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années. Par ailleurs, Rome a toujours refusé de reconnaître la validité des ordinations anglicanes, ce qui froisse douloureusement l’orgueil du clergé britannique. Toutes ces querelles, bien insignifiantes aux yeux d’un penseur rationaliste, montrent à quelles sottes et niaises disputes aboutissent les préoccupations confessionnelles.



Parmi les religions non chrétiennes, il en est qui possèdent des centaines de millions d’adhérents ; c’est le cas du brahmanisme, du bouddhisme, du mahométisme. Sans nous attarder à les décrire longuement, nous indiquerons de quelles croyances fondamentales s’inspirent leurs spéculations théologiques, et quels principes généraux dominent morale et culte qu’elles préconisent.

Le brahmanisme possède une abondante littérature sacrée. C’est aux Védas, formulaires liturgiques et recueils d’hymnes et de prières, que revient la première place ; le Rig-Véda est le plus ancien de ces écrits, l’Atharvéda le plus récent. Livres saints, aussi, les Brâmanas, qui sont des commentaires des textes sacrés ; les Sûtras et les Upanishads, vrais manuels théologiques ; les Purânas, recueils de légendes et de commentaires théologiques dont l’ensemble comprend 1.600.000 vers ; les grandes épopées où sont rapportés les exploits des héros et des dieux : le Râmâyana raconte les merveilles accomplies par Rama, en 48.000 vers, le Mahâbhârata a besoin de 200.000 vers pour narrer les luttes de Krichna. Le Code de Manou a été rédigé en vers depuis le début de l’ère chrétienne, mais son origine serait très ancienne, d’après les brahmanes ; on y trouve des prescriptions religieuses et sociales, inspirées de la législation du nord de l’Inde, et répondant à un idéal que les prêtres ne parvinrent jamais à réaliser intégralement. Textes inintelligibles, récits incohérents et diffus, extravagances et bizarreries de tous genres abondent dans ce fatras sacré ; on trouve aussi d’admirables maximes et des passages merveilleux de poésie.

Forces naturelles cachées sous des noms divins, les dieux védiques ont quelque chose d’impersonnel et de vague. Agni, le feu, que les auteurs des livres saints célèbrent avec enthousiasme, est le protecteur du foyer ; Ushas personnifie l’aurore ; Rudra est le père des esprits du vent ; Indra déchaîne les orages ; Varuna veille au maintien des lois physiques et morales. Sous les symboles mythologiques ou les voiles du ritualisme percent les tendances panthéistiques ; la croyance à l’efficacité magique des paroles et des gestes sacrés s’affirme avec force. Sans disparaître, les dieux védiques sont passés, depuis, au second rang.

Dans l’indouisme actuel, la trimourti ou trinité, composée de Brahma, de Vichnou et de Siva, occupe les grands rôles. Brahma, le créateur du monde, première émanation de Brahm, le dieu suprême, représente l’être descendant dans la forme, la substance se révélant dans le phénomène. Pour propager l’espèce humaine, il produisit de sa bouche le brahmane, de son bras le kchatriya, de sa cuisse le vaiçya et de son pied le soûdra ; d’où quatre castes : celle des prêtres, celle des guerriers, celle des marchands et des agriculteurs, enfin celle des ouvriers. Mais Brahma, dieu trop métaphysique, est loin d’être aussi honoré dans l’Inde que la seconde ou la troisième émanation de Brahm : Vichnou le conservateur, Siva le destructeur. Vichnou est souvent descendu sur terre, tantôt sous une forme animale, tantôt sous une forme humaine : Krichna et Rama furent deux incarnations de ce dieu. Dans son dernier avatar, il prendra l’aspect d’un cheval blanc, exterminateur de notre terre envahie par le mal. La présence de Lakchmi, l’épouse de Vichnou, a permis d’introduire un élément de mysticisme sensuel dans le culte de ce dieu.

