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ses des divers gouvernements. Nous pourrions multiplier les exemples et montrer que les magnats de la finance et de l’industrie sont au-dessus des lois que les autorités imposent, sans douceur, aux mortels ordinaires.

« Lorsque le groupe Standard Oil et le groupe Shell Dutsch, écrit F. Delaisi, se disputaient les gisements de pétrole du Mexique, si le gouvernement de ce pays prenait des mesures favorables à l’un des deux rivaux, une « révolution » éclatait aussitôt et les deux armées marchaient régulièrement sur Tampico, région des puits de naphte. Invariablement, l’une était toujours fournie de canons, de mitrailleuses, voire d’avions de marque américaine, l’autre d’armes de fabrication anglaise. C’est ainsi que le Mexique fut, pendant vingt ans, en proie à la guerre civile. Il n’a retrouvé la tranquillité que depuis que les deux groupes ont constaté qu’on produisait trop de pétrole brut, et se sont entendus pour empêcher l’exploitation de nouveaux gisements désormais inutiles. La Chine nous offre, en plus grand, un spectacle analogue. Depuis vingt ans, cet immense pays est la proie d’une douzaine de toutous, véritables entrepreneurs de guerre qui lèvent des armées de mercenaires. Ces armées sont équipées à l’européenne ; et si l’on veut connaître la provenance de leurs armements, il suffit de suivre dans les journaux les visites de leurs officiers au Creusot, à Saint-Étienne, chez Krupp ou chez Vickers. Les grandes firmes d’armement leur procurent en abondance canons, mitrailleuses et munitions, et sont payées sur le produit du pillage des provinces. Chaque général a ainsi ses commanditaires dont on pourrait trouver les noms dans les banques de Hong-Kong, de Paris, de Londres, de New-York, de Yokohama, ou même de Moscou. De simples déplacements de capitaux déterminent la fusion ou la scission des armées, selon que les commanditaires changent de généraux, ou les généraux de commanditaires. » Schneider, la société Hotchkiss et beaucoup d’autres ont vu croître leurs bénéfices grâce à la guerre sino-japonaise. Et l’on sait que, pour les industriels et les banquiers, les années qui vont de 1914 à 1918 furent une époque bénie entre toutes.

Traités, pactes internationaux, engagements solennels, rien ne compte lorsque l’intérêt des groupements capitalistes est en jeu. Chez nous, le Comité des Forges finançait, avant guerre, les associations patriotiques et les journaux bellicistes ; Krupp, en Allemagne, faisait de même. Or, ils s’entendaient parfaitement, afin de mieux rançonner les deux pays et, en cas de guerre, de prolonger le plus possible les hostilités. « J’ai, ici, a déclaré Barthe à la tribune du Palais-Bourbon, contrat qui a été signé avec Krupp, quelques années avant la guerre, et qui fait bénéficier le grand constructeur de canons d’une réduction de 40 marks par tonne. Ce qu’il y a de grave, c’est que lorsque l’industrie française a traité avec le constructeur de canons allemand, elle savait qu’elle traitait pour la production de guerre. Je dirais plus : elle savait qu’elle fournissait à Krupp un stock pour la guerre qui allait venir. Mieux encore : elle savait que la guerre éclaterait vers 1914. » Le ferro-silicium étant nécessaire à l’industrie de guerre allemande qui en manquait, le Comité des Forges en mettait un stock à la porte de l’usine Krupp, pour qu’elle l’ait immédiatement à sa disposition, en cas de mobilisation. De plus, le même Barthe a déclaré, sans qu’on le démente : « J’affirme que certains adhérents du Comité des Forges ont fourni, pendant la guerre, des matières premières à l’Allemagne et que, pour étouffer cette affaire, le Comité des Forges a gêné les investigations de la Justice. » Les industriels allemands n’hésitaient pas davantage à fournir aux Alliés les produits dont ces derniers manquaient et qu’ils avaient en abondance. Le sang coulait à flots ; cela n’importait pas, puisque,

des deux côtés de la frontière, les magnats du capitalisme étaient satisfaits.

