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sanction. Toute sanction nécessite un mécanisme de contrainte. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’évolution des sociétés, on constate cette préoccupation du législateur : assurer, par un ensemble de mesures, de défenses et de prescriptions, la tranquillité de l’État et la sécurité des citoyens : l’ordre. Tant que l’Ordre peut être basé sur la Foi, sur la croyance à un magistrat suprême, chaque croyant, c’est-à-dire chaque citoyen, participe à la police de l’État, et le législateur, qui est en même temps le Prince, peut facilement veiller à l’exécution de la loi, sans cet organisme spécial, distinct, qu’est la police du xxe siècle.

Encore au temps de la Grèce, « la police se confondait avec l’ensemble des institutions qui constituaient la cité, et les écrivains anciens entendaient, par un État bien policé, celui dans lequel les lois en général assuraient la prospérité intérieure. » Sous les Romains, ce ne fut que du temps d’Auguste que la police devint une institution spéciale ; encore fut-elle nécessitée par l’étendue du vaste État qui l’enfermait dans son sein des peuples à la foi désharmonique en un ou plusieurs « Dieux ». Elle devint d’ailleurs, tout aussitôt, une véritable police politique, épouvantablement tyrannique. Le « prœfectus urbis », ayant sous ses ordres les « curatores urbis », parsema Rome et les Provinces d’agents inférieurs, chargés de « rapporter » sur tout ce qui était susceptible de porter quelque ombrage au pouvoir d’Auguste. Cette police disparut avec les invasions des « barbares », pour ne renaître que plusieurs siècles plus tard, avec le grand mouvement de libération des Communes. En achetant le droit d’administrer les villes qu’ils habitaient, les bourgeois prirent en même temps toutes les mesures de sécurité et pour eux et pour leurs biens. Ils firent construire les « beffrois », d’où la cloche sonnait le tocsin à l’approche des indésirables, bandits de grands chemins ou hommes d’armes.

Toute la nuit, un corps de police, « le guet », armé, parcourait les rues pour prévenir les vols, les assassinats et, nous disent les chanteurs du temps, « faire peur aux amoureux ». Un service de garde veillait aux portes de la ville, fermées dès le soleil couché. Chaque ville avait sa police, ses règlements et son organisation. Souvent cette police s’opposait à celle que, peu confiants, s’étaient constituée certains corps de métier. Tantôt, donc, faisaient la police : corps de métier, maires, capitouls, consuls, jurats ; tantôt, en d’autres villes, des officiers royaux, et dans les fiefs seigneuriaux, des juges délégués par le seigneur.

A Paris, un prévôt nommé par le roi, fut chargé, vers la fin du xiie siècle, de la police intérieure de la ville, faite d’abord, depuis des temps fort reculés par le chef de la corporation des marchands d’eau. Le Prévôt de Parts, armé et du pouvoir judiciaire et d’une grande autorité, disposa pour faire la police, d’une Compagnie de sergents, d’une Compagnie d’ordonnance et de guet. Mais l’ordre ne put jamais régner totalement, la survivance des autres polices provoquant fréquemment des heurts entre le pouvoir et les corporations des marchands. En outre, il y avait quelque danger pour le Pouvoir à laisser dans la même main l’exercice de la police et celle de la justice.

Un Edit de 1669, institua à Paris un magistrat spécial qui, sous le nom de lieutenant de prévôt pour la police, puis de lieutenant général de police, eût dans ses attributions toutes les branches de la sûreté générale et sous ses ordres : 48 commissaires de police et 20 inspecteurs. Pour la première fois, la justice et la police furent deux organismes distincts. On trouve (Larousse) dans le préambule de cet édit, une définition fort aimable des attributions de la police : « La police consiste à assurer le repos du public et des particuliers, à purger la ville de ce qui peut causer des désordres, à procurer l’abondance et à faire vivre chacun selon sa condition. » Dans ce but furent créés des lieutenants de

police dans les principales villes du royaume et plus tard partout où existait un siège royal.

