Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REV
2363

vous érigeant en juges dans votre procès, qualifiés de crimes. Si c’était votre droit de les qualifier ainsi, n’était-ce pas le nôtre de faire voir que le crime ne venait pas de nous ? Que la première atteinte aux droits imprescriptibles des individus ne venait pas de notre côté, mais du vôtre ? »

Du point de vue psychologique, on admet que l’esprit de révolte existe à l’état latent dans tout encéphale humain. Si ce n’était, l’individu ne pourrait subsister dans les divers milieux où il se voit obligé de frayer durant son existence, et cet état psychologique lui permet en quelque sorte de s’adapter aux différentes modifications des milieux. Mais du fait que la tendance à la révolte existe, il ne s’ensuit pas fatalement que tous les individus soient des révoltés ; chez les uns, ce germe a tendance à se développer ; chez les autres, il semble plutôt s’atténuer ; et chez certains, il va jusqu’à s’atrophier ou s’hypertrophier. En effet, sous l’influence de l’ambiance dans laquelle se développe l’individu, celui-ci acquiert, plus ou moins, un potentiel d’esprit de révolte, mais il semble que tout milieu social détermine plutôt l’individu à atténuer la propension à la révolte. Cette réaction contre le sentiment de révolte est due au fait que, dès son jeune âge, l’enfant subit une éducation malsaine et faussée, tant dans la famille qu’à l’école ; ici comme là, on lui prêche l’obéissance, on lui inculque le respect des choses existantes ; il accepte la religiosité de la société présente, et, nanti de ce bagage de servilité, il grandit et se fraye un chemin dans la vie ; rien d’étonnant, alors, de constater le grand nombre de résignés, et ce ne sont que les rudes épreuves de la vie qui pourront faire espérer qu’ils deviendront un jour des candidats à la révolte. En eux, rien n’a été éveillé. L’esprit d’examen comme celui de critique ont entièrement été annihilés. Rares sont ceux qui eurent le bonheur de recevoir un autre enseignement : plus rationnel et plus libertaire. Sans doute, de temps à autre, certains esprits réagissent et ces phénomènes d’obéissance passive et craintive à l’égard des institutions – famille, patrie, propriété – s’exercent d’une manière tout opposée ; c’est là un phénomène de psychologie assez curieux qui concourt à la naissance de l’esprit de révolte. Aug. Hamon, dans sa « Psychologie de l’anarchiste socialiste » a tenté, en se basant sur une enquête faite auprès d’esprits révoltés, d’expliquer ces phénomènes qui revêtent des formes diverses d’inspiration : « En examinant, en critiquant, l’individu se refuse à admettre les opinions toutes faites, les phénomènes tels qu’on les présente. Il se révolte contre les idées généralement admises, contre les dogmes religieux, moraux, scientifiques. En contredisant des théories données, en faisant opposition à des actes, l’individu se révèle un révolté. Morphologiquement, examen, critique, contradiction, opposition sont identiques. » et, poursuit-il, « …des hommes qui veulent faire table rase des actuelles organisations sociales sont fatalement doués d’une cérébralité dont une des caractéristiques doit être la tendance à la révolte contre ce qui est. » Quiconque s’est donné la peine d’étudier la doctrine anarchiste constatera qu’elle enseigne la révolte et incite à la manifester ; il est logique que ceux qui s’en réclament approuvent cet enseignement et soient des révoltés.

Voici quelques citations empruntées à des ouvrages de théoriciens ou de militants anarchistes qui montrent l’enseignement de la révolte dans la doctrine anarchiste. P. Kropotkine, dans « La Morale Anarchiste » : « Nous, nous sommes des révoltés et nous avons invité les autres à se révolter contre ceux qui s’arrogent le droit de traiter autrui comme ils ne voudraient nullement être traités eux-mêmes. Contre ceux qui ne voudraient être ni trompés, ni exploités, ni brutalisés, ni prostitués, mais qui le font à l’égard des autres… Jusqu’à présent, l’humanité n’a jamais manqué de ces grands cœurs qui débordaient de tendresse, d’esprit ou

