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parlementaire. Soulignons seulement la contradiction où elle s’est mise avec ses propres théories à propos de la « participation » au gouvernement. Elle n’a pas cessé de tourner autour de ce pot depuis qu’elle s’est faite parlementaire. Au début, elle s’est montrée nettement hostile ; le socialisme devait prendre le pouvoir et non y participer. Faut-il croire que, comme pour le renard de la fable, les raisins étaient trop verts ? Il le semble car, peu à peu, les socialistes sont venus à composition à mesure que les possibilités de collaboration se sont levées à l’horizon. « Avoir des élus dans des assemblées où ils apportent l’opposition socialiste n’est pas de la collaboration », dit-on d’abord. Mais il s’agissait de savoir à quel moment cette opposition deviendrait de la participation. On était sur la pente savonnée où les malins prétendent qu’ils sont toujours à temps pour arrêter la glissade, et où les naïfs acceptent de glisser avec eux. Or, on peut dire à ce sujet que si la casuistique ecclésiastique est tortueuse, celle de l’opportunisme politicien adapté à la politique socialiste ne l’est pas moins. L’élu : conseiller municipal, conseiller général, député, ne devait pas, dans la rigueur de son opposition, occuper des fonctions officielles. Il ne put même, pendant longtemps, devenir sénateur, en raison des tractations et des compromissions avec les autres partis, inévitables pour l’élection d’un si important personnage. C’était toujours l’histoire des raisins !… Peu à peu, le conseiller municipal put devenir adjoint et même maire ; le conseiller général put faire un président de Conseil général ; le député put entrer dans des commissions parlementaires et devenir président de la Chambre des députés. Enfin, l’homme pur, qui ne devait pas compromettre son parti, put être sénateur. Il est resté interdit, sous peine d’excommunication majeure, de devenir ministre, et chaque fois que, depuis M. Millerand, un de ces messieurs a voulu l’imiter, il a dû commencer par démissionner du parti, ce qui, entre parenthèse, ne le gênait guère, puisqu’il n’avait plus besoin de son parti. Comprenne qui pourra, parmi ceux pour qui les mots ont encore un sens. Etre le maire d’une commune, ou son adjoint, n’est ce pas participer à l’administration communale ? Etre membre d’une commission parlementaire, n’est-ce pas participer au travail du parlement ? Etre président de la Chambre des députés, n’est-ce pas participer au gouvernement en planant au-dessus des partis pour faire l’accord entre eux dans leurs débats ? Tout cela, quoi qu’on en dise, n’est-ce pas se mêler aux affaires, contribuer à la fabrication des lois bourgeoises, exercer l’autorité qui les fait appliquer, enfin, participer au gouvernement ? Quelle différence y a-t-il entre l’acte d’autorité du ministre interdisant une manifestation dans toute la France, et celui du maire qui interdit dans une commune ? Seule, une casuistique filandreuse peut faire une distinction. « L’opposition ainsi comprise devient une sinécure qui n’exclut pas les prébendes », a dit fort justement M. B. de Jouvenel. Elle ne sert qu’à dissimuler aux yeux des masses, aussi aveugles dans le parti socialiste que dans les autres partis, les turpitudes par lesquelles les politiciens adaptent les principes du parti à leurs intérêts particuliers et persuadent les sots qu’ils travaillent pour le socialisme quand ils dînent chez les ministres, qu’ils font avancer le collectivisme quand ils s’enrichissent, et qu’ils honorent leur parti quand ils portent à leur boutonnière un ruban rouge !… Aussi, les Caillaux ont-ils beau jeu pour railler le socialisme et dire des idées de Karl Marx qu’elles sont devenues « ces formules desséchées que les partis socialistes, quand ils sont parvenus au pouvoir dans nombre de pays, ont été hors d’état d’incorporer dans les réalités ». En faisant du socialisme révolutionnaire un système gouvernemental, aussi menteur et aussi malfaisant que tous les autres systèmes politiques, les partis socialistes ont réduit le socialisme à ces « formules desséchées ».

