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promettre l’Idée, la grande et sublime Idée qui le grise au point qu’il en exige la réalisation.

J’ai connu, à Ville-Évrard, un fou qui faillit m’occire parce que j’étais, à ses yeux, l’obstacle vivant à la récupération du trône d’Allemagne qui lui appartenait, pensait-il, de par sa naissance. S’il m’eût tué, ce n’eût été qu’un homicide, mais si, en liberté, il eût tué Guillaume II, qui usurpait ses droits, il eût été un régicide. Ce souvenir clinique me dispense de raisonnements théoriques plus amples.

Le dernier des régicides fut l’assassin de Paul Doumer. Il fut un prototype du genre. Trois phases dans sa vie : paranoïaque persécuté par les circonstances politiques auxquelles il a été mêlé, comme tant d’autres, et par une foule d’événements qu’il a déclenchés par son comportement maladroit et mal éclairé. Puis, développement morbide d’une personnalité mégalomaniaque où il s’est représenté comme un prophète, un messie, un néo Christ chargé d’une mission divine pour sauver le monde. Finalement, acte désordonné et absurde de tuer une vedette symbolique pour laquelle il n’avait que du respect, mais parce que la politique générale et particulière de la France était un obstacle à l’expansion de sa généreuse idée, inspirée par Dieu.

Comme tel, il devait être un martyr et féconder son idée sublime avec son sang. Ce croyant, ce mystique était hanté par le souvenir classique de Jésus, mort sur la croix pour féconder sa doctrine. Gorguloff fut un isolé, cristallisé dans sa marotte ; la guillotine a entendu ses dernières prophéties : la fin d’un monde qui n’a point voulu épouser ses idées.

Dans cette forme de régicide intervient, à côté du délire, l’obsession, la discussion consciente entre l’acteur qui ne veut point tuer et l’autre partie de son moi qui lui crie : il faut tuer ! Un rien déclenchera le meurtre comme le grain de sable qui fera sauter toute une mécanique.

Le régicide est donc un mystique. Il peut aussi être halluciné quand il est capable de vivifier sa pensée et de la réaliser en la forme d’une voix conseillère. Gorguloff était écrivain, poète, un imaginatif. Comme son sosie Ravaillac, il entendait ses voix familières qui devaient substituer peu à peu leur autorité à la sienne. Et le meurtre est au bout, conclusion logique, stupéfiante pour le profane seul, qui n’est pas initié à un mécanisme psychique particulièrement délicat.

Que l’on évoque le souvenir des grands et petits régicides de l’histoire ; s’ils ne prennent pas rang parmi les pseudo régicides que j’ai dessinés à grands traits au début, ils sont des paranoïaques dans le genre de Gorguloff, l’exemple le plus systématisé que j’ai choisi parce qu’il est encore dans toutes les mémoires.

Mais il y a des sujets qui tiennent des deux groupes. Certains régicides, animés par une idée, une thèse, un moteur qui n’a en soi rien de délirant et qui, dans une large mesure même, est soutenable, finissent, quand ils se sont bien incorporés à cette billevesée, par en être intoxiqués. Ils perdent de vue toute mesure. Et, dans leur exaltation mystique de réalisateurs, ils s’assimilent aux délirants de tout à l’heure.

Ils se persuadent aisément qu’ils peuvent jouer un rôle de libérateurs. Ils sont pris de la folie du sacrifice, et dans cette folie accidentelle, il y a bien quelque chose de l’orgueil morbide du paranoïaque : il y a une énorme vanité à se mettre en vedette et à se tenir in petto pour un personnage que l’histoire inscrira au nombre des martyrs. De là leur attitude transfigurée au sein même des pires supplices. De là l’erreur où ils succombent et qu’ils éviteraient en concevant l’inutilité de leur sacrifice.



Que devait faire la société en face des régicides ?

