Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PAU
1998

œuvres sociales : allocations familiales et caisses de compensation, services d’infirmières-visiteuses, crèches et garderies d’enfants, retraites, allocations pour maladies, dispensaires, logements, sociétés d’éducation et de distraction. « Le temps est passé en effet, où, une fois le salaire payé, le patron était quitte envers son ouvrier. Actuellement, l’employeur a une idée plus large et plus haute de son devoir professionnel. Il offre à la personne qui travaille chez lui des avantages que, strictement, ce travailleur ne gagne pas par son labeur ; qui sont consentis à la position sociale du salarié, et non pas à son travail considéré en lui-même. » (Réveil Économique).

Le but réel ? Conquérir des âmes, d’abord : « Dans bien des cas, les œuvres d’éducation et de distraction ne sont pas étrangères à cette sorte de conquête de l’âme : elles constituent un lien véritable, fait de mutuelle estime, entre le travailleur et son patron. » Faire aussi échec à l’action de l’État. « Le patronat a donc intérêt, croyons-nous, à intensifier l’effort commencé : en étendant et en complétant le réseau d’œuvres sociales, il sera en droit de répondre aux promoteurs des doctrines étatistes : « Voyez ce que j’ai fait ! » Enfin, un but inavoué : dissocier la classe ouvrière, avoir à sa discrétion une poignée de privilégiés et, grâce à leur concours égoïste, dominer une masse dégradée de manœuvres, rejetés en marge de l’humanité.

Il faut souhaiter que la classe ouvrière ne tombe pas dans ce piège et que, rejetant et l’appui de l’Etat, et l’aumône du patronat, elle se donne elle-même les institutions qui, libérant le travailleur de toute tutelle despotique, lui assureront la dignité et la sécurité de l’existence. — G. Goujon.


PAUPÉRISME n. m. (du latin pauper, pauvre). L’état d’indigence où se trouve, de façon permanente, une partie plus ou moins considérable de la population, voilà ce qu’on entend par paupérisme. On évalue à plus de deux milliards le nombre des hommes qui vivent actuellement sur la terre ; ce qui donne une densité moyenne d’environ 15 habitants par kilomètre carré. Population répartie de manière très inégale, en raison des ressources plus ou moins abondantes et des conditions d’existence plus ou moins favorables rencontrées sur les divers points du globe. Sur ce nombre, combien d’individus méritent d’être appelés indigents ? On est incapable de donner un chiffre même approximatif. En effet, tel sera pauvre à Paris qui ne le serait pas dans un village perdu de la Bretagne, qui serait presque riche dans un coin reculé d’Afrique on d’Asie. Puis, nulle statistique n’est possible dans les pays non civilisés. Enfin, soit en Europe, soit en Amérique, l’on doit se contenter des chiffres donnés par les organisations charitables, officielles ou privées, chiffres que leur origine rend suspects et qui concernent seulement les pauvres secourus. Aussi n’a-t-on jamais fait d’enquête sérieuse et générale sur le paupérisme considéré dans l’ensemble de notre planète. Il existe seulement des enquêtes restreintes et d’une impartialité souvent douteuse, relatives à tel peuple ou à telle contrée. En Chine, dans l’Inde, le paupérisme fait, chaque année, des milliers de victimes ; en Angleterre, ses ravages furent grands pendant tout le xixe siècle, ils s’accentuèrent encore après la guerre de 1914-1918. « L’Angleterre est le pays le plus riche du monde, déclarait le ministre Chamberlain en 1885… Malheureusement à tout ce luxe il y a une contre-partie. Il y a parmi nous, perpétuellement, en dépit de cette richesse croissante, près d’un million de personnes qui cherchent dans la charité parcimonieuse de l’État un refuge contre la faim, et il y en a des millions d’autres qui sont sans espoir de pouvoir résister à quelque calamité imprévue, comme la maladie ou la vieillesse, par exemple. » Ces aveux d’un officiel ne dévoilaient pas toute la pro-