On discute, depuis deux ou trois ans, de la « crise doctrinale du socialisme ». Il y a toute une jeunesse ardente, sincère, que les pratiques de l’arrivisme politicien n’ont pas corrompue, et qui cherche la voie d’un redressement du socialisme dans sa véritable raison, sa véritable action, son véritable but. Dans son inquiétude de ne pas trouver cette voie et dans son désir d’action, cette jeunesse dit : « Il ne suffit pas, pour être révolutionnaire, de flétrir jour par jour les forces d’oppression et ceux qui faiblissent devant elles… Il est possible que l’orage vienne ; bien des récoltes périront peut-être. Qu’aurez-vous fait pour les sauver ? » L’observation est certainement fondée à l’égard de certains dilettanti. Mais, est-ce ne rien faire pour sauver les récoltes que de dénoncer ceux qui les exposent systématiquement à l’orage, et n’est-ce pas mieux faire que « les plumitifs des différents partis dits avancés que vous voyez suspecter, et insulter, et déchirer tout indépendant qui ne paie pas cotisation dans leurs boutique » ? (J. R. Bloch). La première chose à faire pour un redressement du socialisme serait de le faire rompre avec le parlementarisme. Mais il est déjà bien tard pour cette opération. Comme tous les autres partis, le socialisme est aujourd’hui dominé, gangrené par ses politiciens : ses états-majors de gens plus ou moins arrivés au maréchalat, ne voulant lâcher leur bâton à aucun prix, dû le parti en périr ; sa hiérarchie de chefs et de chefaillons aux dents d’autant plus aiguisées qu’ils ont déjà mordu peu ou prou à la galette du pouvoir ; son armée de tous les affamés d’autorité, fût-elle celle d’un « flic », qui seraient, comme le héron de la fable, tout heureux et tout aise de rencontrer, grâce au socialisme, un limaçon en attendant une plus abondante chère. Tout ce monde se gave, ou aspire à se gaver, de la détresse de l’immense foule des véritables affamés, à exploiter la colère des véritables prolétaires pour qui le « grand soleil rouge », toujours annoncé, ne brille jamais.

L’Église romaine a prétendu être une puissance populaire et démocratique parce qu’il lui est arrivé de faire papes des gardeurs de pourceaux. Napoléon, qui escamota la République dans le but de lui substituer une nouvelle dictature dynastique, déclarait que chacun de ses grenadiers portait dans sa giberne un bâton de maréchal. Voici ce que produit aujourd’hui la démagogie socialiste mise au service de la démagogie bourgeoise : « De nos jours, le plus modeste des enfants de nos écoles peut devenir chef du gouvernement ou président de la République… Gloire donc à la Révolution qui a mis dans chaque berceau ce rayon d’espérance ! Gloire à la République qui peut se permettre d’élever au plus haut degré de la hiérarchie sociale le plus humble de ses enfants !… Oui, c’est une grande chose que les enfants du peuple puissent désormais s’élever dans l’État jusqu’au faîte des charges et des honneurs. » (Alexandre Varenne). Le socialisme n’est plus, d’après Varenne, d’apprendre à tous les enfants du peuple à vouloir la justice sociale dans l’égalité de tous les hommes et dans la solidarité commune. Non. Il consiste à leur apprendre à arriver, à dominer par les compétitions et les intrigues, les mensonges et les violences qui permettent à un soliveau national de s’ériger, tous les sept ans, « au faîte des charges et des honneurs » !… Il y a, entre ce laïus de M. Varenne et certaine opinion formulée jadis par M. Millerand sur les présidents de République, tout le chemin parcouru par le socialisme parlementaire dans la voie honteuse de son adaptation au muflisme démocratique (voir Muflisme).

En décembre 1927, M. Poincaré, chef du gouvernement, donnait ce satisfecit aux socialistes du Sénat : « Je suis en face d’une opposition des plus courtoises ; vous me laissez accomplir mon œuvre. » En février 1928, il disait à ceux de la Chambre des députés : « Vous conduisez votre opposition sans aucune hostilité, avec