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peut se voir, prétend-elle ; elle croit aux apparitions de l’au-delà ; c’est la porte largement ouverte aux demi fous et aux charlatans.

Le spiritisme a, lui aussi, un grand nombre de sectateurs ; un congrès spirite réuni récemment en a amenés de tous les coins du monde. Il manque complètement d’intérêt : tables tournantes, coups frappés ; apport de fleurs artificielles soi-disant tombées du ciel ; spectres en carton ; membres humains en gomme. Tous les médiums, après un moment de célébrité, finissent dans le discrédit après qu’on a découvert leur truc. Ces gens ne sont, en réalité, que des artistes de prestidigitation plus ou moins habiles ; connaissant la sottise humaine, ils trompent pour gagner de l’argent. Les tables tournantes ne tournent pas ou du moins pas toutes seules ; essayez d’appuyer vos mains sur une table sans faire aucun mouvement ; vous pourrez le faire patiemment pendant une heure, rien ne se produira. Pour obtenir des mouvements, il faut plusieurs personnes et l’obscurité. Quelqu’un triche, ou bien une impulsion involontaire est donnée à la table ; le mouvement déclenché, les assistants l’aident, plus ou moins consciemment. Il est à noter que la table ne dit que des choses incohérentes ou des futilités. Nombre de personnes d’ailleurs ne font du spiritisme que pour s’amuser ; c’est un passe-temps de salon.

Ce serait une erreur de nier le besoin religieux. Il a sa source dans la crainte de la mort. On a dit avec raison que l’homme est le plus malheureux des animaux parce qu’il sait qu’il mourra. Mais il est à noter que la pensée de la mort ne hante que rarement notre esprit ; et aussi, avec une éducation bien faite, l’homme se passerait très bien de religion, ce que font déjà nombre de personnes.

On entend dire souvent qu’on ne croit pas à la religion, mais qu’on la respecte. C’est une conception fausse. La religion n’est pas plus respectable que la cartomancie, la chiromancie ou le marc de café. Respecter une idée n’a pas de sens ; ou l’idée est vraie ou elle est fausse. Si l’idée est vraie, il faut, non pas la respecter, mais l’adopter ; si elle est fausse, il faut la rejeter : pas de milieu. La position de celui qui respecte tout en ne croyant pas est une timidité tout à fait indigne d’un esprit libre. Est-ce l’antiquité de la doctrine qui inspire le respect. Elle devrait inspirer un sentiment tout contraire ; plus une fausse doctrine est vieille, plus elle a fait de mal.

Quelle attitude devrait adopter, vis-à-vis des religions, un gouvernement révolutionnaire ? Les supprimer comme nuisibles et inhibitrices du progrès ? L’attitude de la liberté serait plus clémente. On pourrait admettre que, restant dans son domaine, la religion n’est pas nuisible et que les gens qui ont besoin de cette consolation sont, après tout, libres d’y recourir. Mais l’expérience montre que la religion ne reste jamais dans son domaine. Le prêtre, surtout le prêtre catholique, est convaincu de n’être pas seulement un guide spirituel des croyants, mais un chef temporel dont le pouvoir doit s’exercer sur les athées comme sur les religieux. Si on laisse la liberté à la religion, elle en profite pour empiéter le plus qu’elle peut sur le domaine temporel. Pour amener les gens à la soumission extérieure, si ce n’est à la croyance sincère, elle emploie tous les moyens, elle prive les pauvres du travail qui les fait vivre, elle boycotte les commerçants, elle discrédite les intellectuels. Tant que le catholique ne domine pas, il se déclare persécuté. Les autres religions sont moins dangereuses que le catholicisme, mais elles ne sont pas inoffensives. Elles endorment les esprits ; elles sont toujours les alliées des partis de régression.

La révolution russe n’a pas osé supprimer d’un coup la religion ; elle a craint de déchaîner contre elle le fanatisme des masses paysannes.

