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ton à Robespierre, qui recule épouvanté. Il ne fallut pas moins que les révélations de Fabre d’Eglantine et de Chabot sur les tripotages du fournisseur d’Espagnac, de Julien de Toulouse et autres forbans pour le décider. Il y avait vraiment quelque chose de pourri dans la fraction dantoniste, et si l’on y déclamait contre l’échafaud, c’était surtout dans le but de s’y soustraire.

Saint-Just fut chargé du rapport contre les Dantonistes, qu’il lut, dans un profond silence, relatant, détail par détail, les intrigues de Danton et de ses complices. Nul n’osa protester et Legendre qui, dès les débuts, avait élevé la voix en faveur de ses amis, balbutia des excuses. Arrêtés, les Dantonistes furent renvoyés au Tribunal qui, malgré les éclats de voix et les insolences du tribun, les condamna à mort. Ils furent exécutés parmi l’indifférence de la foule. Depuis longtemps, le peuple révolutionnaire était fixé. La Convention de même. Après Thermidor, la réaction triomphante rappellera et réhabilitera les Girondins ; elle ignorera Danton et ses acolytes, à l’exception du malheureux Camille. Cela est déjà assez significatif. Il a fallu les historiens officiels, mal informés, privés de documentation, pour tenter l’apologie de Danton et de ses amis. Aujourd’hui, après les savants travaux de Mathiez, la cause est entendue. M. Madelin, lui-même, en dépit de son dantonisme, s’est incliné devant la vérité historique.

Les deux fractions, extrémistes et indulgents, abattues, le gouvernement révolutionnaire, c’est-à-dire le Comité de Salut Public, s’occupe de se réorganiser. Les ministres sont supprimés et remplacés par des commissions exécutives (c’est Carnot qui fait adopter cette mesure). En même temps, la lutte s’engage contre les représentants en province qui abusaient de leurs pouvoirs. Fouché est rappelé. Jourdan-Coupe-Tête, en Avignon, est guillotiné. Les tripoteurs sont vigoureusement poursuivis. C’est le règne de la Vertu, parallèlement à la Terreur.

Robespierre mène le Comité. Sa popularité et son autorité sont immenses. Derrière lui, Saint-Just agit. Il semble vouloir conduire, jusqu’à ses fins logiques, la révolution économique. Déjà, il avait fait voter, à la Convention, un décret disant que les biens des personnes reconnues ennemies de la Révolution seraient confisqués. Puis il fit décréter l’établissement de listes de patriotes indigents. Les biens des adversaires devaient leur être distribués. Cela, après les biens du clergé et les biens des émigrés. Ainsi Saint-Just allait encore plus loin que les Hébertistes. Il arrachait ses griffes à la classe possédante et marchait à une formidable expropriation. De même, le Comité s’occupe des salaires des ouvriers, qu’il relève sensiblement, sans d’ailleurs les satisfaire. Les ouvriers, en effet, réclament un salaire toujours plus haut, refusent de travailler ; Barère dut faire prendre un décret les menaçant du tribunal révolutionnaire.

Le mécontentement grandissait chaque jour. Les réquisitions pesaient sur les paysans ; les salaires demeuraient insuffisants ; le commerce était à peu près ruiné ; l’assignat exerçait ses ravages. Poursuivre la Révolution devenait une besogne terrible. Le Comité tenta l’impossible. Il fit distribuer de l’argent aux mendiants, aux infirmes, aux invalides. Saint-Just s’écriait : « Il ne faut ni riches ni pauvres ! » Il avait conçu tout un plan de réformes hardies, dans le sens communiste. Mais la guerre, la Terreur, l’incompréhension des foules ne lui permirent pas de l’appliquer.

La question religieuse était aussi à l’ordre du jour. C’est, par là que Robespierre tombera. Déjà, il s’était élevé contre les tentatives des hébertistes de déchristianiser la France. Il se prononçait pour la liberté des Cultes et s’élevait contre les fêtes organisées à la gloire de la déesse Raison. Tout ce qu’il y avait d’athées, de

matérialistes, de fils de Voltaire ne pardonnèrent point à ce disciple de Rousseau. La faiblesse de Robespierre, c’est, qu’on le veuille ou non, son esprit religieux. Cela lui-mène à la fameuse fête de l’Étré suprême où, président de la Convention, tout-puissant, redouté de chacun, il apparaît un peu comme le Tyran.

