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PEI
2003

Les découvertes de cette période sont, jusqu’à ce jour, localisées en Espagne et dans le Sud-ouest de la France.

Après une longue lacune pendant l’époque solutréenne, l’art de peindre renaît avec l’industrie magdalénienne, 3e et dernier des âges archéolithiques. Ce sont les mêmes régions : Espagne et Sud-ouest de la France, qui nous ont livré les documents les plus saisissants. Leurs peintures sont les plus belles de toute la Préhistoire et certaines d’entre elles comptent parmi les plus fortement expressives et les plus grandioses de tous les temps. Ce sont, en majorité, des représentations animales : Mammouths, bisons, lions, loups et renards, rhinocéros, ours, sangliers, chevaux, cerfs, élans, antilopes, bouquetins et chevreuils et le renne, surtout, dont cette période constitue l’ultime habitat dans nos régions, illustrent les parois des cavernes à Altamira, la Vieja, la Morella de la Vella (Espagne) ; à Lorthet (Hautes-Pyrénées), au Mus-d’Azil (Ariège), aux Cabrerets (Lot), aux nombreux abris de la Dordogne : Laugerie, Combarelles, Font de Gaume, les Eyzies, la Madeleine, le Moustier, et à Bruniquel (Lot-et-Garonne). Nous y trouvons aussi des représentations de phoques et de poissons. Les motifs tirés des végétaux ou des thèmes géométriques sont rares, ce qui tend à prouver que l’invention décorative est postérieure à l’expression symbolique. Enfin il faut noter que les représentations humaines, d’ailleurs rares, sont maladroites, hésitantes, presque informes, alors que l’expression des types animaux, de leurs caractères et de leurs mouvements dénote un art depuis longtemps sorti des balbutiements primitifs, arrivé à un point élevé de son évolution. Le réalisme puissant et synthétique des artistes magdaléniens, qui élimine les détails inutiles, leur compréhension des détails maintenus dans l’harmonie de l » ensemble et la forte structure de leurs figurations ne peuvent être le fait d’une humanité cérébralement arriérée. Les artistes magdaléniens nous apparaissent, au contraire, comme les détenteurs d’une savante maîtrise. Certains préhistoriens, comme Jacques de Morgan, les estiment mieux doués que les peuples : égyptiens, chaldéens, peut-être même que les Hellènes dont nous avons reçu les principes de l’art, dans la période historique. Quoi qu’il en soit, l’unité de style que nous constatons alors entre les œuvres des diverses stations, nous permet de conclure à une certaine communauté de civilisation entre des groupes géographiquement assez éloignés, et par conséquent à des échanges et à une pénétration réciproque, plus explicable par des relations pacifiques que par les guerres de clans auxquelles naguère on les attribuait. Quand nous considérons, au contraire, l’alternance entre des périodes d’activité artistique et des périodes de décadence, nous pouvons conclure que les premières ont été des périodes de paix relative entre des populations civilisées, tandis que les secondes ont été les témoins de guerres et d’invasions barbares. Et nous pourrions expliquer ainsi l’importante lacune qui s’ouvre, à la fin du quaternaire, avec la disparition des centres magdaléniens, pour ne se refermer qu’après de nombreux millénaires, avec l’apparition dans nos régions de l’industrie énéolithique, apparition de beaucoup postérieure aux premières manifestations esthétiques proto-historiques, de l’Égypte, de l’Elam et de Sumer. C’est en Orient, désormais, et pour un très long temps que nous devrons chercher des témoignages de l’activité artistique.

Mais nous devons, auparavant, nous demander comment et pour quelles raisons profondes l’homme, différencié peut-être par cela même des autres animaux, a trouvé les lois de figuration, d’expression, d’harmonie qui constituent, à proprement parler, l’art. Sans nous attarder à exposer toutes les théories émises à ce sujet, nous écarterons celles qui tendent à présenter

l’invention de l’art comme ayant eu pour but l’ornement des cavernes et l’agrément des populations qui y employaient les loisirs de leurs longs hivers polaires. Il faut remarquer en effet que la plupart des peintures, et les plus importantes, se trouvent dans les parties les plus reculées des cavernes, et qu’elles ne sont visibles et n’ont, par conséquent, pu être exécutées qu’à la lumière artificielle. Et ce que nous connaissons du luminaire primitif ne laisse pas supposer qu’elles aient pu être éclairées dans leur ensemble, pour le plaisir des chasseurs. D’autre part, divers signes, comme les mains humaines, les points, les traits qui couvrent les représentations animales, et la simultanéité de figurations symboliques, vraisemblablement astrales, nous amènent à une conception de l’invention des arts qui n’est pas celle de l’agrément et de la récréation. Les observations qui ont été faites sur les peuples actuels restés aux stades primitifs et les documents écrits des premières civilisations primitives, nous permettent de formuler cette proposition : l’art est d’essence religieuse et son premier usage est une magie. Magie sympathique d’une part, qui, par la représentation d’un être, a pour but soit de s’en ménager les faveurs, soit de s’en assurer la possession ; totémisme d’autre part, c’est-à-dire, adoption par un clan d’une force, naturelle ou animale, qui serait son ancêtre et, à la fois, sa patronne, et dont les images se retrouvent sur les armes, dans les tatouages et dans les lieux consacrés. C’est ainsi que s’explique le fait de la figuration exclusive, dans certaines grottes, de certaines espèces animales, indépendamment des conditions réelles d’habitat des espèces. De ce totémisme primitif en vertu duquel l’homme s’assimile à la divinité animale de laquelle il se croit issu, dérivent toutes les assimilations animales des masques, des vêtements de sorciers et des parures ecclésiastiques. Les dieux animaux des Egyptiens, les monstres à tête humaine sur un corps animal ou à chef animal sur un corps humain, kheroubims, minotaures, centaures, etc., et les mythes de la métempsychose n’ont pas d’autre origine. Il a fallu la raison grecque pour que le culte des dieux anthropomorphes remplace celui des dieux zoomorphes et des forces naturelles. Ainsi l’art, avec la religion, est parvenu à l’humanisme auquel il est encore, généralement, fidèle.

Si nous nous sommes attardés un peu longuement à cette lointaine apparition de l’art dans l’humanité primitive, c’est que les problèmes qu’elle pose et les observations qu’elle suscite ont une portée telle qu’elle ne s’est pas encore épuisée. L’art vit toujours, comme l’humanité elle-même, sur les thèmes les plus anciens ; et les artistes les plus grands sont ceux qui, dans la représentation la plus humble, ont mis non seulement leur être, avec tout ce qu’il sait et tout ce qu’il peut, mais le trésor entier des expériences humaines, des plus obscures, des plus inconscientes, jusqu’à celles qui, peu à peu, et sans qu’il ait à renier aucun balbutiement des ancêtres, s’élèvent au-dessus des croyances et, par la raison qu’il en prend, le libèrent.

B) Orient Primitif. — Nous avons dit quelle lacune s’ouvre soudain dans nos pays, à la fin des temps quaternaires. Ni les âges mésolithiques, ni le néolithique ne nous ont laissé les traces d’une culture artistique. Et pourtant ces périodes témoignent d’un indéniable progrès industriel, la dernière même voit naître tous les perfectionnements de la vie sociale que connaît depuis, l’humanité.

En Orient, au contraire, la décoration par le dessin et la couleur dénote un art raffiné. Mais il semble que celui-ci soit le fait d’une civilisation importée. L’industrie des métaux y apparaît contemporaine des témoignages proprement néolithiques, concurremment avec l’emploi des matières précieuses, des pâtes colorées et des émaux dont la présence atteste, à défaut