La taille et les bras entourés de serpents, un collier

de crânes autour du cou, la bouche vomissant des flammes, Siva personnifie la mort. Toutefois, ce dieu ne détruit et ne tue que pour renouveler. Il a des épouses amoureuses et sanguinaires ; l’une d’elles, Kali, est honorée par la mystérieuse association des thugs, ou étrangleurs, ainsi nommés parce qu’ils n’égorgent pas mais étranglent les victimes humaines offertes à la déesse. À côté des grands dieux, on trouve une multitude d’autres divinités ; l’origine des dieux, du monde, des hommes a donné naissance à des légendes nombreuses et contradictoires ; les plus extraordinaires superstitions trouvent dans l’Inde une terre bien préparée. On sait que la vache est l’objet d’une profonde vénération ; dans les temples, des bayadères exécutent des danses rituelles.

Deux idées expliquent et commandent les prescriptions morales du brahmanisme : celle de la migration des âmes, qui correspond à la métempsychose des Grecs, et celle de la valeur de l’ascétisme comme moyen de libération. Certes, nous trouvons des conseils d’une grande sagesse dans les livres sacrés. « Une seule bonne action, dit le Code de Manou, vaut mieux que mille bonnes pensées, et ceux qui remplissent leurs devoirs sont supérieurs à ceux qui les connaissent. » Nous lisons ailleurs : « Que l’homme ne fasse pas aux autres ce qui lui serait douloureux à lui-même. » L’auteur du Mahâbhârata place dans la bouche de Krichna, une des incarnations de Vichnou, cette magnifique justification des interventions du dieu ici-bas : « Quand la justice languit, quand l’injustice se relève, alors je me fais moi-même créature, et je vais d’âge en âge, pour la défense des bons, pour la ruine des méchants, pour le rétablissement de la justice. » Nous pourrions multiplier les citations de ce genre ; et nous n’avons garde d’oublier que le brahmanisme recommande d’être plein de bonté pour les animaux. Mais nous ne partageons point l’admiration témoignée à l’indouisme par maints écrivains d’Europe ; la sympathie que nous éprouvons pour la personne et l’œuvre de Gandhi ne peut nous réconcilier avec la monstrueuse organisation secrète issue de la religion nationale de l’Inde.

Sans nous arrêter aux ignobles mariages d’enfants, à la coutume, heureusement abolie, de contraindre les veuves à se brûler vivantes pour ne pas survivre à leur mari, au fanatisme des dévots se faisant écraser par les roues du char qui, chaque année, promène à travers Jagannath l’idole de Vichnou, nous rappellerons seulement les règles édictées par le Code de Manou, concernant le régime des castes.

« Que le nom d’un brahmane, dit-on, par le premier des deux mots dont il se compose, exprime la faveur ; celui d’un kchatriya la puissance ; celui d’un vaiçya la richesse ; celui d’un soûdra l’abjection. » Car « le souverain maître n’assigne au soûdra qu’un seul office, celui de servir les classes précédentes sans déprécier leur mérite. »

Le brahmane est considéré presque comme un dieu : « En venant au monde, il est placé au premier rang ; souverain seigneur de tous les êtres, il veille à la conservation des lois civiles et religieuses. » « Un brahmane possédant le Rig-Véda tout entier ne serait souillé d’aucun crime, même s’il avait tué tous les habitants des trois mondes. » Bien que très respecté, le guerrier n’est rien à côté du prêtre : « Un brahmane âgé de dix ans et un kchatriya parvenu à l’âge de cent ans doivent être considérés comme le père et le fils : c’est le brahmane qui est le père. » Le roi, lui aussi, a l’obligation de s’incliner : « Il doit bien se garder d’irriter les brahmanes en prenant leurs biens ; car une fois irrités, ils le détruiraient sur-le-champ avec son armée et ses équipages par leurs imprécations et leurs sacrifices magiques. »

Par contre, le soûdra est, en raison de sa naissance, condamné à toutes les ignominies. Le tuer n’est qu’une peccadille ; on lui défend de s’enrichir ; pour se nour-