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avons toujours vu respecter et adorer. C’est une habitude néfaste ; elle fait le lit de toutes les erreurs ; ce n’est ni l’instinct ni l’habitude qui doit nous guider, mais la raison.

On peut se passer de religion. Nombre de philosophes l’ont pensé et le pensent. Certains, tout en n’ayant pour leur usage personnel aucune religion, croient qu’il en faut une pour le peuple.

Cette conception essentiellement égoïste est celle du riche qui, pour profiter en paix de sa situation privilégiée, entend qu’on abêtisse les masses déshéritées. Au fond, il n’y a pas autre chose dans le renouveau religieux d’après guerre. La bourgeoisie terrorisée par la Révolution russe se raccroche à tout ce qui lui semble être un frein social. Elle-même ne croit pas ; les jouissances terrestres la préoccupent beaucoup plus que la vie future. Mais elle voudrait amener, au besoin par la force, les masses à retourner sous la domination du clergé. Si on pouvait remplacer les syndicats par des confréries, on n’aurait plus de grèves à redouter.

Dans une société où il n’y aura plus de classe, point ne sera besoin de frein religieux.

La morale rationnelle enseignée à l’école, et qui n’est autre chose que le moyen d’assurer à chacun le bien-être dans la sécurité, sera bien autrement opérante que le fatras hétéroclite légué à travers de nombreuses générations par une humanité primitive.

Les illusions sont comme la morphine : bienfaisantes dans le moment, elles sont en réalité néfastes. Une vie future problématique ne doit pas troubler la vie présente, notre seule certitude.

C’est elle qu’il s’agit d’améliorer, de prolonger si on le peut et, pour ce faire, ce n’est pas dans les divagations du passé qu’il faut chercher, mais dans le cerveau de l’homme présent guidé par la raison et la science. — Doctoresse Pelletier.

RELIGION. n. f. Sur l’étymologie du mot religion, l’on discute depuis longtemps ; mais nous délaissons volontairement ces controverses d’importance secondaire. De même, nous ne chercherons point à définir la religion (chose si complexe et si variable) dès le début de cette étude ; c’est de l’examen méthodique de ses manifestations essentielles que se dégagera, progressivement, l’idée qu’on doit s’en faire. D’ailleurs, un manque complet de sincérité, une incroyable bassesse d’esprit sont, aujourd’hui, la règle commune dans ce domaine particulièrement dangereux. On finasse, on biaise, on évite de prendre une position qui puisse entraver une carrière qui s’annonce brillante, ou indisposer les critiques en renom. Vidés de leur contenu primitif, les mots finissent par ne rien garder de leur sens originel. Quiconque reconnaît la petitesse de l’homme et son impuissance devant les grandes forces cosmiques reste catalogué parmi les penseurs religieux, fût-il athée. Même si l’on réduit dieu à n’être qu’une abstraction falote, une ombre sans consistante, il est encore possible de se ranger parmi les croyants : on se borne à prétendre que l’on a du divin une conception plus élevée.

Des auteurs habiles, soucieux de ménager tous les camps, parviennent à se dire simultanément défenseurs et adversaires des religions. C’est Léon Brunschvicg déclarant que « là où finissent les religions commence la religion. » C’est un groupe d’éducateurs laïcs affirmant que « pour détruire le cléricalisme, ce césarisme spirituel qui tue les âmes afin de régner facilement sur des cadavres, on a commis l’erreur absurde de le confondre avec ce qui en est tout l’opposé, avec la pure religion, qui est bien pourtant la chose du monde la plus respectable, puisqu’elle est essentiellement le culte, au fond de la conscience et du cœur, de tout ce qu’il y a de plus élevé et de meilleur dans la nature humaine. »

Comme s’il pouvait exister, en pra-

tique, une religion distincte des religions ! Comme si le concept de religion pure n’était pas une abstraite création du cerveau, dépourvue de base historique !

