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tants d’une ville de Phrygie furent brûlés. « Les chrétiens, écrit l’apologiste Lactance, sans distinction d’âge ni de sexe, étaient condamnés aux flammes ; et comme ils étaient en grand nombre, on ne les livrait plus isolément au supplice, mais on les entassait sur les bûchers. Les esclaves étaient jetés à la mer avec des pierres au cou ; la persécution n’épargnait personne. » Mais l’inutilité de cette lutte tardive apparut bientôt ; et l’ambitieux Constantin s’appuiera peu après, sur l’Église pour obtenir le pouvoir souverain. Les auteurs ecclésiastiques ont d’ailleurs singulièrement exagéré le nombre des martyrs ; beaucoup de ceux qu’on inscrivit au catalogue des saints n’ont jamais existé ; et les plus belles légendes concernant les confesseurs de la foi furent inventées de toute pièce par des dévots peu scrupuleux. Afin de multiplier les reliques, dont les fidèles étaient friands, certains papes baptisèrent corps de martyrs tous les squelettes extraits des catacombes ou même des vieux cimetières romains. On poussa l’impudeur jusqu’à garnir les châsses de rondelles d’os de chiens. Des prêtres modernes Duchesne, Ulysse Chevalier, etc., ont eu le courage de reconnaître combien l’Église s’était fourvoyée en matière de reliques, de légendes pieuses, de canonisation, d’apostolicité des églises, etc. ; naturellement, les évêques contraignirent au silence ceux dont le courage n’était pas à la hauteur de l’esprit. Mais Houtin et quelques autres, amoureux surtout de vérité, refusèrent de pactiser avec les profitables mensonges chers à leurs confrères du clergé.

Rappelons aussi qu’au dire des apologistes, une preuve de la divinité du catholicisme résulte de la rapidité de sa diffusion. Or au troisième siècle de notre ère le paganisme était plein de vigueur ; beaucoup plus miraculeuse, puisque beaucoup plus rapide, devrait nous apparaître la diffusion de la religion musulmane ou du protestantisme. En réalité les progrès du christianisme furent d’une lenteur étonnante, explicable seulement par la résistance des patriotes romains, persuadés que la prospérité de l’empire dépendait du maintien des rites ancestraux. Si la palme du martyre fut cueillie par de nombreux chrétiens, beaucoup d’autres apostasièrent. Ils obtenaient leur pardon à des conditions diverses : « Que celui qui a succombé après de longues souffrances, disait Pierre, évêque d’Alexandrie, passe quarante jours en un jeûne rigoureux et en œuvres pieuses, puis qu’il soit admis à la communion ; une année de pénitence pour ceux qui ne souffrirent en rien et prirent la fuite par frayeur. Que celui qui a trompé les persécuteurs par des artifices, soit en achetant des attestations libellées, soit en se substituant des païens, fasse pénitence six mois ; un an s’il s’est substitué des esclaves chrétiens qui sont au pouvoir du Seigneur ; trois ans de pénitence pour les maîtres qui ont permis ou commandé à leurs esclaves de sacrifier. Qu’il soit pardonné à ceux qui, après avoir succombé une première fois, retourneront au combat et souffriront avec constance. » Des évêques apostats, en assez grand nombre, livrèrent l’Écriture Sainte aux païens pour être brûlée. Un schisme éclata à leur sujet dans l’église d’Afrique à la fin des persécutions, Donatus de Carthage et ses partisans déclaraient nuls et sans effet les sacrements administrés par eux. Saint Augustin combattit les donatistes et, secondé par les édits impériaux, fit admettre que l’efficacité du ministère sacerdotal ne dépendait pas du caractère personnel du ministre.

