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PEI
2005

Certes, il n’est pas niable que l’influence égyptienne ou celle de Sumer puissent se remarquer dans les peintures, la céramique ou la gravure, crétoise ou chypriote, de la période minoenne (2.000 à 1.500 av. J.-C), mais c’est une influence transposée. L’art de la mer Egée n’en constitue pas moins un monde à part, magnifique et barbare, familier, expressif, moderne. Cet art ne semble pas avoir inspiré directement les premières manifestations du génie grec. Mais si l’on considère qu’avant les phéniciens, les navigateurs égéens ont colonisé le bassin oriental et central de la Méditerranée, on comprendra que, dès le viiie siècle, des formes d’art, apparentées entre elles par une discipline commune, d’un naturalisme épuré, aient pu marquer, de l’Italie du Sud à l’Ionie asiatique, la naissance de l’hellénisme.

III. Antiquité classique. — A) La Grèce et l’Hellénisme. — La grande révolution accomplie par le génie grec peut être définie d’un mot : l’humanisme. Ce mot servira, à toutes les époques, à caractériser les tendances à la liberté de la pensée et à l’épanouissement des individus selon l’ordre de l’harmonie et le culte de la beauté. De fait, le Grec, inventeur des mathématiques, codificateur des connaissances antérieures à lui dans l’appareil classificateur qui constitue, à proprement parler, la Science, a trouvé aussi la raison de l’Art et lui a donné pour de longs siècles et sur toute la Terre, un certain visage que nous reconnaissons encore aujourd’hui.

La grande peinture grecque, qui fut très florissante et dont les auteurs de l’antiquité nous ont laissé des descriptions et des éloges enthousiastes, ne nous est point parvenue. Polygnote, Seuxis, Parrhasios, Apelle, ne sont pour nous que des noms. Nous ne pouvons juger de la conception générale, de la composition, du dessin, du sentiment de la couleur et de la technique des peintres grecs que d’après les copies ou les répliques alexandrines, phéniciennes, pompéiennes et romaines. Il est possible, d’après celles-ci, de retrouver les lois générales de cet art. Les peintures qui décoraient les murailles étaient exécutées soit à la fresque, soit à l’encaustique, c’est-à-dire au moyen de couleurs liées à la cire chaude. Dans la période archaïque, celle qui précéda l’hégémonie d’Athènes, la peinture grecque garda les caractères techniques de la peinture égyptienne. Si le dessein fut plus libre, la couleur demeura plate et sans effets, donc purement décorative. Ce ne fut qu’à partir du ive siècle que les jeux de lumière et d’ombre, le sens du modelé, du mouvement et de l’espace, introduisirent dans la peinture la vie et l’expression. La sobriété, cependant, resta la règle de cet art. La gamme des couleurs était très limitée. Polygnote, au milieu du IVe siècle, n’en employait que quatre : le blanc, le noir, le rouge et le jaune.

Devant l’absence des monuments authentiques de la grande peinture, nous devons faire une place à part aux représentations des vases peints, qui, dès le début du vie siècle, abandonnant le style géométrique, nous apportent sur la vie hellénique la plus abondante documentation. Les vases à figures noires du vie siècle, ceux à figures rouges sur fond noir et à figures polychromes sur fond blanc des ve et ive, égalent en finesse, en sensibilité, en noblesse et en charme les merveilles de la sculpture familière de Tanagra et de Myrina. Toute l’histoire légendaire, les mythes, les croyances, les occupations et les plaisirs de la vie revivent dans leurs figurations. Par elles nous sommes amplement renseignés sur les jeux de ce peuple sportif ; et c’est peut-être le culte des mouvements du corps libre, en plein air, qui libéra définitivement l’art grec de la contrainte des lois d’équilibre et de symétrie qu’il subit, à ses débuts, tout comme l’art des Égyptiens et des Asiatiques.