Peu à peu, une coalition se forma contre Robespierre. Les représentants en province, qui se sentaient devinés et craignaient pour leur vie — les Fouché, les Tallien, les Freron — agirent les premiers dans l’ombre. Puis, au Comité même, Robespierre, tranchant et dominateur, indisposait ses collègues. On était las de voir la République gouvernée par cet homme qui incarnait la probité et voulait faire régner la vertu. Carnot s’élevait furieusement contre lui ; Billaud-Varenne le comparait au « fourbe Périclès ». Il aurait fallu un peu de doigté, quelques concessions apparentes pour revenir à l’union, car tous sentaient que cet homme était indispensable. Mais Robespierre demeurait intraitable.

Pendant, ce temps, la guillotine fonctionnait à plein rendement. La Terreur parvenait à son apogée. Le 22 Prairial, Couthon, inspiré par Robespierre, faisait supprimer les défenseurs, devant le Tribunal révolutionnaire, ainsi que les interrogations des accusés. Les preuves morales pouvaient suffire pour obtenir la condamnation. Robespierre soutint cette loi à la Convention. On croit rêver, aujourd’hui, quand on lit les exposés des motifs de cette loi. Mais, encore une fois, c’était la bataille. Robespierre était, sans cesse, menacé d’assassinat. Un certain Admirai, qui n’avait pu le joindre, avait atteint Collot d’Herbois. Une jeune fille, Cécile Renaud, avait tenté de le tuer à domicile. On conspirait contre le Comité et contre lui. La situation était tragique. Dans l’esprit des robespierristes, il ne s’agissait plus de justice, mais de défense personnelle, cette défense étant aussi celle de la République.

Cependant, sans les violentes disputes qui éclataient au Comité et dont les répercussions gagnaient au dehors, les conjurés — dantonistes rescapés, girondins épargnés, représentants en mission, enrichis et profiteurs de la Révolution — n’auraient pas eu gain de cause. Le peuple était avec Robespierre, Saint-Just, Couthon… Robespierre eut le tort, fie ne pas voir le péril. Il fit pire. Il s’absenta du Comité, à partir du 15 Messidor. Pendant son absence, alors qu’il ne voyait plus rien ne signait plus rien, ses ennemis, habilement, lui attribuèrent les mesures ultra-révolutionnaires. On répandit le bruit que Robespierre voulait guillotiner la Convention pour devenir le maître absolu. Le malheureux, à ce moment, malade, épuisé, découragé, ne s’occupait de rien.

Les prisons se vidaient et se remplissaient aussitôt. On tuait par fournées. Partout, des centaines de têtes qui tombaient. Le dégoût commençait, à envahir la foule. Robespierre, réfugié aux Jacobins, se sentait impuissant ; mais c’était lui qu’on s’efforçait de rendre responsable.

Nous approchons du 9 Thermidor.

Saint-Just est revenu des armées, rapportant la victoire de Fleurus, Robespierre décide de sortir de sa retraite et de prendre l’offensive. Il lui faut encore épurer, débarrasser la République d’un certain nombre de coquins. Loi des révolutions ! Le 8 Thermidor, Robespierre monte à la tribune de la Convention et prononce un réquisitoire sévère contre ses adversaires attérés. Malheureusement, ils se ressaisirent promptement. Vadier essaya de ridiculiser Robespierre, avec les histoires de Catherine Théot. Cambon intervint. Billaud se prononça contre son collègue au Comité. Le discours de Robespierre, dont on avait voté l’impression d’abord, fut rejeté.

Le 9, Saint-Just voulut lire son rapport, habilement préparé. Tallien l’interrompit et l’empêcha de parler. Billaud, violemment, accusa Robespierre. Celui-ci