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que je pris pour une envie d’uriner. Je m’efforçai à plusieurs reprises de la renouveler et j’y parvins presque régulièrement. Vers le même temps, un camarade de jeu, plus âgé que moi d’une année, me raconta que sa mère l’embrassait sur les fesses et que cela lui plaisait beaucoup. À nous deux, nous essayâmes de renouveler cette satisfaction qui, autant qu’il m’en souvienne, était beaucoup plus psychologique que physique. Peu de temps après, nous nous séparâmes et je ne pensai plus à ces choses. J’avais dix ans lorsque, à la campagne, une voisine, jeune fermière, qui me témoignait de l’affection et me gâtait, m’emmena dans un grenier où il faisait très chaud. Elle m’étendit à côté d’elle sur du foin et prit jeu à me chatouiller. Je devais être en état d’excitation et elle s’en aperçut. Toujours sous prétexte de jeu, elle défit mon vêtement et se mit à me caresser. Puis, feignant d’avoir trop chaud, elle se dévêtit aux trois quarts et commença à me donner une leçon d’anatomie. Je me sentais très excité et ce fut sans difficulté que je me prêtai à un exercice qui me fit éprouver une sensation violente, alors elle me serra contre elle en m’embrassant. Comme personne ne pouvait la soupçonner, et qu’avec un garçon de mon âge elle ne craignait point d’être fécondée, elle continua ce manège, durant tout le temps de mon séjour à la campagne. Je me sentais dans un état de trouble et de fatigue extrême. Je n’ai plus eu de ces relations avec cette femme, mais toute ma jeunesse a été hantée de ce souvenir qui me procurait un mélange de plaisir et de honte. Je me suis souvent demandé si cela ne me rendrait pas fou quelque jour. »

Des sensations érotiques si prononcées, pendant la période pré-pubère, sont exceptionnelles sans doute ; néanmoins, si une fausse honte n’empêchait bien des aveux, nous saurions que le nombre est grand de ceux qui, durant leur enfance, ressentirent des impressions sexuelles plus ou moins vagues. Inspirés par le christianisme, les moralistes occidentaux ont jeté l’anathème sur les plaisirs de la chair. Un opprobre accablant pèse sur tout ce qui concerne la procréation ; les organes sexuels sont réputés honteux ; l’union de l’homme et de la femme est entourée d’innombrables restrictions. Dans L’Éducation Sexuelle, un ouvrage qui lui fait honneur, Jean Marestan s’élève contre cette sotte pudibonderie. Il déclare : « Il est un instinct charmant qui porte les femmes, en âge d’aimer, à mettre une certaine réserve dans le don d’elles-mêmes, à dissimuler leurs formes sous des étoffes, dont l’assemblage harmonieux et les couleurs seyantes sont un attrait de plus pour leur beauté. Et cet instinct, qui fait plus désirable encore ce qui semble se refuser aux regards, rend plus savoureux l’accomplissement de la grande loi d’amour. Il est, en outre, chez les hommes et les femmes d’essence supérieure, une sorte de goût raffiné d’isolement et de discrétion, pour ce qui concerne les actes de leur existence intime. Et ils contribuent ainsi, dans les liaisons passionnelles, à relever d’un caractère de troublante séduction ce qui, sans le secours d’un peu de poésie et d’un décor approprié, ne serait plus en soi que l’assez banal assouvissement d’un besoin physiologique. Mais il n’y a pas lieu de confondre ces tendances si compréhensibles de notre être, et qui ne sont point contraires aux exigences d’une vie normale, avec le préjugé grossier, pourtant aujourd’hui si répandu, qui consiste à montrer l’amour sexuel comme une faute, à faire systématiquement des organes de la génération un objet de honte et de mystère. » De ce préjugé, les jeunes gens sont fréquemment victimes à l’époque de la puberté.

