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ciations avaient été fondées. Malheureusement, elles disparurent emportées par la réaction qui fut la conséquence du Coup d’État de 1851 ; car les coopérateurs étaient, dans l’immense majorité des cas, des hommes d’avant-garde. Si donc ces coopératives ont disparu, ce n’est point parce qu’elles avaient été mal gérées, c’est uniquement parce que le pouvoir central les a tuées.

Elles étaient si peu décidées à disparaître, qu’en 1849 elles avaient constitué une Fédération nationale qui, 34 ans plus tard, devait s’appeler la Chambre consultative des associations (aujourd’hui : sociétés) ouvrières de production.

Quand l’Empire devint « libéral » (1867), il se constitua un certain nombre d’associations coopératives de production. Mais la guerre de 1870 et la Commune emportèrent la plupart d’entre elles. Lorsque les proscrits de la Commune rentrèrent, en 1881, ils créèrent d’autres sociétés qui, unies à celles qui existaient encore, se réunirent en 1883 en un congrès national au nombre d’une trentaine et décidèrent la création de la Chambre consultative. En 1885, ces coopératives participèrent à l’Exposition du Travail, en y édifiant et y meublant un pavillon tout entier, qui impressionna vivement l’opinion publique et les Pouvoirs constitués. Le décret du 4 juin 1888, établi par Léon Bourgeois, avec la collaboration de Paul Doumer et Charles Floquet, dota les associations ouvrières de leur premier statut légal. Ce statut a été amélioré en 1920 et il est en instance devant le Conseil d’État pour des améliorations nouvelles.

En pleine guerre, le 18 décembre 1915, vote de la loi organique de la coopération de production et des fonds de dotation pour ces associations. Elle a été incorporée en 1927 dans le Code du Travail. Les adversaires des sociétés coopératives de production les représentent comme des gouffres dans lesquels disparaîtraient les richesses du pays. En vérité, depuis l’arrêté ministériel du 15 novembre 1908 jusqu’au 31 décembre 1930, les coopératives de production ont bénéficié de 1.017 prêts ou avances s’élevant à 33.254.000 francs, sur lesquels 18.641.095 francs ont été remboursés. Les pertes ? 510.724 francs, soit à peine 2, 60 p. 100 de l’argent prêté.

Actuellement, il existe en France 340 coopératives de production, d’industries diverses, adhérant à la Chambre consultative. Elles ont fait, en 1930, environ 210 millions de francs d’affaires. A côté, non adhérentes, 263. Ces 603 coopératives ouvrières groupaient, en 1930, environ 23.000 associés, ayant fait environ 400 millions de francs d’affaires. (D’après les statistiques du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, il existerait 589 coopératives ouvrières de production, dont 564 ont répondu à l’enquête préfectorale permanente. D’après ces statistiques, ces coopératives se répartiraient de la manière suivante : pêcheurs et jardiniers, 11 ; mines et carrières, 9 ; alimentation, 8 ; bois, liège, vannerie, tabletterie, 55 ; industries chimiques, 3 ; industries textiles, vêtements et toilette, 31 ; métaux, 49 ; travaux publics et bâtiment, 250 ; travail des pierres, verrerie, 31 ; industries du livre et du papier, 69 ; cuirs et peaux, 10 ; transports et manutention, 26 ; divers, 12.)

A côté de la Chambre consultative, et avec des Conseils d’administration distincts : 1° la Banque coopérative des Sociétés ouvrières de production, qui fait des avances aux sociétés et escompte leur papier ; 2° l’Orphelinat de la Coopération de production, qui aide les orphelins des sociétaires et possède une maison de vacances à Chalo-Saint-Mars, dans la grande banlieue parisienne ; 3° la Maison de retraite de Chalo-Saint-Mars, pour les vieux coopérateurs sans famille ; 4° la Caisse de compensation qui attribue des allocations familiales. En outre, la Chambre consultative possède un service de contentieux et d’assurances et un journal bimensuel, l’Association ouvrière, qui défend les thèses du mouvement.