fondeur du mal, cela va sans dire. En France, nos Démocrates prétendent que la République s’est montrée maternelle pour les déshérités. « La loi du 14 juillet 1905, affirmait le sénateur Delpech, sous le beau titre inscrit pour la première fois dans une loi française « service public de solidarité sociale », assure l’assistance à tout Français privé de ressources, incapable de subvenir par son travail aux nécessités de l’existence et : soit âgé de plus de 70 ans, soit atteint d’une infirmité ou d’une maladie incurable. De facultative pour les municipalités et les conseils généraux, l’assistance devient légalement obligatoire et la dépense peut être imposée aux collectivités du domicile de secours… Non seulement les vieillards infirmes et incurables dénués de ressources et qui ont un domicile de secours bénéficient de la loi, mais aussi ceux qui n’ont point de domicile de secours. Et l’assistance ne se traduit pas seulement par l’allocation de pensions de secours à domicile, mais encore par l’hospitalisation à l’égard des bénéficiaires dépourvus de tout domicile de secours. » En pratique, les résultats ne furent pas aussi brillants que Delpech l’avait supposé ; après la dépréciation du franc surtout, il ne resta aux vieillards qu’à mourir de faim, s’ils n’avaient d’autres ressources que le secours octroyé par les autorités. Il est vrai qu’aujourd’hui nos politiciens font mousser la loi sur les retraites ouvrières.

Pour des raisons indépendantes du bon vouloir des capitalistes, le paupérisme n’a pas sévi chez nous avec autant de rigueur qu’en Angleterre ; néanmoins les journaux fréquemment nous apprennent que des malheureux meurent de faim ou de froid.

Sur l’origine du paupérisme, aucun doute possible. Il provient d’une double cause : une injuste répartition des richesses et un excessif accroissement de la population. C’est à la première cause que l’on doit imputer la majorité des souffrances endurées actuellement par les déshérités. Mais, dans un avenir prochain, la seconde cause l’emportera en importance probablement. Une choquante inégalité, habituel résultat de la chance ou de l’hérédité, que ni le travail ni le talent ne justifient, réduit le grand nombre à la pauvreté, réservant l’opulence à quelques-uns. Au banquet de la vie les convives sont rares, les serviteurs légion : aux premiers les bons morceaux, aux seconds les reliefs, maigre salaire d’un travail sans repos, ou prix d’une chaîne et d’un collier. D’où la servitude économique du grand nombre, instaurée au profit des privilégiés. Le remède efficace consisterait à répartir les richesses au prorata du travail et des besoins. Si chacun participait d’égale façon à des biens suffisants pour tous, le paupérisme disparaîtrait. Mais point d’intermédiaires parasites, point de désœuvrés qui prélèvent une large part sur le travail d’autrui ; à l’ouvrier, au paysan l’intégral résultat de son labeur. Dans le domaine économique, le dernier mot doit appartenir à un harmonieux équilibre, conciliateur des possibilités de la production avec le droit identique qu’a chacun de satisfaire ses désirs légitimes. Même réparties avec équité, les ressources du globe deviendraient insuffisantes si la population s’accroissait indéfiniment. La terre avait 680 millions d’habitants en 1810 ; elle en a plus de deux milliards aujourd’hui ; l’augmentation est donc rapide, malgré les fléaux qui font périr les hommes par centaines de mille et même par millions. C’est sur eux que de bonnes âmes comptent pour débarrasser notre planète de son excédent de population. Tel raz de marée, remarque-t-on, tel tremblement de terre ont tué, en une nuit, cent ou deux cent mille personnes ; en 1887, le Fleuve Jaune déplaça son lit brusquement, ce qui coûta la vie a 2 millions de Chinois ; dans l’Inde, où sévissent de fréquentes famines, on a compté 19 millions de morts par la faim, de 1896 à 1900. Les bellicistes estiment, en outre, que des guerres assez