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vait oser démontrer aux exploiteurs de l’époque, qui prenaient les ouvriers pour des matériaux agissants, que ceux-ci étaient des êtres pensants.

Les sociétés de résistance sont les aïeules de nos syndicats corporatifs, lesquels ont pour devise : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » et, pour but constant : « Bien-être et liberté par la suppression du Patronat et du Salariat ». Le temps a marché, les idées ont évolué. Mais, si la Résistance est toujours en honneur, le but n’est pas atteint. Il y a des crises atroces dans nos sociétés de résistance.

Les militants syndicalistes n’ont pas à se cacher dans la montagne ou la forêt, comme des bandits en complot, ou s’isoler en mer comme des naufragés pour discuter de leurs intérêts corporatifs, comme au siècle précédent, mais ils ont à déjouer les obstacles posés par les événements sur la route droite qui mène au but : c’est la corruption gouvernementale, c’est la politique et son action néfaste, c’est la vanité des uns, l’ambition des autres, qui ont laissé dévier le syndicalisme, malgré la Résistance de quelques-uns. Que faire à cela, si de se maintenir dans la pure logique et l’incorruptible sincérité qui ont fait la puissance de la C.G.T. qui précédèrent le cataclysme de 1914.

Ne pas désespérer. Croire à l’avenir et ne pas combattre la division en l’augmentant. Savoir, en toutes circonstances, résister aux tentatives de scission dans nos syndicats. La place des militants non politiciens et de conviction révolutionnaire, s’ils ont la conscience droite et s’ils ne sont pas des girouettes, n’est pas toujours où l’on pense comme eux mais, au contraire, où il y a des cerveaux à éclairer, des initiatives à encourager, des vertus à persévérance, de courage à faire éclore en actions d’unité pour l’émancipation totale des exploités. En un mot, il faut que nous soyons, au syndicat, à la coopérative, partout, en dehors de toute politique, des résistants à tout ce qui corrompt, dévie, désunit. Avec de la patience, de la volonté, du caractère, les militants, jeunes ou vieux, verront renaître le vrai syndicalisme, superbe d’enthousiasme pour l’action directe, perpétuelle et féconde Résistance ! — G. Yvetot.


RESPONSABILITÉ n. f. La responsabilité en soi n’existe pas. De même que la morale, elle est née de la vie en commun, elle est une création sociale. Imaginons des êtres pouvant vivre isolés, pouvant se satisfaire chacun du produit de leur chasse et de leur travail, ne dépendant aucunement les uns des autres, alors il n’y aurait ni morale, ni responsabilité, ni bien, ni mal. Cependant chez ceux des mammifères qui appartiennent à une espèce sociétaire, il y a un rudiment de vie morale au moment de la vie sexuelle et de l’élevage des petits.

Or, les hommes sont des animaux sociétaires. Mise à part la question philosophique de savoir si la responsabilité existe ou non, on est obligé d’admettre que pratiquement elle existe, en tant que défense des individus et de la société à l’encontre des torts qui leur sont faits par les actes, conscients ou non, commis par les autres membres de la société. La responsabilité est donc en somme, au moins primitivement, une notion extérieure à l’individu. Ce n’est que peu à peu par les sanctions et par l’éducation que cette notion pénètre dans le cerveau des hommes, au point qu’ils se tiennent sur le qui-vive pour échapper il la vengeance sociale et, qui pis est, à l’humiliation.

La responsabilité était terrible dans les tribus primitives où la moindre défaillance, même involontaire, pouvait causer ou était censée causer les plus grands malheurs à la collectivité, puisque tout malheur était considéré comme la vengeance d’un esprit ou d’un dieu, dont la colère, la méchanceté ou la jalousie devait être apaisée par le châtiment du coupable ou par le sacri-

fice d’êtres innocents. L’histoire légendaire et ancienne est pleine d’exemples de ces sacrifices, enfants, jeunes filles, etc., sacrifices destinés à attirer la bienveillance des dieux ou à écarter leur courroux. On retrouve de nos jours les mêmes mœurs dans certaines tribus sauvages qui ont conservé les conceptions primitives de la responsabilité.

La notion de culpabilité chez les primitifs n’est pas comparable à celle des modernes. Dans la légende d’Œdipe, la ville de Thèbes étant ravagée par la peste, on finit par s’apercevoir que le roi a, sans le savoir, tué autrefois son père et épousé sa mère, d’où le courroux des dieux qui s’exerce sur les malheureux Thébains. Jocaste se pend, Œdipe se crève les yeux et quitte la ville, l’épidémie disparaît.

Ce n’est qu’après le triomphe du principe de causalité dans la civilisation grecque que la responsabilité prend l’aspect qu’elle reprendra plus tard après la Renaissance et qui persiste jusqu’aux temps modernes. La faute dont un individu est responsable est la conséquence d’une erreur ou d’une défaillance de sa raison. Pour éviter la faute, il faut donc instruire les individus, leur apprendre à se juger eux-mêmes et à maîtriser leurs impulsions.

Pour les chrétiens du moyen-âge, l’homme étant pourvu d’une âme par Dieu, les défaillances sont dues aux tentations de la chair, c’est-à —dire au Démon. Afin de chasser « le mauvais esprit », il faut punir sévèrement le coupable dans son propre intérêt et pour le salut de son âme. Les enfants sont responsables comme les adultes et passibles des mêmes châtiments. Les animaux, coupables de méfaits graves comme mort d’homme ou trouble d’une cérémonie religieuse, sont exorcisés ou condamnés, car on suppose qu’ils sont habités par l’Esprit Malin.

Or, l’activité psychologique reste, au début de la vie, localisée au mésencéphale (tronc cérébral), sans communication avec les centres supérieurs de l’écorce cérébrale, puisque les conducteurs nerveux ne sont pas encore revêtus de leur gaîne de myéline. Les coordinations s’établissent peu à peu. Mais le sentiment de responsabilité sociale n’apparaît pas avant la puberté, c’est-à-dire avant l’apparition de la fonction sexuelle. C’est à ce moment que commence l’utilisation de véritables concepts. Et même à cette période l’adolescent n’a encore aucune expérience de la vie et des valeurs sociales.

Et pourtant, en dépit d’une observation de simple bon sens, la responsabilité des enfants a persisté jusqu’à nos jours. Il n’y a pas très longtemps, à peine quarante ans peut-être, qu’on a institué à Paris des tribunaux pour enfants. Jusque-là on ne faisait aucune distinction théorique entre eux et les adultes. L’âge légal de la responsabilité pénale était de 7 ans jusqu’en 1912 où on l’a porté à 13 ans.

C’est qu’on a toujours considéré le châtiment comme un moyen, et le meilleur, d’éducation. Les punitions ont pour objet de ramener celui qui se laisse aller aux tentations, à écouter la voix de la Sagesse. Il en est de même pour les adultes. Ils n’ont qu’à suivre les indications de la Raison. La Raison ne peut pas se tromper. N’a-t-elle pas toujours été considérée comme une parcelle du Divin ? Seuls les fous en sont dépourvus.

On a commencé à s’apercevoir dans les temps modernes qu’il y avait un grand nombre de demi-fous, terme impropre sans doute, mais sous lequel on comprenait la masse des arriérés, des instables, des déséquilibrés, etc. Cette constatation n’a pas été admise facilement, elle ne l’est encore que très incomplètement. Les profanes, y compris juges, policiers et gardes-chiourme, sont tout juste capables, et encore, de reconnaître les grands délirants. Mais les autres, ceux qui présentent des formes plus légères d’aliénation mentale, et, à plus forte raison, les simples déséquilibrés, les instables, les