Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
RES
2344

qu’ils exploitent, qu’ils commandent, qu’ils asservissent. Tous ceux qui vivent sans produire ; tous ceux qui sont riches de la misère de leurs semblables ; tous ceux qui vivent dans l’opulence et dans l’orgie et crèvent un jour de pléthore pendant que d’autres vivent toujours mal et meurent de froid ou de faim ; tous ces gavés, tous ces repus aiment et prêchent la résignation des pauvres.

Des prêtres qui se prétendent disciples du Christ, dodus et replets, ne craignent pas de conseiller aux pauvres la prière et la résignation. Ils recommandent aux malheureux de ne pas envier les heureux et de ne rien faire contre eux, Ne sont-ils pas sur la terre pour faire le bien, ces bons riches, et s’il n’y avait pas de pauvres, ils ne pourraient plus se rendre agréables au seigneur en faisant l’aumône. Le pauvre est l’élu de Dieu et ce qu’il souffre sur la terre lui sera compté dans le Ciel où tout se paie et se compense par un bonheur éternel. Déjà, le pauvre est assuré d’avoir sa place au Paradis, s’il sait se résigner à son sort, ne pas maudire les auteurs de ses maux et supporter ses malheurs, car Jésus l’a dit : « Il est plus difficile à un riche de passer par la porte du Ciel qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille. » En attendant, aucun, riche, aucun prêtre, n’a poussé l’amour de la pauvreté jusqu’à sacrifier son bien-être, sa situation en se privant de tout pour le donner aux pauvres. Si quelques-uns sont allés jusque-là dans leur amour du prochain, ils ont paru tellement extraordinaires qu’on les a canonisés si l’on n’a réussi à les faire passer pour déséquilibrés et hospitalisés comme tels. Il y a eu des Vincent de Paul, sans doute. Mais qui n’a connu des êtres semblables dans le civil qui, eux, n’attendaient pas une récompense au Ciel pour l’éternité ? On ne peut, certes, pas dénigrer une personne dévouée à l’extrême, douée d’un désintéressement sans limite jusqu’à risquer tout, même sa vie, pour aider un malheureux, consoler un affligé, soigner un malade contagieux, etc. ; mais cela n’a rien à voir avec la résignation puisque ces êtres d’élite font le bien pour leur satisfaction personnelle ou dans l’intérêt de leur âme pour mériter la récompense céleste. Ils se résignent à assurer leur bonheur éternel.

La Résignation, pour nous, c’est le manque d’énergie à réagir contre le sort, contre la malchance, contre la destinée, contre tout ce que vous voudrez. C’est la lâcheté qui fait la résignation de ceux qui souffrent injustement et les empêchent ainsi de chercher les causes véritables de leurs souffrances, les auteurs impunis de leurs malheurs.

C’est parce qu’il y a de la Résignation que l’Injustice sociale se perpétue et que les méchants ; les fourbes, les cyniques vivent sans crainte d’expier leurs forfaits, ayant pour eux toute une organisation effroyable pour les protéger dans leurs exploits au nom de la Légalité, du Droit, de l’Autorité, de la Propriété, de la Justice et de la Force !

Que la Résignation, cette vertu des eunuques, des abrutis et des lâches cesse un jour de tenir dans le cœur et le cerveau des miséreux la place de la Révolte et l’on verra soudain resplendir la vraie Justice. — G. Y.


RÉSIGNÉ Les résignés sont ceux qui, malheureux, accablés, manquent de caractère, de fierté, de virilité pour se révolter contre ce qui les opprime. Les résignés sont ceux qui renoncent à la lutte ; qui abandonnent leurs droits ; qui n’ont ni le courage, ni l’énergie pour les revendiquer. Il faut bien convenir, cependant, qu’ils sont souvent les victimes, les pauvres victimes de tous les préjugés sociaux entretenus par l’atavisme, l’éducation de la famille, la religion, le dressage ignoble de l’école et de la caserne. Quand un homme est persuadé qu’il doit être soldat et tuer son semblable

par ordre, pour une entité stupide, comment voulez-vous qu’un tel abruti soit autre chose qu’un résigné. — G. Y.