Et voici, d’après le Larousse, comme les lieutenances de police répondirent aux espérances fondées sur elles. « Si la création de lieutenants de police dont le premier fut M. de la Reynie, eut de bons côtés, elle ne fut pas sans inconvénients graves. La police changea de caractère. Le lieutenant de police ne se borna pas à surveiller les halles et marchés, les rues et les places publiques, les réunions illicites ou tumultueuses, la librairie, l’imprimerie, le colportage des livres et des gravures, le vagabondage, la mendicité, etc., il devint surtout et avant tout un agent politique du Pouvoir dont il émanait. On le vit se prêter à tous ses intérêts, à tous ses caprices et prendre, conformément à ses ordres, les mesures les plus tyranniques. Dès lors, la liberté des citoyens put être foulée aux pieds sans rencontrer d’obstacles dans le pouvoir judiciaire. L’espionnage fut organisé sur une vaste échelle ; on accrut considérablement le nombre des agents, on en créa qui eurent pour mission de dérober les secrets des familles et de prendre tout ce qui portait ombrage à l’autorité. Aussi, malgré quelques règlements utiles, relatifs à l’éclairage de la ville, etc., la police devint extrêmement impopulaire. Dès le début de la Révolution de 1789, le lieutenant de police Thiroux de Crosne donna sa démission et l’institution disparut avec lui. »

Totalement réorganisée par la Révolution, qui nous la laissa à peu près dans l’état où elle est aujourd’hui, la police fut saluée ainsi, par les articles 16 et 17 du Code des Délits et des Peines du 3 brumaire, an IV : « La Police est instituée pour maintenir l’ordre public, la Liberté, la propriété, la sûreté individuelle. Son caractère principal est la vigilance. La société considérée en masse est l’objet de sa sollicitude. » Mais les révolutionnaires de 1789 ont eu d’autres illusions. En réalité, la police continua la bonne tradition des lieutenances de l’ancien régime. Faite pour exercer directement l’autorité au nom du Pouvoir établi, elle se spécialisa dans l’exercice de l’oppression, si bien que, seule, l’oppression fut sa raison d’être. Chargée de surveiller l’exécution des lois, de poursuivre toutes les insoumissions, elle est devenue l’expression même de la tyrannie. Échappant nécessairement à tout contrôle réel, elle est, au-dessus des lois, un organisme de mouchardage, de provocation, de sanie.

Les agents de la police sont recrutés dans les milieux les moins éduqués, les moins conscients, les moins susceptibles de compréhension. La misère, l’ignorance et la fainéantise sont les agents de recrutement de la police. Aussi, lorsque ces individus sont nantis d’un peu d’autorité — celle que confère le collier à pointes au chien de propriétaire — ils oublient leur classe d’origine, l’ignominie sociale et deviennent les plus fermes soutiens du régime du jour. Asexués, déclassés, décérébrés, ils sont, aux jours calmes : « Les braves gens qui s’baladent tout le temps. » Vêtus du costume spécial à la valetaille : majordomes, cochers, suisses, évêques, juges, soldats, ils chassent dans les rues les camelots et les petits marchands qui trichent avec la loi qui garantit le commerce patenté, renté, doré sur glaces et devantures ; ils poursuivent les chiens errants et mal peignés ; battent la semelle devant les préfectures ; assomment les poivrots dans leurs postes sales et punais. Aux « premiers mai », aux jours noirs de la grève où la plèbe hurle sa faim aux accents d’une « Internationale » indisciplinée, armés de matraques et de coupe-coupes, ils cognent sur les femmes et les enfants, bossèlent le crâne aux vieillards. Quand la nuit étend son manteau sur les ruelles, deux par deux, ils sont l’Ordre saint et majestueux. Et lorsque des méchants attaquent le passant attardé, pour n’être pas troublé l’Ordre-Flic « se tire des pattes » et vient sur le champ de bataille, quand il n’y a plus que les morts et les