vre croyant se tourne vers ses saints pour leur demander courage et réconfort. Il revoit Jeanne d’Arc « la bonne Lorraine » c’est-à-dire l’Allemande (car à cette époque la Lorraine était de vassalité allemande (Paraf-javal). C’est l’Ange, c’est Dieu qui lui téléphone, c’est sa mission… Toutes les foutaises ! Parfois, pourtant, sous l’empire de la souffrance les yeux se dessillent, le voile tombe. Trop tard ! Il n’y a plus qu’une seule chose qui pousse encore cette loque à obéir : la peur. Mais le dieu farouche est là qui le guette, et, au moindre mouvement de rébellion, se jette sur sa proie. Mourir pour la patrie ! Ah ! comme Dorgelés en a dépeint toute l’horreur ! La page vaut la peine qu’on la reproduise ici :
« Non, c’est affreux, la musique ne devrait pas jouer ça…
« L’homme s’est effondré en tas, retenu au poteau par ses poings liés. Le mouchoir, en bandeau, lui fait comme une couronne. Livide, l’aumônier dit une prière, les yeux fermés pour ne plus voir. Jamais, même aux pires heures, on n’a senti la Mort présente comme aujourd’hui. On la devine, on la flaire, comme un chien qui va hurler. C’est un soldat, ce tas bleu ? Il doit être encore chaud.
« Oh ! Être obligé de voir ça, et garder pour toujours, dans sa mémoire, son cri de bête, ce cri atroce où l’on sentait la peur, l’horreur, la prière, tout ce que peut hurler un homme qui brusquement voit la mort là devant lui. La Mort : un pieu de bois et huit hommes blêmes, l’arme au pied. Ce long cri s’est enfoncé dans notre cœur à tous, comme un clou. Et soudain, dans ce râle affreux, qu’écoutait tout un régiment horrifié on a compris des mots, une supplication d’agonie : « Demandez pardon pour moi… Demandez pardon au colonel. » Il s’est jeté par terre, pour mourir moins vite, et on l’a traîné au poteau par les bras, inerte, hurlant. Jusqu’au bout il a crié. On entendait : « Mes petits enfants… Mon colonel… » Son sanglot déchirait ce silence d’épouvante et les soldats tremblants n’avaient plus qu’une idée : « Oh ! vite… vite… que ça finisse. Qu’on tire, qu’on ne l’entende plus… »
« Le craquement tragique d’une salve. Un autre coup de feu, tout seul, le coup de grâce. C’était fini… Il a fallu défiler devant son cadavre, après. La musique s’était mise à jouer Mourir pour la patrie, et les compagnies déboîtaient l’une après l’autre, le pas mou. Berthier serrait les dents pour qu’on ne voie pas sa mâchoire trembler. Quand il a commandé : « En avant ! », Vieublé, qui pleurait, à grands coups de poitrine, comme un gosse, a quitté les rangs en jetant son fusil, puis il est tombé, pris d’une crise de nerfs. En passant devant le poteau, on détournait la tête. Nous n’osions pas même nous regarder l’un l’autre, blafards, les yeux creux, comme si nous venions de faire un mauvais coup. Voilà la porcherie où il a passé sa dernière nuit, si basse qu’il ne pouvait s’y tenir qu’à genoux. Il a dû entendre sur la route le pas cadencé des compagnies descendant à la prise d’armes. Aura-t-il compris ? C’est devant la salle de bal du Café de la Poste qu’on l’a jugé hier soir. Il y avait encore les branches de sapin de notre dernier concert, les guirlandes tricolores en papier et, sur l’estrade, la grande pancarte peinte par les musicos : « Ne pas s’en faire et laisser dire. » Un petit caporal, nommé d’office, l’a défendu, gêné, piteux. Tout seul sur cette scène, les bras ballants, on aurait dit qu’il allait « en chanter une », et le commissaire du gouvernement a ri derrière sa main gantée.
« — Tu sais ce qu’il avait fait ?