La Chambre consultative s’attache à appliquer la formule fouriériste, grâce à quoi on établirait l’harmonie entre le Capital, le Travail et le Talent. Pour le surplus, les coopératives de production s’attachent à réaliser la formule proudhonienne de responsabilité et de liberté dans l’association : « Que le salaire soit proportionné à la nature de la fonction, à l’importance du talent, à l’étendue de la responsabilité. Que tout associé participe aux bénéfices comme aux charges de la compagnie, dans la proportion de ses services. Que chacun soit libre de quitter à volonté l’association, conséquemment de faire régler son compte et liquider ses droits, et réciproquement la compagnie est maîtresse de s’adjoindre toujours de nouveaux membres. » D’autre part, les associations ouvrières travaillent à l’abolition du salariat en réalisant la formule de Charles Gide : « L’abolition du salariat sera simplement la substitution de la démocratie industrielle au patronat et l’abolition du profit par la suppression de tout prélèvement parasitaire sur le produit du travail. »

Programme ambitieux, objectera-t-on, mais pour quelles réalisations ! Il est vrai que les associations ouvrières de production n’ont pas encore pris dans l’Economie nationale, et dans l’Economie mondiale, la place éminente que ses protagonistes aspirent la lui voir s’attribuer. (Néanmoins, les coopératives industrielles de production, adhérentes à l’Alliance coopérative internationale, sont actuellement au nombre de 1.071 groupant 133.000 sociétaires, disposant d’un capital de 225.000.000 francs et ayant fait, en 1931, pour 950.000.000 francs d’affaires.) Mais il serait injuste de juger une méthode d’action aux simples résultats matériels du début. Et, en effet, si les coopératives de production n’ont pas encore, et il s’en faut, englobé dans leur activité toutes les entreprises, malgré tout, elles ont libéré un nombre respectable de salariés des inconvénients du salariat et, à ce titre, elles sont des facteurs éminents au point de vue social.

Le lecteur curieux de l’histoire et de l’évolution de ces coopératives lira avec plaisir et profit, notamment : La Societa coopérative de produzione, d’Ago Rabbena et les Cours sur les Associations coopératives de production, au Collège de France, par Charles Gide (1922-1923). Dans leurs ouvrages, ces auteurs étudient ces coopératives sous leurs aspects les plus variés, leurs statuts, les formes diverses (depuis celles à forme autonome jusqu’à celles à forme semi-capitaliste, en passant par celles à forme socialiste et syndicaliste). Parmi les premières, une qui a mal tourné, celle des Lunetiers ; deux dans lesquelles le directeur a autant d’autorité sur les associés qu’un véritable patron : celles des Ferblantiers réunis et celle des Charpentiers de Paris. D’ailleurs, cela n’a pas empêché ces dernières de réussir supérieurement.

Parmi les coopératives du type syndical, l’Association des Tapissiers de Paris ; celle des Fabricants de voitures et la vieille Verrerie ouvrière d’Albi qui, depuis 1930 est devenue une véritable association ouvrière, et non plus une Verrerie ouvrière, ainsi que l’avaient voulu Pelloutier, Hamelin et Yvetot. Parmi les sociétés à type socialiste (d’un socialisme économique), celles qui reçoivent des avances des coopératives de consommation, des communes, de l’Etat, pour fournir un travail déterminé. Mais nous en parlerons à propos des coopératives de main-d’œuvre. Parmi les coopératives ouvrières à caractère semi-capitaliste, la vieille maison Leclaire, fondée par Leclaire, en 1826. Cette société est très hiérarchisée, afin de sélectionner les associés qui parviendront au sociétariat et à la Direction dans la mesure où ils auront donné des gages de dévouement à l’œuvre commune. Leclaire était un patron fouriériste qui commença, en 1842, à instituer dans son entreprise, la participation du personnel aux bénéfices. Pour cela, il fut l’objet de la méfiance de ce personnel et