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avec lui. La moins coquette fait faire un stage à son soupirant, afin de se rendre compte s’il s’agit d’amour véritable ou d’un simple désir charnel, et aussi pour juger de son caractère.

Malgré la difficulté du choix, malgré la puissance de l’impulsion sexuelle ou des calculs d’intérêt, les hommes choisissent aussi. La plupart voient plus loin que la simple satisfaction charnelle ou que la conquête d’une dot. Ils ont le goût du foyer et l’ambition d’être heureux en ménage. Ils ont assez de maîtrise de soi pour refréner l’imagination avant qu’elle se soit transformée en hallucination passionnelle. Ils sentent plus ou moins confusément que pour une union stable, pour le mariage, il faut élire celle dont on voudrait avoir des enfants. La règle est la même pour l’autre sexe. Par conséquent, l’attrait sexuel ne suffit pas, il faut aussi qu’on puisse avoir pour l’être vers lequel on se sent attiré une certaine confiance, une certaine estime, due au caractère d’abord, à l’intelligence et à la culture quelquefois, et non à des qualités toutes superficielles de séduction.

D’ordinaire, les adultes ne se contentent pas de rechercher la beauté et l’élégance. La coquetterie et. la légèreté repoussent plus qu’elles ne séduisent beaucoup d’aspirants au mariage. Ils préfèrent celui ou celle qui a du sérieux. L’égoïsme est plus difficile à juger, puisque l’amour est la suppression de l’égoïsme et devient un égoïsme à deux. L’effet ordinaire du mariage légal ou illégal est de transformer l’égoïsme personnel en égoïsme familial. Le plus souvent, la bonté féminine ne s’étend pas au-delà du mari et des enfants. Pour la plupart des femmes, le meilleur des maris est celui dont l’activité, la générosité, les préoccupations sont limitées à la famille. Périsse l’humanité, pourvu que la famille prospère ! On est parfois étonné de rencontrer des hommes durs, autoritaires, farouchement égoïstes, exigeant dans leur propre maison la soumission de l’épouse et des enfants, se montrer pointilleux pour le moindre affront, le moindre tort fait à quelqu’un de leur entourage. Ils en ressentent vivement un sentiment d’infériorité. Leur amour-propre se révolte contre toute offense faite à l’un des leurs, et ils poursuivent avec vigueur, en dehors même du bon droit, une réparation qu’ils estiment nécessaire à leur propre dignité.

Tel était autrefois le tableau de la famille. Elle ressemblait, comme je l’ai déjà dit, à la maison d’Albanie, entourée de murs élevés que recouvrent des fagots d’épine. Les femmes acceptaient la soumission à l’autorité du mari, qui leur donnait la sécurité. Avec une indépendance plus grande de la femme, cette morale est encore en vigueur. Pendant la période actuelle de mercantilisme, la morale d’égoïsme familial est la suprême vertu.

On comprend que dans le cas où la famille subit des vicissitudes, sa solidité en est renforcée. Le mari et la femme s’appuient l’un sur l’autre pour résister aux coups du sort, qu’il s’agisse des maladies des enfants ou de difficultés économiques ou de dangers d’autre nature. L’affection s’en trouve accrue. Trop de facilité tend au contraire à desserrer les liens du ménage. Richesse et oisiveté sont les causes les plus importantes du dévergondage sexuel.

Notons que si l’union s’est faite sans affection, ou si l’indifférence et la mésentente sont survenues, la mauvaise fortune peut être le prétexte de la rupture. La mort de l’enfant ou des enfants sera le prélude du divorce. Ou bien les mauvaises spéculations du mari inciteront la femme à réclamer sa dot. D’autre part, la communauté seule des intérêts en péril peut au contraire rapprocher des époux sans mansuétude l’un pour l’autre. C’est peut-être l’association des intérêts qui fait, au moins en partie, que le mariage dans la

classe moyenne est plus solide que dans les autres classes.

En général, aujourd’hui, les conditions familiales sont moins serrées. Le mari et la femme sont davantage sur un pied d’égalité. Le mari ne peut plus compter sur son autorité exclusive. La vie en bon accord n’est plus fondée sur la soumission de la femme. A vrai dire, l’harmonie des caractères a toujours été utile. Elle est encore plus nécessaire à l’époque actuelle. Dans certaines unions, c’est l’attrait sexuel qui entre le premier en jeu, quitte à être contrôlé par l’accord moral. Dans d’autres, surtout quand on cherche celui ou celle dont on voudrait avoir des enfants, c’est l’inclination morale qui est le point de départ. Cette inclination réunit ceux dont les caractères concordent et qui ont sur les choses et les gens les mêmes appréciations. Ils se plaisent ; l’attrait moral fixe l’attrait sexuel et le transforme en amour.

Dans le mariage, l’important est l’accord des caractères bien plus que la recherche de la vertu. Les gens vertueux sans indulgence, ou sans énergie, ou bien sans gaieté, ou sans intelligence, ne sont jamais de bonne compagnie. Ils ne sont même pas bons à faire des pédagogues. La vertu — par maîtrise de soi — en vue du choix du plaisir n’a pas les mêmes inconvénients que la vertu fondée sur le Devoir. La pratique du devoir donne parfois un résultat paradoxal. A force de refouler, on arrive à supprimer toute spontanéité, à dessécher les sentiments, à créer une nouvelle forme d’égoïsme, l’égoïsme puritain, à se donner à. soi-même la conviction d’une supériorité morale, à se rendre en somme insupportable aux autres, à devenir en quelque sorte un être antisocial. Tandis qu’on, voit d’autres, êtres antisociaux par suite d’égoïsme impulsif, de ceux qu’on classe dans la catégorie des indésirables, fonder parfois des amitiés solides, mais exclusives.

L’accord des caractères est donc la condition nécessaire d’une union stable. Voici deux êtres autoritaires : ils ne pourront pas se supporter, il leur faut choisir un conjoint dont la douceur confine à la soumission. On pourrait multiplier les exemples. Remarquons que certaines dissemblances s’atténuent par la vie en commun. Bien des femmes, par exemple, font l’éducation de leur époux, l’affinent, réussissent à adoucir sa grossièreté et ses tendances impulsives. Les maris s’occupent beaucoup moins, en général, de l’éducation de leur femme.

Dans le rapprochement des sexes, la communauté des goûts et des caractères est le facteur principal de la confiance dans l’attachement. Ainsi peut s’expliquer la solidité de certaines unions qu’on aurait pu croire destinées à l’instabilité à cause de la disparité de l’âge. Si le conjoint plus jeune a des goûts sérieux, si le plus âgé a gardé un caractère enjoué, et si entre les deux existe une estime mutuelle, il y a des chances pour que l’union soit aussi solide que toute autre. Mais, dans la plupart des cas, la différence d’âge implique une différence tranchée et même une opposition des habitudes, des goûts, des plaisirs, des jugements et des comportements. Cette différence peut s’observer parfois entre deux conjoints du même âge, mais elle est pour ainsi dire de règle et elle est plus nette entre personnes appartenant.à des générations éloignées. Je ne parle pas seulement de l’esprit différent des générations. Chacune, en effet, a sa morale, ses habitudes, ses modes, ses préjugés, ses goûts, ses jugements qu’elle porte avec elle pendant toute son existence. Mais le heurt des conjoints ou des amants tient surtout à la différence de mentalité et de goûts qui dépend de l’âge lui-même. Les jeunes ont besoin de mouvement, d’activité, d’agitation. Ils sont curieux, ils ne sont pas encore blasés. La danse, les sorties nocturnes ou le sport les attirent. Mille enthousiasmes les soulèvent, souvent