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révolte s’efforce à pénétrer et à s’insinuer partout. Il se développe de plus en plus, tout en subissant, à certains moments, quelques régressions ; et cet esprit de révolte, cette propension, surtout, est caractéristique chez les anarchistes, et son accentuation s’explique par le travail constant et continuel que ceux-ci ne cessent de faire, en vue de cultiver cet esprit de révolte indispensable et nécessaire à toute évolution humaine. C’est pourquoi les paroles que Pierre Kropotkine prononçait à Lyon, en répondant au juge qui l’interrogeait, au procès anarchiste du 8 janvier 1883, sont justes et réelles : « Quand l’esprit de révolte aura bien soufflé sur le peuple, il sera prêt pour renverser le régime de la propriété individuelle et inaugurer notre idéal : le communisme anarchiste. » Non moins vraie est cette pensée d’Oscar Wilde qui explique l’éthique de notre révolte : « Partout où un homme exerce une autorité, il y a un homme qui résiste à l’autorité. » Révoltons-nous contre l’iniquité, cultivons donc cet esprit de révolte, et, sans doute, verrons-nous ainsi surgir, demain, des mouvements qui aideront à construire un nouveau monde meilleur. — Hem Day.

RÉVOLTE. Soulèvement, rébellion contre l’autorité établie : la révolte d’un camp. Une révolte de collégiens. Souffler la révolte. — Fig. soulèvement violent. La révolte de la raison. La révolte des passions. La révolte des sens. — Syn. Émeute, insurrection, etc. Nous reportant au mot Émeute, du Diction. Larousse, nous ne sortons pas de notre sujet, puisqu’on y lit ceci : « Émeute, soulèvement populaire, tumulte séditieux. » Puis, encore cela : « Syn. Émeute, insurrection, rébellion, révolte, sédition, soulèvement. L’émeute n’est qu’un rassemblement tumultueux de manifestants qui témoignent leur mécontentement ; elle se forme ordinairement sans avoir été préméditée, et, souvent, se dissipe d’elle-même, quoiqu’elle puisse devenir le signal d’une révolution. L’insurrection, c’est l’acte d’un grand nombre de citoyens qui s’arment pour renverser une autorité qu’ils ne veulent plus supporter. La rébellion ne tend qu’à refuser l’obéissance, tandis que la révolte tend à renverser, à détruire. Mais l’une et l’autre ne supposent pas un grand nombre de résistants. La sédition suppose des complots, des meneurs ; elle est concertée, elle a un mot d’ordre, elle pousse le peuple à prendre les armes pour soutenir un parti organisé depuis longtemps. Le soulèvement participe à la fois de l’insurrection, de la rébellion, de la révolte, mais il en marque surtout le commencement ou la formation ; on prévoit les soulèvements ou on les voit se préparer. » « Émeutier, mettre en émeute : ameuter le peuple. » (Dict. Larousse). Ajoutons encore : « Émeutier, émeutière : personne qui prend part à une émeute ou qui excite à l’émeute. »


Nous pouvons déplorer que la tyrannie, l’oppression, l’exploitation, n’engendrent pas toujours la révolte. Cependant, bien qu’il faille un plus ou moins grand nombre d’années d’esclavage ou d’asservissement pour provoquer une révolte, l’histoire en a noté de nombreuses et d’importantes. Pour n’en citer qu’une dans l’Antiquité, nous croyons bien faire en rappelant ici celle des esclaves de Rome, ou la révolte de Spartacus. Elle éclata en l’année 74 avant Jésus-Christ, que les Romains désignaient comme l’année 679 de leur ère (ils comptaient les années à partir de la fondation de leur ville, en 753 avant Jésus-Christ). C’était l’époque où Rome achevait de conquérir le monde méditerranéen, en brisant tous les États ou en les soumettant à sa domination. À mesure que se multipliaient les conquêtes de Rome, augmentait le nombre des esclaves. Les vaincus qu’on ne tuait pas, s’ils étaient utiles par leurs talents ou par leurs forces, devenaient des esclaves au service des Romains. Tout riche avait à lui non pas