Trop de parents oublient que les besoins sexuels sont précoces, qu’ils sont impérieux et obsédants, qu’ils rongent et corrodent, à un âge où l’union des sexes n’est tolérée ni par la coutume, ni par la religion. L’être jeune subit des appels lancinants, douloureux, que

l’organisation sociale ne lui permet point de satisfaire et dont, par timidité ou par honte, il n’ose même pas parler. Au prix du martyre de nombre d’individus, la civilisation occidentale tente de dominer l’instinct sexuel ; elle multiplie les interdictions et les défenses qui s’opposent à son développement normal. D’où la fréquence de l’onanisme chez les garçons ; plus de quatre-vingts pour cent s’y livrent ; et dans certains pensionnats religieux, où toute sortie libre est rigoureusement prohibée, c’est à de véritables matches de masturbation que s’adonnent les grands élèves. Ils se soulagent de la sorte, non sans une angoisse inavouée, parce qu’on flétrit violemment ces pratiques devant eux et qu’on assure qu’elles conduisent à de terribles maladies. Menaces imaginaires, les médecins en conviennent aujourd’hui ; seul l’excès est à craindre ; comme, d’ailleurs, il est pareillement à redouter en matière de coït.

Chez le grand nombre, l’accouplement normal fera oublier, plus tard, la masturbation collective ou solitaire ; pourtant, l’onanisme restera familier à quelques-uns, et quelques autres y gagneront des tendances durables à l’homosexualité. Tant que la nature ne réclame rien et que les organes génitaux de l’enfant n’ont pas atteint le développement requis, il serait criminel de l’initier à des pratiques qui compromettraient dangereusement son avenir. Mais il est absurde de vouloir contraindre à la chasteté des jeunes gens dont la virilité vigoureuse, exubérante, pleinement épanouie, réclame impérieusement d’être satisfaite. Voivenel a raison de constater qu’en amour on a la morale de sa chimie, et la chimie de ses glandes à sécrétion interne.

C’est bien vainement que les moralistes officiels prétendent ignorer la nature ; toujours, elle se venge de l’imprudent qui reste sourd à ses appels. Les jeunes filles ont des besoins sexuels moins violents et plus difficiles à éveiller que ceux des garçons. Celles qui se masturbent ne constituent pas une exception rarissime ; la plupart s’arrêtent néanmoins aux paroles tendres, aux caresses et aux baisers mutuels. Beaucoup sont effrayées par le coït et ses conséquences ; elles arrivent moins vite que l’homme à l’orgasme ; la brutalité des premiers contacts, les conséquences douloureuses de l’enfantement leur répugnent. Faute d’une éducation sexuelle suffisante, plusieurs s’adonnent à l’homosexualité d’une façon définitive. Quelques-unes cherchent un refuge dans la dévotion et deviennent la proie d’un mysticisme délirant. Une sensualité qui n’avait rien de céleste se mêlait aux pamoisons béatifiques d’une sainte Thérèse, d’une Marie Alacoque, etc. Chez sainte Thérèse, déclare Leuba, qui a longuement étudié la question, on peut attester la participation des organes sexuels aux jouissances extraordinaires que lui procurait son union avec son fiancé Jésus. « Sainte Marguerite-Marie nous a laissé la peinture la plus sinistre qui se puisse imaginer d’une vierge sexuellement surexcitée depuis l’enfance par des vœux perpétuellement réitérés de chasteté offerte au Christ, son fiancé, et par le sentiment presque ininterrompu de sa présence amoureuse. Son cas est de l’érotomanie nettement caractérisée. Dieu la récompense d’un acte répugnant de maîtrise de soi, en tenant, la nuit suivante, deux ou trois heures « sa bouche collée contre son Sacré-Cœur. À aucun moment, ni de jour ni de nuit, il n’y avait de trêve à l’ardeur de son amour divin ». On voit à quelles déviations peut aboutir l’instinct sexuel mal dirigé. Avec prudence, mais sans réticences dangereuses et déplacées, il convient d’éclairer garçons et filles, lorsque se fait entendre à eux l’appel de la tendance à procréer. — L. Barbedette.


PUDEUR (du latin pudor : sentiment de honte, de crainte, procédant lui-même de pudet : avoir honte). « Sans l’organisation sociale de l’amour, écrit M. Ch.