Aucun crime n’arrête l’oligarchie financière qui, présentement, gouverne notre globe. Pour mieux tromper l’opinion, elle sait d’ailleurs revêtir des formes diverses. Voyez les assurances : en observant combien sont nombreuses les compagnies, il semblerait que là, du moins, règne la libre concurrence. Pourtant, dans ce domaine aussi, comme dans bien d’autres, un monopole de fait existe pour le plus grand profit d’une bande d’aigrefins. Sans doute, aucune pénétration ne se constate entre les compagnies, lorsqu’on les examine chacune séparément, à l’exception, bien entendu, de celles qui arborent une raison sociale unique pour chaque branche d’assurance. En apparence, les conseils des différentes raisons sociales sont distincts et sans lien ; la diversité des administrateurs persuade que chaque groupe reste isolé. Mais ces administrateurs émanent d’un même centre ; ils se retrouvent dans les bureaux de la haute finance, et font adopter partout ordres et directives de cette dernière. Pour la façade, les groupes ont l’air de se concurrencer ; en réalité, une poignée d’hommes, qui s’entendent au préalable, loin des regards indiscrets, exerce sur l’ensemble un pouvoir absolu. Et les bénéfices qu’ils réalisent annuellement atteignent des milliards. Ajoutons que les mêmes noms se retrouvent dans les conseils d’administration des compagnies de chemin de fer, des grandes banques, des grandes sociétés industrielles. Toutes les branches importantes de l’activité économique ont ainsi à leur tête les représentants d’une oligarchie financière, qui organise à son profit des monopoles de fait dont l’existence reste inconnue du populaire. Détenant à la fois les services publics, les organes de distribution de crédit et les grandes entreprises de production, en outre maîtresse des journaux les plus répandus, et accordant les pots de vin avec largesse, tant aux députés qu’aux sénateurs, la haute banque dispose des pouvoirs publics et des administrations. L’État, si tyrannique, si implacable pour les pauvres et les ouvriers, n’est que le premier de ses serviteurs. Par lui, elle impose à l’ensemble ses volontés, qu’il s’agisse de contrats, de tarifs ou de procédure ; et, lorsque ses affaires périclitent, le Trésor public se charge de remplir ses caisses vidées par une mauvaise gestion. Chemins de fer, compagnies de navigation, banques en déconfiture, etc., reçoivent ainsi, périodiquement, des sommes qui se chiffrent par milliards.

Débordant le cadre national, trusts et cartels s’organisent pour l’exploitation du marché international. L’après-guerre surtout a vu se multiplier les ententes de ce genre. « En présence d’un marché national saturé et d’un trésor à sec, face à des marchés extérieurs envahis par la concurrence, déclare Rhillon dans sa forte étude Le Travail-Argent, l’extension du système des trusts et cartels s’imposa. C’est alors qu’on voit se créer, après de laborieux pourparlers, le Cartel européen de l’Acier, suivi bientôt du cartel des produits chimiques, du Cartel de l’Aluminium, etc. Ces ententes internationales, strictement limitées à un objectif défini – le maintien des prix –, et dont le joug s’appesantit sur les États satellites et vassaux, n’impliquent pas une idée d’équilibre et de stabilité, comme on a essayé de le faire croire. Non seulement elles sont susceptibles de s’effriter sous la poussée des circonstances, mais elles laissent le champ libre à toutes les intrigues, à tous les désirs séparés d’expansion, à toutes les manifestations d’impérialisme… Les cartels internationaux ont en vue d’assurer à leurs adhérents un profit normal sur les marchés du dehors. Ce profit normal relève du monopole de fait. Il est fixé sans débat et sans contestation possible du preneur par les maîtres de l’offre. Les organismes producteurs, membres du cartel, sont taxés pour un tonnage déterminé. S’ils le dépassent,