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PED
1999

fréquentes et assez meurtrières permettront toujours d’empêcher la surpopulation. C’est pour les envoyer au carnage que les mères élèveraient avec tant de soins leurs garçons ! Nous espérons, pour notre part, que les guerres disparaîtront de la surface du globe. Tous les carnages passés n’ont d’ailleurs pu arrêter l’accroissement de la population ; malgré de fréquentes guerres civiles et internationales, cette dernière a plus que doublé au cours du xixe siècle ; et les horribles hécatombes de 1914 et des années suivantes n’ont retardé sa progression que pour très peu de temps. Sans doute de vastes espaces sont encore incultes et les progrès de la technique agricole permettront de tirer un meilleur parti du vieux sol européen. Le nombre des habitants que peut nourrir notre planète est pourtant limité ; des savants officiels estimaient, avant guerre, qu’il ne devait pas excéder trois ou quatre milliards. Qu’on le veuille ou non, le problème de la surpopulation s’imposera à l’attention de tous dans un avenir prochain. Pour nous, la question se pose d’une façon différente. Nous estimons la qualité préférable à la quantité. A notre avis, l’on doit apporter autant de soin à la procréation dans notre espèce que l’éleveur en apporte pour obtenir des poulains de bonne race, que l’horticulteur en dépense pour avoir des légumes succulents. L’eugénisme permettra de voir naître des générations moins cruelles, moins sottes et douées de qualités morales trop rares chez nos contemporains. Quant au paupérisme, il disparaîtra dès qu’à l’aveugle fécondité de l’instinct l’on substituera une prévoyance réfléchie tenant compte des ressources économiques existantes. Nous parlons d’un monde enfin libéré de la tyrannie des capitalistes et des états-majors ; car aujourd’hui il importe surtout de se débarrasser des parasites qui vivent grassement aux dépens des travailleurs. Mais n’hésitons pas à le dire, ceux qui propagent l’eugénisme sont des bienfaiteurs du genre humain. — L. Barbedette.


PAUVRETÉ n. f. On définit ordinairement la pauvreté : l’état de celui qui est dépourvu ou mal pourvu du nécessaire. Mais ce sens est loin d’être admis par tous unanimement. Dans un Cours de Morale qui eut son heure de célébrité, Jules Payot demande que l’on distingue soigneusement la misère de la pauvreté. D’après lui, la misère est une maladie de la volonté ; elle constitue un retour à l’état de saleté, de paresse, d’imprévoyance de l’homme primitif. « Découragé, le gueux refuse de continuer pour sa part la lutte humaine et il renonce aux grandes conquêtes de la coopération solidaire. Il vit dans la négligence des soins du corps ; il devient pour tous un danger, parce que livré aux seuls plaisirs grossiers. » Payot, haut fonctionnaire bien nourri, bien nippé, n’était pas tendre, on le voit, pour le malchanceux tombé au dernier degré du dénuement. Il en fait même un parasite sans scrupules, vivant aux dépens de la société, dans les asiles de nuit et les hôpitaux. Par contre, ce moraliste, grassement rétribué par l’État, ne tarissait pas d’éloges à l’égard de la pauvreté : « Cette condition, qui impose l’effort persévérant, la prévoyance, la résistance aux passions, laisse intacte la santé ; elle aiguise l’intelligence ; elle trempe la volonté. Elle unit la famille dans une solidarité consentie. Avec l’instruction primaire gratuite et obligatoire, la parole de Raynal cesse d’être exacte : « La pauvreté engendre la pauvreté, ne fut-ce que par l’impossibilité où se trouve le pauvre de donner aucune sorte d’éducation ou d’industrie à ses enfants. » L’ignorance, cette servitude sans espoir, imposée autrefois aux enfants sans ressources a été vaincue. » Payot se borne à dire, en langage laïc, ce que prêtres et moines expriment en jargon religieux. Le ciel disparaît pour faire place à l’école, c’est tout. Jamais les papes, ces riches entre les riches, dont les robes et les bijoux valent, à