La diffusion de la culture hellénique, à la suite d’Alexandre, réforma l’art de tous les pays où pénétra

avec elle l’esprit de mesure et le culte de l’intelligence. L’Égypte, la Syrie, l’Asie Mineure, la Mésopotamie et la Perse et les steppes de la Caspienne, aussi bien que les remparts montagneux de l’Afghanistan et Rome, reçurent, cultivèrent et transformèrent, selon leur génie propre, la semence hellénique. Il est vérifié aujourd’hui que l’art de l’Inde est né de cette influence. Les peintures bouddhiques que nous trouvons dans la péninsule même, puis sur tout le pourtour du Gobi et dont la diffusion, en ces régions, entre la période sélenecide et les premiers siècles de notre Moyen-Âge (iiie-viie), coïncident avec celle du bouddhisme, sont vraisemblablement à l’origine de la peinture chinoise.

Mais l’art grec rayonna plus fortement encore dans le bassin de la Méditerranée, porté par les flottes d’Athènes jusqu’au sein des anciennes colonies phéniciennes ; et Rome, en imposant sa force militaire et son organisation administrative à la Grèce elle-même et aux pays hellénisés, apprit de ceux-ci et porta au monde occidental une formule d’art qui est une glorification pompeuse de l’hellénisme.

Ce que nous connaissons d’œuvres peintes, en Égypte (portraits), en Phénicie (fresques tombales), en Italie du Sud par exemple nous montre l’art hellénique, adapté aux traditions régionales, évoluait peu à peu vers des formules dont la fortune historique sera diverse. Dès les derniers siècles de l’ère antique, nous pouvons saisir les éléments de formation des deux grands courants qui détermineront un jour l’art des temps modernes, tel qu’il nous apparaît, un peu artificiellement, surgi de la Renaissance. Le courant italo-romain qui se prolonge dans l’art chrétien des premiers siècles est à l’origine du réalisme qu’intensifieront les barbares et qui marquera si fortement les écoles occidentales. Ce que nous voyons, au contraire, tant en Égypte qu’en Phénicie ou à Palmyre (vassale quelque temps des Perses Sassanides), c’est un retour aux tendances profondes de l’Orient : d’une part stylisation des figures, d’autre part, recherches de luxe décoratif. Sous le formulaire et l’apparat, l’humanisme grec se voile, sans toutefois disparaître ; et nous voyons dans les écoles orientales qu’il a un instant vivifiées et pour longtemps unifiées, poindre la pompe, l’artifice, et la grandeur aussi du style de Byzance. Ce style résistera longtemps, dans les écoles du Moyen Age, au réalisme occidental, conservant les fortes disciplines des traditions techniques, et les imposant, non sans bonheur, aux richesses d’invention des artistes d’Europe.

B) L’art chrétien du Moyen-Âge. — On peut ainsi distinguer trois courants issus du fond commun de civilisation unifié par le génie grec. Nous laisserons de côté les formes asiatiques qui demanderaient une étude spéciale, pour nous attacher particulièrement à celles qui intéressent l’Europe.

Le courant occidental, qui se confond à l’origine avec l’art de la Rome païenne, se continue sans changement jusqu’après Charlemagne. A part certains motifs, tirés des mythes de la religion naissante, les premières peintures chrétiennes ne se distinguent ni par le style ni par les procédés de ce que nous voyons, par exemple, à Pompéi. La seule distinction de cet art réside dans les motifs qu’il évite : la représentation de la divinité jusqu’au xe siècle, et celle de la nudité dont l’interdiction se prolongera jusqu’au xiiie. Les motifs de décoration végétale et florale ne sont pas particuliers au christianisme. Le plus connu de tous, celui qui mêle le pampre, l’épi et la colombe se rencontre déjà dans l’iconographie des cultes dionysiaques de la région syro-phénicienne. Il n’est pas jusqu’aux figures symboliques, telles que les anges enfants ou l’âme, qui ne soient la réplique des amours ou des génies funéraires ailés, et de la mélancolique Psyché. La seule figure nouvelle apportée par l’iconographie chrétienne, celle du Bon Pasteur, ne révèle aucun sentiment nouveau.