« — L’autre nuit, après l’attaque, on l’a désigné de patrouille. Comme il avait déjà marché la veille, il a refusé. Voilà…
« — Tu le connaissais ?
« — Oui, c’était un gars de Cotteville. Il avait deux gosses.
« Deux gosses, grands comme son poteau… »
Mais rien n’y fait… Ou plutôt, l’évolution est tellement lente que le patriotisme a toujours la faveur des foules. Cela tient à deux causes principales : 1° La sottise ; 2° l’action des prêtres.
Que dire de la sottise, sinon qu’elle est immense. Sous le choc des rudes expériences on pourrait croire parfois que c’en est fait des errements du passé ; mais non, l’homme a une cervelle de mouton. Se souvient-il qu’on le tond périodiquement et sait-il que le boucher attend qu’il soit assez gras pour l’égorger ? « Eh ! les hommes font-ils des expériences ? Ils sont faits comme les oiseaux, qui se laissent toujours prendre dans les mêmes filets où l’on a déjà pris cent mille oiseaux de leur espèce. Il n’y a personne qui n’entre tout neuf dans la vie, et les sottises des pères sont perdues pour les enfants. » (Fontenelle, Dialogue des morts.) Est-ce que comme avant la dernière guerre, nous ne trouvons pas des masses de jeunes gens enrôlés sous les drapeaux du nationalisme ? Est-ce que même d’anciens combattants ne sont pas groupés dans des associations bien pensantes, prêts à « remettre ça », s’il le faut ? Et parmi les ligues dites « pacifistes » combien en est-il qui n’enverront pas leurs adhérents à la frontière, lorsque la patrie sera encore en danger ? En bas, il y a de vagues aspirations à la paix, mais il y a surtout la résignation du troupeau :
Ton fils, le soldat, est mort pour la France !
La pauvre âme en deuil clame sa souffrance,
Pourquoi donc là-bas, l’ont-ils abattu ?…
Mais, tu dis pourtant, toi malheureux père…
Qu’il faut des soldats, pour faire la guerre.
Alors ! dis, gros Jean, pourquoi te plains-tu ?
Ah ! Si l’on n’avait la certitude que, suivant la grande loi de l’évolution, le patriotisme est appelé à rejoindre dans la mort les vieilles religions disparues, si l’on se fiait seulement aux apparences, combien aurions-nous de raisons de désespérer !
Mais vous, les mamans, vous les femmes,
Ces morts, vos pauvres bien-aimés,
Vous les avez laissé mourir,
Vous les avez laissé partir,
Vous l’aimiez donc bien, la Patrie !
s’écrie Marcel Martinet avec son grand cœur de poète désabusé. Et cependant de ci, de là, il est des actes qui nous interdisent le découragement. Il y a eu les femmes italiennes, naguère, qui se sont couchées sur les rails pour empêcher le départ de leurs enfants ; il y a l’objecteur de conscience qui se refuse à tuer.
Quant aux prêtres, ils sont légion. Prostitués à l’argent, ils pontifient en temps de paix pour les générations nouvelles qui ignorent, et en temps de guerre pour les générations sacrifiées qui meurent. Certes, il est parmi eux des hommes sans foi — signe des temps — qui pèchent souvent par omission. Un instituteur nous déclarait récemment : « J’ai honte chaque fois que je parle de la patrie. » Et combien parmi ses collègues savent rester objectifs, suivant, d’ailleurs, en cela, le conseil de leur grand maître J. Ferry : « Vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée qui est la conscience de l’enfant. » Mais aussi combien de comédiens n’avons-nous pas connus, depuis le chansonnier populaire jusqu’au Président de la République ! Citons deux de ces mirlitons, pour avoir une idée de leur genre. Nous allons donc nous abaisser jusqu’à Botrel ; il est le maître incontesté de la chanson célébrant la guerre fraîche et joyeuse. Pour qu’un peuple se soit avili jusqu’à admi-