En France, l’esprit religieux est moins fort. Je ne pré-

tends pas, cependant, qu’il faille supprimer les religions par un simple décret. On peut y mettre le temps ; mais ce temps doit être relativement court, sous peine d’échec.

Supprimer les religions ne veut pas dire tuer les religieux. Une révolution moderne doit épargner le sang. La guillotine est barbare ; la marque de la civilisation, c’est le respect de la vie humaine. Mais il faudra interdire tout culte et expulser du pays les prêtres, religieux et religieuses. Pour adoucir les rudesses d’un arrachement brusque à un pays, on pourrait leur donner une indemnité correspondant à six mois de travail ouvrier ; on pourrait même, en outre, leur accorder la libre jouissance d’une colonie lointaine.

Bien entendu, une pareille mesure ne supprimerait pas d’emblée les religions. Les cultes deviendraient clandestins, mais continueraient ; nombre de prêtres se cacheraient pour échapper à l’expulsion. Néanmoins, l’interdiction porterait un grand coup aux Églises. Les croyants tièdes, c’est-à-dire la majorité, s’habitueraient vite à se passer de religion ; surtout si on les remplace par des fêtes somptueuses ; les croyants ardents trouveront le moyen d’entendre la messe dans une chambre ; il faudra les poursuivre et les mettre hors du pays. Il n’est pas tout à fait vrai que la persécution renforce une idée. L’humanité dans sa masse est fort peu idéaliste, et le principal effet obtenu par la persécution, c’est de faire peur ; on déserte l’idée devenue dangereuse.

On pourra m’objecter que ces mesures draconiennes sont en opposition avec la liberté et la justice. Mais la liberté et la justice n’ont rien à voir ici ; entre la religion et l’irréligion, il ne peut y avoir que la guerre ; si on ne détruit pas la religion, c’est la religion qui détruit la civilisation. Si les catholiques reprenaient demain le pouvoir qu’ils avaient au Moyen Âge, ils relèveraient les bûchers.

D’ailleurs, le traitement doux du bannissement enlèverait aux religieux l’auréole du martyre ; la masse se dirait, avec juste raison, que ces gens ne sont pas tellement malheureux puisqu’on leur donne un coin de terre où ils ont la liberté d’être ce qu’ils sont.

Naturellement, la déchristianisation brusque doit être complétée par l’éducation irréligieuse des enfants. Durant les premiers temps, il ne faudra pas se contenter de passer la religion sous silence ; il faudra la combattre ouvertement. Les bolcheviks font très bien de faire chanter à leurs écoliers :

« Je ne crois pas en Dieu. »

Cela ne peut choquer que les esprits timorés qui ne peuvent s’empêcher de se raccrocher au passé. En outre, une active propagande antireligieuse devra être faite aux adultes. Il faudra montrer l’absurdité logique de la religion, renouveler l’œuvre de Voltaire où les pratiques religieuses sont tournées en dérision. Certains esprits areligieux à d’autres égards trouvent inférieurs les ouvrages où Voltaire se moque du trajet de l’hostie, soi-disant incarnation divine, à travers le tube digestif du communiant. Ils pensent que pour ne pas croire en Dieu, ils ont des raisons philosophiques beaucoup supérieures à celle-là. C’est fort possible, mais les arguments philosophiques, beaucoup trop difficiles à comprendre, ne disent rien au peuple. En revanche, le peuple comprend très bien l’absurdité qu’il y a à croire que l’on mange dieu et qu’on le digère. En réalité, on ne se tromperait pas beaucoup en accusant les adversaires de la critique voltairienne d’avoir conservé un reste de croyance. On se moque devant eux, sans qu’ils protestent, d’un tas de choses et d’un tas de gens ; eux-mêmes ne se privent pas de railler. Mais si l’on raille l’eucharistie, ils sont choqués ; donc, ils y croient.

Il y a une habitude psychologique qui nous porte à respecter inconsciemment ce que, autour du nous, nous