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nelle d’un potentat ou d’un personnage en vedette. Mot qui peut être remplacé par celui de magnicide meurtre d’un grand de la terre.

Le régicide est un acte fort commun dans l’histoire. On l’a noté dans tous les temps. Dans l’Antiquité, il est d’une fréquence extrême. Dirigé contre les sujets qui s’imposèrent à la foule en qualité de tyrans, il a été souvent considéré comme un acte, sinon de vengeance, du moins de justice. C’est un sentiment de simple logique, en effet, qui pousse à détruire ce qui est nuisible, plus encore celui qui use de la force ou de l’intrigue pour imposer un véritable régime de persécution. On peut dire que nombre de régicides qui ont supporté le poids de la vindicte légale et qui furent par suite des vedettes, au même titre que leur victime, ont assumé une tâche dont l’inspiration ne sortait point que d’eux-mêmes, mais qu’ils n’ont été que les instruments plus courageux d’une foule de concitoyens animés par les mêmes rancœurs.

Il est connu dans l’histoire de l’anarchisme russe, par exemple, que certains tzaricides ont été littéralement députés ou désignés par le sort pour accomplir un geste libérateur désiré par la masse. En général, ces exécuteurs ont fait preuve d’une abnégation et d’un courage qui, dans son stoïcisme même, peut être traité de fanatisme, diagnostic du reste inexact et injuste.

Mariana, dans son ouvrage De Rege et Regis Institutione (Du Roi et de la Royauté), autorise le meurtre d’un roi, usurpateur ou hérétique. Il est bon de rappeler qu’après le meurtre d’Henri IV par Ravaillac, ce livre fut condamné par le Parlement et brûlé en place de grève. Il y eut toujours des flatteurs, même parmi les gens de robe et des fanatiques à rebours. Le fétichisme de ce que j’appellerai volontiers les Régicoles vaut celui des régicides. Cet antagonisme de pensée et de pratique qui oppose les fervents de la liberté aux tyrans explique suffisamment l’existence du régicide. Suffirait-il à l’excuser ? C’est un point de philosophie sociale et historique que je n’ai point à traiter.

Ce que je viens de dire n’a qu’un but : établir une nuance profonde entre les vrais régicides et ceux que certains auteurs (le Dr Régis, en particulier) appellent les faux régicides, que sont les précédents. Ils opèrent en vertu d’une raison politique ou religieuse, pour le triomphe d’un principe ou d’une idée, communs à plusieurs, légitimés à tort ou à raison par la logique des faits, c’est-à-dire par un grand duel, très inégal du reste, où succombe le meurtrier. On a pu penser que le meurtrier, conscient à priori de sa faiblesse, aurait dû arrêter sa main, puisqu’il était vaincu d’avance. D’autres auront pensé à l’inverse que, malgré la prévision d’un échec, la manifestation pouvait servir l’idée qui l’a fait naître et que pour ce motif le meurtrier doit figurer plutôt dans les rangs des martyrs que des fanatiques.

On verra, du reste, que parmi ces martyrs figurent souvent aussi des fanatiques, témoins de la foi, comme furent tant de chrétiens voués au cirque, chez qui une nuance d’exaltation circonstancielle, puisée dans l’influence du milieu, développait un singulier appétit de la mort.

Les vrais Régicides sont différents. Si le résultat objectif de leur geste meurtrier ne varie point, les mobiles qui l’inspirent obligent à ranger les auteurs dans une catégorie morbide, d’un intérêt captivant, parce qu’elle va mettre aux prises des illuminés, autrement dit des déséquilibrés, avec cette autre folle criminelle, fanatisée, qu’est la foule, aveuglée par un état passionnel, aberrée par une justice distributive ignorante et à la dévotion servile, trop souvent, de la loi, autrement dit de la force.

