Vouet (1590-1649), Le Sueur (1616-1655) ; qu’ils les dépassent même, sans les égaler comme peintres, par une ampleur de style et un sens indéniable de la décoration, comme Le Brun (1619-1690) ou Jouvenet (1644-1717) ; ou qu’ils transportent leur éclectisme dans le portrait, comme Rigaud, Pierre Mignard, ou Largillière, auxquels peut s’appliquer la critique de Poussin à l’un d’eux qu’il trouvait froids et fardés. À côté de ces maîtres ennuyeux, le Valentin, Sébastien Bourdon semblent vivants et savoureux. Le débridement des instincts, qui, à la mort de Louis XIV, succède à l’oppression religieuse, ne relève pas la peinture. Jamais avec des mains plus glacées n’ont été tentées de plus chaudes parties. Ni Lancret, ni Pater, suiveurs sensuels de Watteau, ni Boucher (1704-1770), peintre d’un rococo si surfait, mais bon décorateur, ni les Coypel, les Van Loo, les Lagrenée, aucun de ces peintres pour désœuvrés décadents ne s’élève, par sa conception, au-dessus de l’anecdote, par son faire, au-dessus d’un petit agrément. Ce sont les portraitistes Nattier (1685-1765), malgré sa sécheresse ; Tocqué (1696-1772), qui n’est pas sans profondeur ; Aved (1702-1766) ; les pastellistes si subtils La Tour (1703-1788) et Perronneau, ou encore les provinciaux : Grimou, Subleyras, Duplessis, qui font figure de peintres. Greuze, lui-même, aux compositions si niaisement fades, se sauve par des portraits tendres ou vigoureux. Mais, par dessus tous, Chardin, le plus authentique peintre du xviiie siècle, rappelle les hollandais par la beauté de la matière.
À la fin du siècle et avant David auquel tout l’oppose, Honoré Fragonard (1732-1806) est un vrai peintre, parfois un grand peintre, au métier souple, hérité de Rubens et annonciateur des romantiques. Les noms d’Hubert Robert, de C.-J. Vernet, élève, à travers Manglard, de Lorrain, marquent la charmante faiblesse de l’art du paysage. Les décorateurs et les tapissiers, Ondry, Le Prince, rejoignent, par Desportes, le xviie siècle, et adaptent au luxe des intérieurs, les petites manières en vogue dans une société déliquescente.
Dans ces deux siècles, où seuls nous avons vu émerger des individus isolés, et mise à part la survivance de Venise, des écoles pourtant fortement caractérisées, naissent et s’établissent : au sud-ouest de l’Europe l’école espagnole ; au Nord-ouest, l’école hollandaise et la nouvelle école flamande de qui naîtra l’école anglaise.
Inauguré par le génial isolé, par cet opposant, cet étranger que désigne son sobriquet d’El Greco, le mouvement de la peinture espagnole se dégage, dès les premières années du xviie siècle, des influences napolitaine et vénitienne. Le Greco (Theotocopouli, 1550-1614) est, en réalité, un homme du xvie siècle. Il transforme à des fins si neuves le grand enseignement de ses maîtres vénitiens, que nulle autre peinture ne peut être comparée à la sienne. La stylisation des formes humaines, l’expression, la force de la couleur y atteignent une acuité sans repos, mais inégalée. Plus directement inspiré des Italiens, et en particulier du Caravage, Ribera (1588-1652) qui vécut une partie de sa vie à Naples, reste pourtant foncièrement espagnol, par son réalisme et l’âpreté de son style. À Séville, succédant aux mystiques encore inspirés de Van des Weyden, tel que Moralès, Herrera le Vieux introduit, vers 1620, l’influence italienne, mais il transpose avec une vigueur naturaliste saisissante. Zurbaran (1598-1664) est un maître aussi expressif et tragique, mais plus peintre. Alonso Cano (1601-1667) adoucit la manière et précède Murillo (1618-1682) dans un idéalisme sentimental, un peu inconsistant, mais d’une couleur séduisante. Le grand peintre de l’Espagne du xviie siècle et l’un des plus grands artistes de tous les temps est Velasquez (1599-1660). Rénovateur de la technique, le premier qui ait employé les couleurs à l’huile directement, le plus savant sans
Après une éclipse assez longue, l’art espagnol revit, à la fin du xviiie siècle, avec une force renouvelée, dans l’œuvre de Goya (1746-1828). Cet homme prodigieux, dessinateur et graveur d’une passion ardente, peintre dont la largeur et la sûreté égalent presque celles de Velasquez, Goya eut une influence considérable, au xixe siècle, sur les peintres français et anglais. Par lui, comme par Velasquez, l’école espagnole dépasse les conditions d’une école nationale et atteint une expansion universelle.