eux seuls, des fortunes princières, jamais les fastueux prélats qui vivent dans le luxe et l’oisiveté, n’oublient de faire un dithyrambique éloge de la pauvreté. Aux ouailles ils rappellent que Jésus n’avait pas une pierre pour reposer sa tête, ajoutant que pour gagner le paradis l’on doit faire des largesses à ces messieurs du clergé. Pareille duplicité fut fréquente chez les moralistes officiels de toutes les époques : à Rome, le philosophe Sénèque écrivit, dit-on, l’éloge de la pauvreté sur un pupitre d’or. Nos idées sont bien différentes : nous condamnons la pauvreté. Tout au plus admettons-nous qu’elle soit bonne, en certains cas et de façon transitoire, à titre de moyen pour aboutir à une vie plus haute ou à la réalisation d’une idée. Mais l’on ne saurait comprendre que le travail normal d’un homme ne garantisse pas largement sa subsistance. Si le monde est trop peuplé, qu’on limite les naissances ; si la répartition des biens s’accomplit sans équité, qu’on la change. Faire de la pauvreté des uns le corollaire de la richesse des autres est la pire solution ; l’extrême opulence s’avère contre nature autant que l’extrême misère. L’homme n’a droit qu’à ce dont il peut user ; accaparer d’inutiles moyens d’existence devient un attentat contre le bonheur d’autrui ; vouloir l’or pour lui-même, non pour ses avantages, est une criminelle perversion du désir. L’argent, simple instrument d’échange, n’a d’autre titre à demeurer roi des cités que l’avantage des fainéants rentés. En attendant que la justice prenne sa revanche, quels moyens s’offrent de se libérer ? Restreindre nos besoins, limiter nos charges, insoucieux des préjugés ; ou produire sans arrêt, sans relâche, se transformer en bête de somme. Accepte qui voudra la seconde solution, ce n’est pas celle du sage. Un travail, modéré, raisonnable, sera toujours nécessaire et sain ; dans une société moins chaotique, il deviendrait obligatoire pour tous ; l’âge ou la maladie seuls en dispenseraient. Mais fournir un labeur de forçat pour qu’un parasite repu daigne vous qualifier de bon citoyen, cela jamais. Aider ses frères dans la peine, oui ; entretenir des bœufs gras à l’étable, non. Faisons plutôt une large place au sentiment, à la pensée, au rêve, en éliminant les factices et ruineux plaisirs de l’alcool, du tabac, d’une cuisine raffinée ou d’une mise excentrique. Une table hygiénique et simple, pour la bourse comme pour l’estomac ne vaudrait-elle pas mieux ? Et les vêtements ridicules, fabriqués par nos grands couturiers, sont-ils donc si beaux ? Elégance et confort n’ont rien à voir avec un luxe insolent ; dans les bazars d’antiquailles nos affûtiaux compléteront bientôt des collections grotesques ; un visage sans défaut n’a pas besoin de fard et, lorsqu’on est fatigué, un lit de bois vaut un lit d’or. Certes, il est des jours où l’on souffre de n’être pas riche, en voyant autour de soi tant de misères qu’il faudrait soulager, tant d’œuvres qu’il faudrait soutenir. Une enquête menée dans le Semeur, par Barbé, sur l’utilité que l’argent peut avoir pour un militant d’avantgarde, a très bien mis en lumière certains aspects du problème. Mais comme la richesse durcit le cœur et le corrompt, sauf chez quelques hommes d’élite comme elle résulte habituellement d’une spoliation légale faite au préjudice d’autrui, elle ne fait point l’objet de nos convoitises. — L. Barbedette.


PÉDAGOGIE n. f. La pédagogie est, nous affirment la plupart des dictionnaires, l’art d’instruire et d’élever les enfants. D’après certains auteurs elle serait la science de l’éducation.

Pour bien comprendre cette opposition, déterminer laquelle de ces définitions est la vraie ou si elles le sont l’une et l’autre dans une certaine mesure, il faut faire appel à l’histoire. Et l’histoire nous répondra que les arts ont toujours précédé les sciences mais aussi que le progrès des sciences a été constant, que