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pour la réconciliation de la France et de l’Allemagne ainsi que pour l’avènement de la République allemande, étaient des social-fascistes, accusation insensée à laquelle les hommes de la deuxième Internationale répondent que Staline, l’auteur du seul Code au monde qui consacre l’égalité des sexes et la liberté de l’amour et qui semble enfin reconnaître la nocuité de la Nep, préparerait, dans l’ombre, on ne sait quel Thermidor portant dans ses flancs un bonapartisme renouvelé !

Pour sortir de cette pétaudière, une clarification dans les idées et une révision profonde de la tactique révolutionnaire s’impose. La disparition ou l’évanouissement de l’État comme disait Lénine n’est pas un but final et lointain, mais une nécessité de vie pour le socialisme. L’Armée, la Police, la Magistrature et l’Église, ces assises principales de l’État, ne sauraient être mises au service de la Révolution sous peine de l’absorber et de la tuer, mais doivent être détruites, anéanties sous et par la ruée des peuples soulevés.

Seule, la socialisation de toute la propriété complétée par la socialisation de la distribution rendra ensuite possible l’abolition du salariat en réalisant l’égalité économique et la liberté individuelle de tous par l’égal droit de chacun sur le rendement social. Là est le salut, il n’est pas ailleurs. ‒ Frédéric Stacklberg.

MARXISME (Point de vue du socialisme rationnel). Dans une étude relative au problème social, nous exposerons que la question d’appartenance des richesses est du domaine du raisonnement et non l’effet mécanique du prétendu déterminisme économique comme l’enseigne plus ou moins nettement le marxisme en tant que doctrine socialiste.

Quoiqu’en disent les marxistes de stricte observance aussi bien que quelques néo-marxistes, le marxisme n’est qu’une religion aussi inopérante, socialement, que celle qu’il prétend remplacer pour l’instauration du socialisme Par le fait que la solution du problème social dépend, selon Marx avant tout, du déterminisme économique, le marxisme ne peut conduire la société que vers des déceptions plus ou moins cruelles. Cela ne veut pas dire, à notre époque d’ignorance sociale sur la réalité du droit, que le marxisme n’est qu’un cadavre à enterrer. Comme tous les préjugés, le marxisme a et aura la vie longue.

Alors que les religions révélées défaillantes donnaient la mesure de leur incapacité à vaincre le paupérisme intellectuel, moral et économique, Marx et quelques disciples pensèrent que l’Humanité avait fait fausse route en cherchant à infuser dans la conscience individuelle un sentiment religieux ou moral de solidarité humaine. Pour eux, la société n’a pas à s’intéresser à la question morale qui se résoudra toute seule par l’efflorescence du politique dans l’économique. Le mécanisme suffit à tout pour bien des marxistes. Ce que les religions révélées n’ont pu faire, au nom de la foi et de la grâce, la religion marxiste du déterminisme économique avec Marx et ses disciples, le résout au nom de la fatalité d’une science mystique bien plus spécieuse que réaliste. Il est presque inutile de s’intéresser à ce qui doit être, diront plus ou moins les marxistes, l’Usine marxiste fabriquera toujours des produits socialistes quelle qu’en soit l’origine. Les produits seront sains ou nocifs, moraux ou amoraux selon les besoins ; ainsi le veut l’Évangile de Marx.

C’est ainsi qu’avec des sophismes de circonstances, le marxisme, pendant la seconde moitié du siècle dernier et le commencement de celui-ci, va remplir de gestes politico-économiques la plupart des manifestations populaires. Grâce aux fictions sur lesquelles le marxisme repose, il pourra faire de nombreux adeptes dans les classes laborieuses, cependant que les classes possédan-

tes n’auront pas à souffrir des conquêtes illusoires qu’elles accorderont aux prolétaires. Il y aura mirage à l’avantage des élites. Cependant, le marxisme apparaissait et reste nettement une méthode empirique de réalisation socialiste toujours prochaine. Du fait de cette croyance prolétarienne, la parodie socialiste s’ancrait dans le cerveau d’un grand nombre d’opprimés et un mouvement de libération sociale naissait d’une méthode, d’une doctrine qui s’annonçait révolutionnaire en théorie et restait conservatrice dans la pratique. Comme résultat, les prolétaires, qui n’ont ni le temps ni les moyens de s’instruire, attendent… l’avènement du socialisme promis mécaniquement et se demandent, non sans crainte, de quoi demain sera fait. Vu à travers les lunettes du marxisme, le socialisme s’annonce comme une utopie. Ses prêtres avaient cependant prêché maintes fois du haut des chaires de l’église socialiste marxiste, qu’une catastrophe rédemptrice ne pouvait tarder à se produire. Il y a quelque quatorze ans que la prophétie semblait se réaliser. Nul ne peut nier que, comme catastrophe, la guerre mondiale n’en ait été une grande, et que la Révolution Russe, aux mains des marxistes, n’ait pas donné l’illusion que les prophéties marxiennes allaient donner la mesure de leur valeur sociale. La transsubstantiation de l’ordre capitaliste à l’ordre socialiste n’allait pas tarder à se produire ; les travailleurs allaient être débarrassés du cauchemar économique et l’harmonie sociale allait régner, d’abord en Russie, dans l’Univers ensuite.

Il serait superflu, sans vouloir dénigrer le moins du monde l’expérience russe, d’entrer dans des explications développées pour savoir que, non seulement le travail n’est pas plus libre en Russie qu’ailleurs, et constater qu’il n’a pas anéanti le paupérisme moral. Ce sont cependant des marxistes, plus ou moins orthodoxes, qui détiennent le pouvoir et les richesses. L’éducation socialiste est entre leurs mains. Le temps, et un temps relativement prochain, nous dira ce qu’a valu cette éducation. Ce qui s’est produit en Russie était inévitable et depuis 1900 nous l’avons exposé, dit et redit dans de nombreux articles de journaux, de revues et dans les livres sur la Souveraineté du Travail et le Collectivisme Rationnel. Nous verrons en exposant quelques-uns des sophismes sur lesquels le marxisme repose, qu’il fallait mettre beaucoup de complaisance pour croire à la puissance créatrice de certains mythes.

De différentes manières, la vie sociale de notre époque nous prouve que le déterminisme économique qui est, en quelque sorte, le pivot sur lequel le marxisme repose, peut, tout aussi bien accoucher de l’impérialisme financier le plus redoutable aux opprimés, comme aux États-Unis, que du socialisme libérateur du travail. Pour être plus explicite, nous reconnaissons qu’il n’y a que de bien faibles chances pour que ce déterminisme opère en faveur des opprimés, quelles que soient les apparences que des rhéteurs habiles mettront en relief. Si, comme nous en avons la conviction, le socialisme doit être instauré sur notre terre et y vivre, c’est à une conception scientifique de liberté et par suite de responsabilité, non seulement différente de celle de notre époque, mais le plus souvent opposée, que nous le devrons. Le socialisme succédera au capitalisme, sans le continuer, comme le jour succède à la nuit. Bien des signes avant-coureurs font comprendre que le jour approche où il ne sera plus possible de diriger une nation par le sophisme d’un progrès qui ne fait qu’augmenter les moyens de domination d’une caste et le mirage d’une production faisant de plus en plus comprendre aux masses laborieuses le manque de satisfaction des besoins ressentis. Nous pensons avec H. de Man, sans nous associer le moins du monde à sa méthode de réaliser le socialisme toujours à venir, que « le moment est