de volonté, et qui employaient leurs sentiments, leur intelligence, ou leur force d’action au service de la race humaine, sans rien lui demander en retour. Cette fécondité de l’esprit, de la sensibilité, ou de la volonté prend toutes les formes possibles. C’est le chercheur passionné de la vérité qui, renonçant à tous les autres plaisirs de la vie, s’adonne avec passion à la recherche de ce qu’il croit être vrai et juste, contrairement aux affirmations des ignorants qui l’entourent… C’est l’homme qui se révolte à la vue d’une iniquité, sans se demander ce qui en résultera, et, alors que tous plient l’échine, démasque l’iniquité, traque l’exploiteur, le petit tyran d’une usine, ou le grand tyran d’un empire… Nous sentons que nous n’avons pas poussé les principes égalitaires jusqu’au bout. Mais nous ne voulons pas faire de compromis avec ces conditions. Nous nous révoltons contre elles. Elles nous pèsent, elles nous rendent révolutionnaires. Nous ne nous accommodons pas de ce qui nous révolte. Nous répudions tout compromis, tout armistice même, et nous nous permettons de lutter à outrance avec ces conditions. Cette science (la morale) dira aux hommes : « Sois fort, au contraire, et une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise – une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre –, révolte-toi contre l’iniquité, le mensonge et l’injustice. Lutte, la lutte c’est la vie d’autant plus intense que la nature sera plus vive. Et alors tu auras vécu et, pour quelques heures de cette vie, tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais… » J. Grave, dans « La Société mourante et l’Anarchie » : « …Et dans la société actuelle, essayer de mettre des idées nouvelles en pratique, n’est-ce pas faire acte de révolte ? Heureusement, nous l’avouons, qu’il n’y a qu’un pas des aspirations au besoin de les réaliser ; et ce pas, bien des tempéraments sont enclins à le franchir, d’autant plus que la théorie anarchiste étant essentiellement d’action, plus nombreux chez ses adeptes se trouvent ces tempéraments révolutionnaires. De là, la multiplication de ces actes de révolte que déplorent les esprits timorés, mais qui, selon nous, ne sont autre chose que la preuve du progrès des idées… Ce n’est pas en se résignant ni en espérant que l’on ne change rien à sa situation, c’est en agissant. Or, la meilleure manière d’agir est de supprimer les obstacles qui entravent notre route… La mise en pratique de nos idées exige des hommes conscients d’eux-mêmes et de leur force, sachant faire respecter leur liberté, tout en ne se faisant pas le tyran des autres, en n’attendant rien de personne mais tout d’eux-mêmes, de leur initiative, de leur activité et de leur énergie ; ces hommes ne se trouveront qu’en leur enseignant la révolte, et non la résignation. Mais nous sommes convaincus aussi que les idées bien comprises doivent multiplier, dans leur marche ascendante, les actes de révolte… » L’on pourrait trouver d’autres citations qui justifieraient, d’une façon précise, que l’esprit de révolte est exalté par les anarchistes dans leur propagande orale ou écrite ; il nous suffirait d’ouvrir les ouvrages des É. Reclus, E. Malatesta, R. Mella, Malato, Bakounine, S. Faure, pour puiser à profusion de quoi augmenter l’apport si copieux que nous ayons fait en citations. Mais ce n’est pas uniquement chez les théoriciens anarchistes que nous pourrions trouver de quoi étayer notre thèse, car cette tendance à la révolte se retrouve exprimée en maints chefs-d’œuvre de la littérature et de la musique, des œuvres d’art, chez les peintres, les dessinateurs et les sculpteurs. Citons les P. Adam, O. Mirbeau, B. Lazare, G. Eckhout, Thaureaud, Gorki, R. Rolland, Barbusse, les Daumier, les Grosz, Beethoven, Wagner ; et l’énumération serait fastidieuse si nous la prolongions outre mesure.

Tel est le fait qu’on se doit de constater : l’esprit de