À peine l’Église cessa-t-elle d’être persécutée qu’elle devint persécutrice à son tour ; le sang de ses martyrs était encore chaud qu’elle commença de répandre celui de ses adversaires. Et sa cruauté, croissant avec sa puissance, finit par dépasser de beaucoup celle des empereurs romains. Si Constantin ménagea au début la vieille religion nationale, il jeta le masque après la

mort de son collègue Licinius qui régnait en Orient. Lui-même ne reçut le baptême que sur son lit de mort, mais il manifesta ouvertement son mépris pour les anciens dieux, encouragea les conversions, écarta les païens des fonctions publiques et se déclara partout le protecteur de l’Église. « Moi aussi, disait-il aux Pères du concile de Nicée, je suis évêque ; vous êtes évêques pour les choses qui se font au-dedans de l’Église ; et moi, Dieu m’a institué comme un évêque pour les choses du dehors. » Ses successeurs iront plus loin : deux lois de Théodose, quatre d’Honorius fermeront les temples, supprimeront leurs revenus, interdiront les sacrifices, édictant la peine de mort pour fait de religion. En 385, l’évêque espagnol Priscillien sera exécuté, pour crime d’hérésie, avec six de ses principaux partisans.

Saint Jérôme, saint Augustin feront appel au bras séculier ; et le pape Léon Ier proclamera en 447, qu’il est juste et bon d’ôter la vie aux hérésiarques. Doctrine abominable que l’Église ne répudiera jamais et qui fit des milliers et des milliers de martyrs surtout au moyen-âge. La violence entrera si bien dans les mœurs chrétiennes qu’un Charlemagne contraindra les Saxons à choisir entre la mort et le baptême, en massacrant d’un coup plus de 4.000. Les ducs de Pologne procèderont de même à l’égard des Vendes, les Chevaliers Teutoniques à l’égard des Prussiens, les Chevaliers Porte-glaive à l’égard des païens de Lituanie, de Livonie et de Courlande. Toujours et partout, dès qu’elle fut maîtresse, l’Église se montra implacable contre ses adversaires. On sait à quelles horreurs aboutit la croisade prêchée par Innocent III, en 1208, contre les Albigeois. Durant une vingtaine d’années, de pieux catholiques, encouragés par les légats pontificaux, pillèrent des villes florissantes, tuèrent par le glaive ou la flamme des multitudes d’innocents ; sans parler des malheureux que l’Inquisition laissa pourrir dans ses geôles, jusqu’à leur mort. Les Vaudois, coupables de lire l’Écriture Sainte malgré la défense du Pape et de mettre en pratique les conseils évangéliques, furent également brûlés par centaines. En 1663 et 1687 le très chrétien Louis XIV ranimera contre eux les anciennes persécutions : ils s’indignaient de voir l’Église si riche alors que Jésus fut si pauvre, crime de tous le plus impardonnable aux yeux du clergé. Jean Huss et Savonarole, pour avoir dénoncé des abus criants subirent aussi le supplice du feu. Que dire des innombrables martyrs faits par l’Inquisition et des raffinements de torture qu’elle infligea à ses victimes ! (voir inquisition, massacres, tortures, etc.). Heureusement, pour le protestantisme, cette sinistre institution avait perdu de sa force au xvie siècle, dans les pays germaniques. La Saint-Barthélémy en France, les massacres du duc d’Albe dans les Pays-Bas, les atrocités de l’Inquisition Espagnole attestent pourtant que l’Église catholique affectionnait toujours la violence. Luther, de son côté, poussa au meurtre des paysans anabaptistes qui proclamaient les hommes égaux ; et le supplice de Servet donne une piètre idée de la tolérance de Calvin.

Entre protestants et catholiques la lutte continua pendant les xviie siècle et xviiie siècle ; depuis, la réconciliation s’est faite sur le dos des incroyants, leurs communs ennemis. Contre les penseurs libres, contre les hommes irréligieux ils sont d’accord aujourd’hui. Si les moines espagnols furent les meurtriers de Ferrer les Puritains d’Amérique ont conduit à la mort Sacco et Vanzetti. C’est parmi les adversaires des religions et des lois que se recrutent, à notre époque, les vrais successeurs des premiers martyrs chrétiens. ‒ L. Barbedette.


MARXISME (Point de vue communiste-socialiste). ‒ N. m. (Doctrine de Karl Marx). Le socialisme est tour a tour, selon le point de vue d’où on l’em-