Cependant, au nord de l’Europe Occidentale, l’école flamande surgit de la couvaison italienne en un bouquet prestigieux de flammes ardentes et charnelles. Rubens (1577-1640) qui allume ce beau feu sort de l’enseignement assez obscur de Van Noort et d’Otto Venius. Mais il puise à la source même, à Venise, et son génie est assez fort pour ressusciter, à travers le métier de ses inspirateurs, la grande verve naturaliste des premiers Flamands. Sa fécondité exceptionnelle de narrateur, son sens du modelé vivant et des couleurs expressives, sa fougue incomparable le rapprochent à la fois de Véronèse et de Michel Ange. Mais il a su, à un degré unique, rendre la vibration sensuelle de la chair et le délire sacré de la nature. Ses contemporains Frans Pourbus (1579-1622), Snyders (1579-1657), Cornelis de Voos (1585-1651), participent diversement à son entraînement. Pieter Brueghel, le jeune, collabore avec lui. Mais son émule le plus proche, Jordaens (1593-1678) qui pousse à l’extrême, semble-t-il, sa forte liesse de gas de Kermesse, a, parfois, avec un éclat égal, plus d’équilibre dans la densité et plus de solidité. Van Dyck (1599-1644) est tout autre. Disciple de Rubens dans son rôle mondain, ce peintre plein de distinction est un des maîtres les plus féconds, les plus agréables et les moins profonds. Il plut aux gentlemen de l’Angleterre raffinée et toute l’école anglaise s’est inspirée de lui. Après ces maîtres, David Téniers (1610-1690) le Jeune et plus encore Adrian Brouwer (1605-1639) doivent aux Hollandais le goût des intérieurs et de la vie quotidienne.
Les écoles de Hollande, (car elles furent aussi nombreuses que dans l’Italie du xve siècle), se différencient, dès le xvie, avec Lucas de Leyde, Schoorel et Van Hemskerke, dans le courant néerlandais. Mais c’est au xviie, alors qu’expire l’Italie artistique, qu’une grande poussée de sève fait de la Hollande le pays des peintres. La Réforme, qui partout ailleurs produit un appauvrissement artistique, aboutit, au contraire, par la séparation des provinces protestantes, à un épanouissement des vertus hollandaises. L’art naturaliste et bourgeois des Hollandais, tourné vers les satisfactions quotidiennes, diffère de tous les autres arts avant lui. L’abandon des grands sujets est compensé par la grandeur de style que confère à cette peinture la beauté de la matière et la dignité du grand métier. À ce point de vue, aucune époque ne peut être comparée au xviie siècle hollandais.
De Frans Hals à Hobbema, un siècle entier s’étend, aussi riche, aussi varié que les grands siècles de la Renaissance italienne, prodigieux par le nombre des habiles et, même si l’on excepte pour une gloire sans voisinage le solitaire Rembrandt, marqué par de très grands ouvriers et de singuliers génies. Des écoles naissent, à Utrecht et à Delft, avec Mierevelt et Honthorst à la Haye, avec Esaias Van de Velde, à Amsterdam, avec Eliasz et de Keyser.
Frans Hals (1580-1666), de Harlem, est un maître de la matière comparable à Velasquez et un portraitiste qui ne le cède qu’à Rembrandt. Dans cette longue vie,