Rien d’autre sans doute que de prononcer des sanc-

tions aussi cruelles qu’injustifiées. Sous l’Ancien régime, tuer un roi était commettre un crime de lèse-majesté. Le roi n’est pas un homme. Sa super fonction, acceptée servilement par les peuples, lui attirait un traitement de faveur qui, dans l’histoire, porte le nom de raison d’État. Raison peu raisonnable que la République a conservée pieusement.

Le coupable subissait les horreurs d’un supplice raffiné, celui que l’on réservait aux parricides. Le roi n’était-il pas le père du peuple, comme le colonel Ramollot est le père du régiment !

Le coupable était tenaillé vif avec des pinces portées au rouge ; ses plaies étaient abreuvées de plomb fondu, puis il était écartelé par quatre chevaux, en place de grève, non sans avoir fait amende honorable en costume de parricide. Le roi héritait des biens de la victime, petit bénéfice qui sent un peu trop le flibustier ; la famille du coupable était aussi châtiée et chassée du pays. Puis le peuple était admis à se partager les morceaux du supplicié. La foule bestiale découpa Ravaillac en petits cubes que les bons et honnêtes citoyens emportèrent à domicile et firent griller.

Ainsi furent traités Pierre Barrère, en 1593 ; J. Chatel, en 1594 ; Ravaillac, en 1610 ; Damiens, en 1757, etc…

Le dernier siècle n’a point démérité des précédents, car la loi du 10 janvier 1853 a encore qualifié le régicide de crime contre la sûreté intérieure de l’État, et le coupable est puni de la peine des parricides.

Les gens qui raisonnent opinent que le XXe siècle s’honorerait en détruisant les traces de telles horreurs humaines et en traitant les régicides en malades qu’ils sont. Un homme s’est rencontré à l’époque révolutionnaire, il s’appelait Pinel. Il eut la gloire d’élever le fou à la dignité de malade. Il en est cependant encore que l’on décapite. Pinel ne serait pas content. — Dr Legraine siècle.


RÉGIE n. f. (du radical régir). Ce terme sert à désigner l’administration chargée de la perception des impôts indirects, administration fréquemment impopulaire car ses exigences pèsent lourdement sur la classe pauvre. Mais, pris dans un sens plus général, ce mot s’applique à un procédé d’organisation des services publics de caractère économique. La régie consiste dans l’exploitation sous la responsabilité de l’administration et par ses fonctionnaires ; mais, tantôt la direction de l’entreprise est assurée par un office autonome, tantôt elle dépend des organes mêmes de l’administration dont elle relève. Dans le premier type se rangent les régies municipales de distribution électrique qui possèdent un conseil d’administration et un directeur choisis en dehors du conseil municipal. Au second type appartiennent les régies municipales, à caractère industriel ou commercial, placées sous l’autorité du maire et du conseil municipal. On pourrait également trouver des exemples de ces deux types parmi les entreprises économiques qui dépendent de l’État ; et c’est aux fonctionnaires qui travaillent pour le compte de ces entreprises que l’on applique le plus communément l’épithète d’ouvriers ou d’employés de la régie. Dans un autre ordre d’idées, on déclare que l’exécution des travaux publics a lieu en régie lorsqu’elle se fait sous la direction de l’administration. Cette régie est simple lorsque le travail est exécuté sous la direction d’un fonctionnaire rétribué par un traitement fixe et qui ne spécule pas sur le travail des ouvriers qu’il embauche. Elle est intéressée quand le directeur des travaux n’est pas un agent de l’administration, et qu’il touche une indemnité proportionnelle à la dépense ou participe aux bénéfices, tout en n’assumant que des risques limités. Lorsqu’elle est intéressée, la régie ne s’arrête généralement pas à l’installation d’une entreprise, mais elle s’étend encore à son exploitation. Il arrive qu’un entrepreneur de travaux publics n’exécute pas ses engagements ; l’administration peut alors résilier purement et simplement le