RÉSISTANCE n. f. Qualité d’un corps qui réagit contre l’action d’un autre corps. (Dict. Larousse). Ce n’est pas à ce point de vue qu’il sied de parler ici du mot Résistance mais plutôt dans le sens de faire résistance personnelle ou collective à tout ce qui opprime, déprime, pressure, exploite l’individu. C’est ainsi que, dans le monde des exploités, l’action collective de résistance des ouvriers de l’usine et des chantiers, de la campagne et des ports se traduit par l’action collective qui s’appelle la grève. La résistance sous toutes ses formes n’est intéressante, à notre point de vue, que si elle est la manifestation consciente d’une force humaine ou sociale qui s’affirme contre une autre force humaine ou sociale. Nous envisageons donc ainsi tous les mouvements populaires, toutes les velléités de révolte du peuple contre les tyrannies, d’où qu’elles viennent, toutes les tyrannies et aussi toutes les entités au nom desquelles on exerce : Dieu, Vérités, Patrie, Honneur, Suffrage Universel, Travail, Propriété, Église, État, Loi, Dictature, Justice, Intérêt général, Paix, Droit, Civilisation, Humanité, Progrès, etc., etc., car tous ces grands mots dans la bouche des prêtres et des politiciens, ne sont que fourberies, mensonges, duperies, bourrage de crâne. Il faut résister à leur emprise. La résistance est, avec la réflexion, le commencement de la sagesse et de l’esprit critique, de l’esprit de révolte. Une mentalité sérieuse de résistance à tout ce qui parait beau, bien, bon et cache trop souvent le contraire, dénote chez l’individu le caractère, l’esprit libre et sain et parfois l’homme d’action. Unie à d’autres individus, cette force individuelle se multiplie et se développe dans les masses qui elles, ne réfléchissent pas assez, n’étant pas alors défendues, soutenues, par une force de résistance suffisante. Au milieu d’elles, les individus désintéressés, honnêtes, dont nous parlons plus haut, sont susceptibles de prendre un ascendant tel parmi les foules, qu’ils parviennent à force de sincérité et de foi contagieuses à faire éclater pour tous des étincelles de vérités qui engendrent non plus seulement la Résistance, mais la Révolte, selon les motifs, les lieux, les circonstances.

D’où la nécessité de susciter, en tout et partout, la résistance des victimes aux fléaux que créent la mauvaise organisation sociale : Vie chère, Exploitation outrée, Autorité révoltante, Inégalités sociales scandaleuses, Escroqueries et Vols légalisés, protégés par la Loi, la Magistrature, la Police. La Résistance, enfin, à tout le mal social est indispensable, d’abord, et doit être permanente parmi les masses populaires lésées, meurtries, sacrifiées par tous les profiteurs du régime bourgeois.

Pour le salut de tous, la Résistance doit être une façon de comprendre notre rôle, dans une société basée tout entière sur l’iniquité sociale. C’est rendre service à nos semblables que de les entraîner à la résistance. Ils savent alors, par expérience, qu’on ne peut que gagner à toujours se regimber contre les fléaux sociaux, contre leurs causes et contre leurs effets. Les travailleurs ont droit à tout pour l’unique raison qu’ils n’ont rien. Contre cet état de choses, la Résistance est un devoir pour tous les producteurs nécessiteux.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que, vers le milieu du xixe siècle, les travailleurs qui n’avaient pas encore conquis le droit syndical, savaient adroitement tourna la loi et, de leurs sociétés mutuelles de secours, faisaient clandestinement des sociétés de Résistance où se discutaient leurs intérêts corporatifs. La police les pourchassait et la prison les menaçait sans cesse. Société de Résistance était bien le mot qui convenait à ce groupement ouvrier. Les militants se rendaient compte qu’il n’y avait que par la résistance qu’on pou-