Pendant que le faux régicide est le représentant moral, spontané ou élu, d’une Idée ou d’un Groupe, le

vrai régicide est un isolé. Le déchaînement des partis induit en général le public et la presse en de fausses directions. La méconnaissance de ce genre d’aliénés qu’est le fou raisonnant fait que la foule répugne à concevoir qu’un régicide soit autre chose que l’exécuteur des Hautes Œuvres d’un parti, naturellement qualifié d’extrémiste, puisque, par définition, la vertu siège au juste milieu.

Le cas récent de Gorguloff en fut une triste illustration. L’histoire montrera sans peine que l’opinion, fortement et habilement déviée dans les voies politiques, fut vraiment responsable du supplice de ce fou.

Le Régicide (le vrai, il ne sera plus question que de lui) opère pour son propre compte. Sans doute, il s’inspirera pour colorer sa décision criminelle des événements du temps présent, mais il ne faut pas s’y tromper : son acte est une violence prévue par principe et par définition, quel que soit le mobile, raisonné ou délirant, qui le dirige. Ce régicide tue pour tuer ; son acte est l’aboutissant fatal d’une chaîne d’opérations mentales qui l’entraîne plus ou moins vite à une distance souvent fort éloignée de l’idée première qui a déclenché toute la série des associations mentales consécutives. C’est un bel exemple de ce qu’on appelle le délire des actes, mode habituel chez les fous raisonnants, persécuteurs, processifs, batailleurs parce que paranoïaques, actes toujours disproportionnés d’avec les mobiles allégués par l’opérateur.

Le régicide commence par être un paranoïaque. Qu’est-ce à dire ? C’est un déséquilibré congénital enclin à des jugements faux sur les personnes comme sur les choses, toujours à côté de la vérité. Ses vues constamment unilatérales s’inspirent d’une vanité, d’un orgueil primordial qui l’entraînent à croire qu’il est doué de facultés supra humaines, à se croire incapable de se tromper. Par suite, il est exposé à souffrir des moindres obstacles qui heurtent sa marche en avant, je dis marche, car aller de l’avant est tout pour lui. Il agit d’abord et réfléchit ensuite, toujours trop tard. Comme tel, il souffre perpétuellement. C’est un persécuté par l’ambiance. Il est forcément porté à la haine, à la misanthropie et enclin aux réactions. Ses réactions, puisqu’il est un super actif par principe, empruntent la forme du réflexe, du talion, de la violence. C’est pour ce motif qu’il est un persécuteur. Il s’insurgera de plano contre toute autorité, même légitime ; en matière de vie banale, nous le trouverons processif, chicanier, revendicateur. Sur le terrain des idées, il ne sera pas moins combatif, autoritaire, tyran.

C’est parce qu’il est né pour l’action que ce déséquilibré armera sa main en vue du triomphe de sa cause, si grande ou si minuscule qu’elle soit. S’il lui advient d’être aussi un rêveur, un créateur de chimère où il s’incruste comme dans son cocon naturel, tout seul, sans complice ni amis, car il n’a point d’amis et ne songe guère à en réunir, il tentera de réaliser sa chimère par un coup d’éclat. L’acte régicide est au bout, lequel régicide aurait pu être un homicide d’une autre nature : affaire d’orientation des idées. Tout paranoïaque est candidat aux actes éclatants, scandaleux ou criminels. Ses actes sont en tension perpétuelle. Les circonstances seules les font aboutir.

Si l’on a compris cette base paranoïaque du régicide, il sera facile de concevoir que le paranoïaque, orgueilleux par définition, est un mégalomane à l’occasion. L’explosion d’une folie ambitieuse sur une telle base constitue la période finale. L’apothéose du paranoïaque est souvent un épanouissement de sa personne et, chose curieuse, elle ne sera pas indépendante de l’acte catalogué criminel, à l’inverse d’autres mégalomanes qui s’exhibent tout naturellement comme des êtres généreux, philanthropes et bénisseurs.

C’est que le paranoïaque, mégalomane, va continuer à bousculer les obstacles s’ils sont de nature à com-