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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/89

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MAR
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les unir ; il a fait perdre un demi-siècle d’efforts gaspillés en intrigues politiques auxquelles syndicats et coopératives ont eu grand peine à se soustraire, faisant dévier et tarir le courant d’idées proudhoniennes qui tendaient à détourner le peuple de remettre son sort entre les mains de directeurs de conscience et l’invitaient à étendre ses propres capacités.

Marx, économiste et sociologue, n’eut été classé qu’au second rang ; c’est à son rôle d’agitateur qu’il a du sa notoriété populaire. Marx doit plus à la classe ouvrière que la classe ouvrière ne doit à Marx. ‒ G. Goujon.

MARXISME. n. m. Doctrine de Karl Marx exposée dans les œuvres de cet auteur, notamment dans « Le Capital ». Le marxisme développe la théorie de l’exploitation de la classe ouvrière par le patronat, laquelle a pour but d’apporter une plus-value au capital, plus-value produite par l’ouvrier, mais que le patron s’approprie.

La valeur a pour origine le travail C’est le travail qui donne de la valeur à la marchandise. Sans le travail le problème de la valeur ne se poserait pas pour les objets, et chacun en aurait la consommation libre, comme, par exemple, l’air que nous respirons. Une pierre brute ramassée au bord du chemin n’a pas de valeur : mais si nous la supposons ensuite taillée, cette pierre prend de la valeur parce qu’on y a ajouté du travail.

Pour acquérir des valeurs la patron achète à l’ouvrier sa force de travail ; mais il ne la paie pas ce qu’elle vaut car il s’en réserve une part pour lui. Le patronat tend, à diminuer le taux de la force de travail ; pour cela il a deux moyens : 1° Augmenter le nombre des heures de travail sans augmenter le salaire ; 2° Diminuer le salaire de manière à le réduire au strict nécessaire à l’entretien de la vie de l’ouvrier.

L’accumulation du capital résultant des plus-values qui s’ajoutent constamment, enrichit de plus en plus les patrons. En outre, par l’effet de la concurrence entre eux et du progrès de l’industrie, les patrons tendent à diminuer en nombre en même temps que les entreprises croissent en grandeur. Le petit commerce et la petite industrie tendent à être éliminés par le grand commerce et la grande industrie. Leur personnel tombe dans le prolétariat, c’est la disparition des classes moyennes.

Au fur et à mesure du développement économique, il tend à se former deux classes : 1° Un patronat de moins en moins nombreux et de plus en plus riche ; 2° Un prolétariat de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvre.

Le capital renferme ainsi en lui son germe de mort, car il est évident que par le seul processus du développement économique la révolution doit éclater un jour. il viendra un moment où l’on n’aura plus que quelques individus à déposséder pour transformer la société capitaliste en une société socialiste.

Si l’on s’en rapporte aux déductions logiques du marxisme, la révolution est donc indépendante des volontés humaines ; elle arrivera par la force des choses. Il en est d’ailleurs ainsi pour tous les phénomènes sociaux. On a tendance à s’imaginer que ce sont les idées qui mènent le monde ; il n’en est rien selon le marxisme. Les idées ne sont qu’une suprastructure sans importance. Le monde est gouverné par les phénomènes économiques. C’est l’état économique d’un pays qui cause les guerres, le régime politique, la structure sociale, les mœurs, les religions. C’est ce que le marxisme appelle le matérialisme historique.

Le marxisme a la prétention d’être le socialisme scientifique ; il s’oppose au socialisme utopique des Sismondi, des Saint-Simon, des Fourier, etc. Pour ces théoriciens, le socialisme sera l’œuvre de la volonté

humaine éprise de justice. Certains mêmes fondaient leurs espérances sur la bonne volonté d’un patron (Owen) qui instaurerait le socialisme par humanité,

Le marxisme est-il scientifique comme il le prétend ? Oui, dans une certaine mesure. La concentration capitaliste est un fait et d’autre part la théorie du matérialisme historique renferme une grande part de réalité. Il est certain que nombre d’événements historiques sont déterminés par des causes économiques. Souvent ces causes sont cachées aux peuples et pour les faire agir on invente de toutes pièces la superstructure idéologique : amour propre national, protection d’un peuple faible, etc, La dernière guerre, dite guerre du droit, dont la cause la plus importante était la rivalité économique de l’Angleterre et de l’Allemagne, est une éclatante illustration de la théorie marxiste, du matérialisme historique.

Néanmoins, le marxisme ne saurait prétendre à être une science car il renferme des erreurs. Certes les intérêts économiques ont une grande importance. Cependant l’idéologie (c’est-à-dire les croyances, les préjugés, les mœurs, l’amour-propre), sont loin d’être d’effet nul. On peut même dire que sans cette suprastructure, c’est-à-dire sans les passions, jamais les intérêts matériels ne réussiraient à déclencher les événements. L’Idéologie, comme d’ailleurs l’infrastructure économique elle-même, ne sauraient agir qu’au travers des volontés humaines. C’est ce que Marx n’a pas vu assez ; de là le caractère inerte de sa doctrine.

Marx était un disciple d’Hégel dont le système comportait la thèse, l’antithèse et la synthèse. Le marxisme de même comprend une thèse : l’évolution du capital, une antithèse : l’accroissement du prolétariat et enfin une synthèse qui sera le socialisme.

En dépit de son matérialisme, le marxisme présente donc un côté mystique. Le développement économique apparaît comme une force aveugle et fatale qui agit par dessus les hommes et en dépit d’eux.

Si la concentration capitaliste s’est trouvée confirmée, il n’en est pas de même de la disparition des classes moyennes. Le petit commerce continue à trouver sa vie à côté du grand commerce, répondant à des besoins que jusqu’ici le grand commerce n’est pas parvenu à satisfaire. En outre les classes moyennes se transforment et ne disparaissent pas ; entre le patron et l’ouvrier il y a toute une hiérarchie d’employés à haut traitement dont les intérêts se confondent avec ceux du patronat et non avec ceux de la classe ouvrière.

La loi d’airain d’après laquelle le prolétariat tend vers une paupérisation croissante n’est pas vraie. La paupérisation du prolétariat est au contraire en raison inverse de l’évolution économique ; plus l’état économique est développé (États-Unis), plus hauts sont les salaires. Car en même temps que l’état économique monte le niveau intellectuel du prolétariat, l’ouvrier a des besoins plus grands et exige de hauts salaires.

Le Manifeste Communiste de Karl Marx est une œuvre révolutionnaire. Cependant, jusqu’en 1914, les marxistes ont tiré de leur doctrine la justification du parlementarisme et du réformisme. Puisque la révolution doit venir d’elle-même par le seul jeu de l’évolution économique, point n’est besoin d’y inciter le prolétariat. En poussant jusqu’au bout la théorie du matérialisme historique, on pouvait même aboutir à l’inaction absolue ; si en effet les volontés humaines ne jouent aucun rôle, toute propagande est inutile.

La théorie de la dévalorisation des hommes au profit des choses a servi aux leaders démagogues à flatter les masses. L’ouvrier a la haine des supériorités, c’est un défaut de son ignorance et de son esclavage. Il aime les leaders et en même temps il les jalouse. La théorie de la négation de l’influence des hommes dans