéder le repos au travail, un relâchement se produit, et un nouvel élément se forme, l’air. Nouveau relâchement, nouvel élément : c’est l’eau qui naît de l’air comme l’air est né de l’éther. En ce moment, le monde est une masse d’eau entourée d’une sphère de feu. Sous l’influence de la chaleur du ciel, une partie de l’eau s’évapore ; l’air se forme de nouveau ; une autre partie de l’eau se condense ; c’est la terre séjour de l’homme. Alors, sous l’action dirigeante de l’esprit divin, les êtres naissent. Mais peu à peu le feu divin retrouve sa tension première. De plus en plus la terre se change en eau, l’eau en air, l’air en feu. Un jour viendra où notre univers sera de nouveau absorbé dans le sein de Dieu. Tout retournera à l’unité première par la conflagration universelle. » On sait quelle prodigieuse influence la doctrine stoïcienne exerça, non seulement en Grèce, mais à Rome. Plotin, qui entreprit de réunir et de concilier les philosophies de Platon, d’Aristote et de Zénon, supposa que, dans la nature, tout vit et tout pense d’une seule vie et d’une seule pensée (Voir Paganisme), Il admit que, par l’extase, l’homme arrive à se diviniser dès ici-bas : « Quand l’âme est devenue semblable à Dieu par les moyens connus de ceux-là seuls qui sont initiés, lit-on dans les Ennéades, elle le voit tout à coup apparaître en elle ; plus d’intervalle, plus de dualité, tous deux ne font qu’un. Dans cet état, l’âme ne sent plus son corps, elle ne sent plus si elle vit, si elle est homme, ou quoi que ce soit au monde ; elle perd toute conscience d’elle-même, et cesse de penser, elle devient Dieu, ou plutôt elle est Dieu. » Ce panthéisme mystique devait avoir une prodigieuse fortune. A la suite de Plotin, tous les ascètes chrétiens et musulmans rêveront de se perdre en Dieu comme la goutte d’eau disparaît dans l’océan ; ils voudront mourir à eux-mêmes, s’oublier pour ne faire qu’un avec l’objet de leur adoration. Les mystiques catholiques frémiraient d’apprendre qu’ils eurent pour prédécesseur un ardent adversaire du christianisme ; pour rester d’accord avec les