Et réduire la religion à une haute culture morale, c’est méconnaître complètement la vraie nature des phénomènes religieux, c’est oublier volontairement que cultes et Églises ont approuvé des injustices notoires, et que les autorités ecclésiastiques s’opposèrent tant qu’elles purent, dans l’ensemble, au progrès moral et social. À force d’épurer le concept de religion, on le réduit finalement à n’être qu’un mot dépourvu de sens ou qui répond à des sentiments, à des idées, à un comportement qui n’ont rien de spécifiquement religieux. Mais il devient alors facile de transformer en croyants mêmes les adversaires déclarés de la religion. « Toute négation contient une affirmation, déclare Paul Tissonnière. Quand Laurent Tailhade parle d’écraser le christianisme comme on ferait d’une vipère, de quel christianisme parle-t-il : de celui de l’Église ou de celui du Nazaréen, victime des prêtres et des chefs du peuple ? Quand Guy de Maupassant, au moment de sombrer dans la folie, fait éclater la véhémence de ses imprécations contre un dieu fabricateur de la peste, du choléra et du typhus, qu’il le représente comme affamé de la souffrance et de la mort des créatures, comme embusqué dans l’espace, pour les mutiler et les détruire dans un terrible jeu de massacre, est-ce qu’il nie absolument ? Non, il injurie. Et contre qui en a-t-il ? Contre une conception qui, mélangeant en dieu le principe du bien et le principe du mal, fait de l’être suprême une puissance monstrueuse, capricieuse, contradictoire et immorale, dont la conscience se scandalise, et dont l’intelligence demeure stupéfiée. Il fait le raisonnement de ce petit garçon à qui on avait annoncé la mort de son père, en lui disant : « Dieu l’a pris à lui », et qui n’avait rien trouvé de mieux, dans sa juvénile indignation, que de décrocher son fusil de bois et de grimper à la mansarde, dans l’espoir d’escalader le ciel et d’aller là-haut réclamer son père. La plupart de ceux qui font ainsi figure d’athées sont ceux-là, simplement, qui ne pardonnent pas aux Églises d’avoir confisqué Dieu, d’en avoir matérialisé, puérilisé la notion, de l’avoir rendu suspect en l’associant, soit au pire des conservatismes politiques, soit aux pires sottises confessionnelles. Dans l’Église, ils ne voient plus que l’organisation d’un fétichisme qu’il faut extirper, ou l’audacieuse piperie d’une crédulité populaire dont l’exploitation n’est que trop facile. » Retenons ces aveux, qui ont leur prix dans la bouche d’un croyant convaincu, mais ne donnons pas dans le panneau qu’il nous tend.

Entité chimérique et inexistante, la religion pure est, certes, beaucoup plus facile à défendre que les religions qui, elles, existent bien et sont souillées de crimes innombrables ; quant à dieu, ne parvenant pas à concilier son infinie bonté avec les tragédies horribles dont notre globe est quotidiennement le théâtre, on espère le justifier en déclarant que les théologiens s’en font une idée fausse ou que ses qualités échappent, dans leur profondeur, à la faible portée de l’esprit humain. Lorsqu’on déclare l’Église belle et sainte, même quand ses chefs et son clergé la déshonorent, on néglige pareillement la réalité indéfendable pour ne considérer qu’une fictive abstraction. Que Brunschvicg affirme le contraire, certes, je n’en suis pas surpris ; mais, en fait, la religion ne se sépare pas des religions. De profondes transformations sont survenues, au cours des âges, dans la mentalité religieuse ; néanmoins, entre le catholique d’Europe qui adore le pain eucharistique et le sauvage d’Afrique qui se prosterne devant un morceau de bois ou un caillou, la différence est minime ; nos prêtres sont à rapprocher des fétichistes du Gabon ; la grossière amulette du nègre est l’équivalent de l’artistique crucifix du civilisé. Les plus évoluées des religions ne sont qu’un reliquat, parfois bien maquillé, de pratiques irra-