seulement quelques serviteurs, mais des armées d’esclaves qu’il employait à diverses besognes, selon leurs aptitudes ou selon son bon plaisir. Il choisissait parmi eux des domestiques de toutes sortes : cuisiniers, valets de table, coiffeurs étaient à sa disposition, pour lui, le maître, et pour ses proches et ses amis, à l’occasion. Il avait aussi médecins, musiciens, chanteurs, déclamateurs et d’autres, encore, pour lui composer un cortège dans la rue, marquant ainsi sa richesse et sa puissance. Dans les champs, il avait de nombreux laboureurs et pâtres. À la ville, il avait ses ouvriers, qu’il louait à d’autres ou dont il vendait le travail.

Il avait aussi des hommes de choix pour ses divertissements. Il les faisait former comme gladiateurs et les vouait aux jeux barbares du cirque, dont la population romaine de toutes classes raffolait.

C’était montrer son amour du peuple que de lui offrir des spectacles où les fauves luttaient entre eux jusqu’à la mort et, ensuite, les gladiateurs esclaves ou libres. Parmi ces vaincus devenus esclaves et entretenus, entraînés aux jeux brutaux et cruels pour la satisfaction et le plaisir des spectateurs, il y avait des hommes qui n’avaient pas perdu toute dignité et qui souffraient de leur humiliante situation, rêvant de liberté.

Ce furent des gladiateurs, élèves des fameux maîtres d’escrime de Capoue, qui donnèrent, en l’an 74, le signal de la révolte. Il y avait donc, parmi ces esclaves, des gladiateurs de tous pays, surtout des Thraces et des Gaulois, aussi vigoureux de corps que résolus d’esprit, souvent de caractères différents, mais tous unis par la commune haine du maître sans bienveillance à leur égard, sans pitié pour leur situation. Le traitement odieux de ces vaincus par les vainqueurs suscitait en eux des vengeances qui explosaient à la moindre occasion. Ils n’y risquaient que la mort, c’est-à-dire l’évasion d’un esclavage parfois atroce. Ils y risquaient aussi la liberté. Mais il fallait leur en faire comprendre la possibilité. Donc, cruellement traités par leurs maîtres, les esclaves gladiateurs de Capoue se révoltèrent. Car, comme l’a écrit un historien ancien « plus les maîtres sont cruels et injustes, plus les hommes rangés sous leur loi finissent par pousser leur ressentiment jusqu’à la férocité ; celui que la fortune a placé dans une condition inférieure peut consentir à céder, à ceux que le sort a mis au-dessus de lui, les honneurs et la gloire ; mais, lorsqu’il se voit privé de la bienveillance à laquelle il a de justes droits, l’esclave révolté traite ses maîtres en ennemis. » Il y avait eu complot entre Thraces et Gaulois. Ils avaient fait une brèche au mur de leur caserne et en sortirent au nombre de 73, s’emparèrent, dans la rue des charcutiers et des rôtisseurs, des broches, des coutelas, des couperets qu’ils avaient pu saisir et, avec ces armes rudimentaires, ils avaient vaincu et désarmé les soldats ou les citoyens de Capoue qui étaient venus les attaquer. Des brigands, des pasteurs, des esclaves des champs, tous ceux dont la muette patience était lasse, s’étaient joints à eux. Dans leur premier et instinctif mouvement de révolte et pour épouvanter les maîtres, ils avaient pillé les villages, dévasté les champs, enlevé les femmes et les enfants. Puis ils s’étaient cantonnés sur une hauteur du mont Vésuve et menaçaient la plaine. Avec eux, ils avaient un véritable chef ; c’était Spartacus. Il était de cette ancienne contrée de la Grèce appelée Thrace, aujourd’hui Bulgarie. Intelligent et vigoureux, il s’était fait soldat. Il avait été pris dans une bataille, vendu à Rome, s’était évadé, s’était refait soldat, puis était retombé en esclavage : sa haute taille, sa force l’avaient désigné pour devenir gladiateur, puis professeur des autres esclaves gladiateurs. Dans la caserne, Spartacus avait souvenance vive de la liberté et de l’air pur des montagnes natales. Sa