les élites sont-elles à cet égard bien supérieures aux masses ? Il est vrai aussi que les plus habiles à manier les hommes n’appartiennent pas toujours à l’élite morale, ni même à l’élite intellectuelle, mais il y a là encore presque toujours un phénomène commun aux foules et, pris isolément ou en petits groupes, les hommes de la masse ne se laissent pas prendre autant qu’on le semble croire, par le bavardage, le charabia et le bourrage de crâne… Dans les groupements où chacun se connaît réellement, les masses ne donnent procuration qu’à ceux en qui elles sentent des chefs pour la lutte, des galvanisateurs d’énergies, des ouvriers compétents, consciencieux et justes.
En résumé le Progrès social résulte de l’action réciproque de deux facteurs humains : l’individu capable d’initiative, de création et de suggestion de la masse et d’autre part cette masse sympathique à l’individu et capable d’imitation.
De ce qui précède une conclusion me semble pouvoir être tirée ‒ pour notre temps et notre milieu tout au moins, car des faits de ce temps et de ce milieu je n’ai pas la prétention folle de tirer des vérités éternelles et universelles ‒ le système fédéraliste est mieux adapté aux problèmes de la sélection de l’élite, de l’utilisation des initiatives et de la formation des individus capables d’initiative.
L’idée fondamentale du bolchevisme (voir ce mot p.259) qui aboutit à la centralisation et à la dictature méconnaît ces faits que nous nous sommes efforcés d’indiquer au cours de cette étude : il n’y a pas de limite bien nette entre la masse et l’élite ; les masses actuelles diffèrent des masses primitives et, par le plus ou moins d’initiative des individus qui les composent, ont des capacités créatrices dont le centralisme ne peut tirer parti et qu’il risquerait au contraire d’affaiblir et de faire disparaître ; les élites actuelles, souvent trop spécialisées, se trouvent placées en face de problèmes de plus en plus complexes et leurs solutions risquent souvent d’être mauvaises ; il est des cas où le bon sens et l’intention des masses valent mieux que la science et la logique des savants.
Progrès individuel et progrès social. — Il s’agit d’instruire et d’éduquer tous les individus suivant leurs capacités et leurs aptitudes, puis de permettre à chacun d’occuper la place qui lui convient le mieux : celle où ses capacités et ses aptitudes lui permettraient de remplir un rôle social aussi utile que possible.
Si notre société était une société juste, c’est-à-dire sans classes sociales, ce problème général se diviserait seulement en deux problèmes particuliers : 1° problème d’éducation et d’instruction, c’est-à-dire problème de développement des capacités et des aptitudes ; 2° problème d’orientation professionnelle, c’est-à-dire problème de l’utilisation des capacités et des aptitudes.
Mais, d’une part, la société actuelle n’assure pas également le développement des aptitudes, de nombreux individus de valeur étant insuffisamment instruits pour pouvoir être pleinement utiles à eux-mêmes et aux autres ; et, d’autre part, cette société ne se préoccupe du problème de l’utilisation des capacités et des aptitudes que dans la mesure où il ne peut gêner la classe possédante et dirigeante.
Il en résulte pour le prolétariat l’existence d’un troisième problème : le choix de son élite.
Comme nous avons déjà traité le premier des trois problèmes que nous venons d’indiquer (Éducation, Enfant, Instruction, etc.), et comme nous aurons l’occasion de parler du deuxième (Orientation professionnelle) nous allons nous borner à quelques réflexions à propos du dernier.
Théoriquement, il paraît insoluble ; l’incompétence ne peut juger la compétence, la masse ne peut choisir l’élite et ainsi la sélection ne peut venir que par en
J’en reviens au problème du choix des élites. Il me semble que la sélection par en bas doit être corrigée par une sélection par en haut, les sélectionnés par en bas repêchant ceux que l’incompétence de la masse a tenus écartés. Ici encore il s’agit d’une difficulté pratique, il faut choisir une juste mesure entre un système démocratique qui fatalement laisse dans l’ombre une partie de l’élite et une méthode de sélection par en haut qui ne peut mener qu’à une autocratie qui, elle aussi, barrerait plus tard la route à certains individus d’élite.
À ma solution quelque peu compliquée ‒ mais pas plus que la vie cependant ‒certains préfèrent une solution plus simple ‒ simple comme la théorie ‒ : le parti communiste groupe les élites qui doivent diriger le prolétariat.
Le parti communiste ! Mais c’est Staline, Trotsky, Zinovief, Boukarine, etc… Lesquels d’entre eux seront nos guides parmi lesquels se heurtent les points de vue hostiles et qui ont recours à l’excommunication ? Comment voulez-vous que j’aie confiance dans les capacités dirigeantes des uns ou des autres alors que les uns et les autres n’arrivent pas à se mettre d’accord à ce sujet. Puis, pourquoi repousserais-je les prétentions des autres partis, pourquoi ne demanderais-je pas aux anarchistes de guider le mouvement syndical ? Parce que, me répondra-t-on, le parti communiste a fait une révolution. Mais, diront les anarchistes, cette révolution prouve la justesse de nos prévisions, les communistes russes ont montré comment il ne fallait pas faire une révolution ; ils ont supprimé puis rétabli l’héritage, le salaire aux pièces, les examens, la vente de l’alcool, etc…, les mercantis, les bureaucrates, les enfants abandonnés par centaine de mille, etc…, prouvant qu’ils ne peuvent prétendre avoir créé une organisation sociale modèle.
En résumé, c’est encore la solution fédéraliste, qui fait appel à l’initiative d’en bas, qui nous paraît la plus sûre.
Et maintenant : comment l’élite doit-elle agir pour guider et élever la masse ? Poser le problème nous paraît insuffisant. C’est dans toute l’Encyclopédie Anarchiste, dans maints ouvrages et maintes revues que les